En sa qualité de premier ministre, M. de Broqueville a pris connaissance des dossiers concernant la politique extérieur et en mesure toute la gravité. Avant même que la Chambre ne se réunisse et d’accord avec le roi, il annonce à ses amis politiques, épouvantés par son audace, qu’il est décidé à user de son prestige acquis par sa récente victoire électorale pour aborder une fois de plus le redoutable problème militaire et proposer au pays des charges nouvelles.

En effet, il ne s’agit plus de perdre du temps. L’armée allemande n’arrête pas de renforcer ses armées à l’est et la fin de l’année 1912 voit surgir une nouvelle guerre des Balkans. A la rentrée du Parlement, au mois de novembre, Charles de Broqueville prend lui-même le portefeuille de la Guerre. Heure grave : il ne suffisait plus de faire accepter par une opinion publique rebelle la création d’une armée moderne de campagne en doublant les effectifs, il fallait aussi épurer le commandement, rajeunir les cadres, donner à tous les chefs le souci constant de la préparation à la guerre.

Evidemment, cela ne va pas sans mal et provoque des tiraillements importants. C’est là qu’il se positionne comme chef. (1) Pour obtenir le vote de la Chambre, il se vit dans l’obligation de demander une séance secrète au cours de laquelle, le 14 février 1913, il révéla notamment que le gouvernement avait été avisé par plusieurs puissances que l’Allemagne, en cas de guerre, n’hésiterait pas à faire passer ses troupes à travers la Belgique, et il ajouta textuellement : « Cet avertissement nous fut donné également par un chef d’Etat ami de la Belgique (le roi Carol de Roumanie?). Je donne, avait dit ce souverain, le conseil amical à la Belgique de préparer sérieusement sa propre défense, car le miracle de 1870 où la Belgique resta préservée entre les deux armées ennemies ne se renouvellera plus. » Charles de Broqueville était raillé dans les couloirs du parlement et après de multiples incidents, la loi fut quand même votée grâce à Paul Hymans qui était dans l’opposition. En mai 1913, la loi était promulguée, elle établissait le service obligatoire pour tous les citoyens. Désormais une armée dont le contingent était de 35.000 hommes allait s’organiser pour protéger la neutralité belge. il était temps !

Avec la loi de 1913, que toute la Belgique, en un hommage spontané, dénomma la loi Broqueville, l’armée par son service obligatoire était devenue nationale. Le moral des troupes devenait excellent. Le pays commençait à avoir confiance dans l’instrument de sa défense. Il a fallu attendre 5 ans pour que la loi Broqueville eut tous ses effets. Au printemps de 1914, il y avait 90.000 hommes, en 1915, 120.000, en 1917, 150.000 et en 1919 l’armée comptait 180.000.

En décembre 1913, le ministre de la Guerre nomme le général Leman au commandement de la position fortifiée de Liège, le général de Sellier de Moranville était promu chef d’état major et le général de Ryckel, sous-chef. Le Roi, selon la Constitution, est le commandement supérieur de l’armée.

(1) « (…) J’ai le devoir de vous mettre en garde contre tout ce qui pourrait dénaturer et compromettre les réformes qui seront réalisées dans l’intérêt de l’armée… En temps de paix, il n’y a dans ce domaine qu’une responsabilité, c’est la responsabilité ministérielle… le pouvoir de décision appartient exclusivement au ministre investit de la confiance royale(…) » Note au chef d’Etat-major général, le 29 mars 1912)