Tandis que le Roi avait installé son premier commandement près de Leuven, il dut battre en retraite rapidement vers Malines et puis Anvers. Le gouvernement ne savait pas trop ce qu’il fallait faire. Une partie resta à Bruxelles puisque c’est aussi de là qu’il fallait organiser la vie des civils. Le gouvernement décréta que Bruxelles serait une ville ouverte, n’étant pas un objectif stratégique comme l’était Anvers. Cette dernière était considérée comme le dernier réduit national en cas de coup dur.

L’Angleterre ayant fait connaître son intention de défendre la Belgique sur terre et par mer, le ministre de Broqueville écrivit, dès le 6 août, au Premier ministre britannique, M. Asquith, une longue lettre dans laquelle il signalait que le gouvernement belge, en prenant la tragique résolution qui sauvait l’honneur du roi et de la nation, ne se faisait aucune illusion sur les épreuves que le pays allait affronter. Il savait qu’il devait s’attendre à un choc rude avec les armées de l’empire allemand et devait s’attendre à ce que le soutien des alliés allait prendre du temps. Il savait déjà que la mobilisation générale n’ allait pas être déclarée en Angleterre xxx avant le 9 août. La Belgique, au demeurant fidèle à sa neutralité, écrivait M. de Broqueville, allait sacrifier toute la fleur de sa jeunesse. Il écrivit aussi qu’il était prêt à endosser toute la responsabilité de la décision pour couvrir la couronne, si celle-ci était menacée suite à une défaite définitive. Les termes de cette lettre étaient empreints d’une telle tristesse que le P remier ministre ne fit qu’une copie faite par son secrétaire le plus sûr, le comte [[]].

Le roi en conserva l’original et le message fut envoyé au Premier ministre britannique par l’intermédiaire de Sir Ed. Grey, alors au Foreign Office. M. de Broqueville écrivait en même temps à Sir Grey pour attirer son attention sur les considérations qu’il venait d’exposer au chef de gouvernement britannique.

M. Asquith, fidèle interprète des sentiments qui animaient l’empire britannique répondit par une lettre qui resta longtemps inédite (2) . Pour ceux qui savent combien le style diplomatique anglais est froid, réservé et dépourvu de sentiments, le message de M. Asquith sera une révélation.

M. de Broqueville avait donné lecture de sa lettre à son ministre des Affaires étrangères, M. Julien Davignon. Le lendemain (8 août), il lui adresse un long mémorandum concernant la politique intérieur e belge en ces jours d’épreuve. Il est étonnant de voir combien Charles de Broqueville analysait la situation avec une rare lucidité seulement quatre jours après la déclaration de guerre… Tout d’abord, il affirme : « … Notre consigne jusqu’à la fin de cette guerre qui, à travers les revers du début sera certainement couronnée par la victoire, doit être de ne jamais dire un mot qui puisse inspirer une crainte quelconque à nos concitoyens. Leur sort, je le crains, sera si dur, si angoissant pour ceux qui ont du coeur. Pour moi, écrit M. de Broqueville, une grande cause d’inquiétude, c’est la possibilité d’une révolution en Russie ; je suis profondément reconnaissant à Vandervelde d’avoir, avec une parfaite compréhension des choses, consenti à éclairer dans cette longue dépêche (1) le parti socialiste russe sur le véritable enjeu de cette gigantesque guerre. Par là, il a rendu, selon moi, un immense service à notre cause, car la Russie est un point bien noir ».

Le Premier ministre envisage le cas où la Belgique serait complètement envahie et il songe à la protection des habitants : « En dépit de ce que vous m’avez dit, je persiste de ce sentiment, que si le gouvernement doit partir, comme c’est presque certain, nous avons le devoir d’engager nos collègues au Parlement à demeurer sur place, là où les circonstances leur permettent, pour guider et protéger nos pauvres populations contre les brutalités et les exactions du conquérant temporaire… »

Cependant, il reconnaissait que l’absence du Parlement serait pour lui une source de difficultés graves; l’on ne manquerait pas de le faire passer pour un autocrate avide de faire fi du Parlement.

Il poursuit ensuite : « Je n’oublie pas que la présence du Parlement est un des plus puissants facteurs de la cohésion ministérielle. Or cette cohésion est indispensable aux succès de la Belgique; aux heures des grandes déceptions, ce sera un véritable tour de force de la maintenir, le Parlement étant absent. Il y a là, pour moi, un danger redoutable, j’en sens, croyez-le bien toute l’étendue ». Et il ajoute : « Mais qu’importe, ce n’est pas moi que je sers au pouvoir, je serais honteux d’y apporter la moindre préoccupation personnelle, surtout dans de tels événements, c’est mon pays que j’aime par-dessus tout, je ne connais que son service… »

« … Si nous sommes rejetés du pays, le rôle des parlementaires sera d’être les appuis moraux et matériels des opprimés, tandis que le gouvernement les assistera dans tous les domaines où son action sera possible. Mon rôle, dit-il, en terminant, sera de servir l’armée, de grandir par mes efforts personnels notre position devant l’étranger en vue d’une paix heureuse, et ainsi, notre Belgique s’affirmera grande par son armée et son peuple. »

Le jour même où le Premier ministre adressait sa lettre au Premier ministre britannique, le gouvernement belge recevait à Bruxelles le lieutenant-colonel Brécart qui venait au nom du gouvernement français et du général Joffre demand er les estimations du nombre de troupes allemandes entrées en Belgique et aussi connaître les intentions de l’armée belge. Il rencontra successivement M. de Broqueville, le général de Sellier puis fut reçu par le roi à Louvain.

Le lendemain 7 août, le Premier ministre et son cabinet militaire part à Anvers pour inspecter les fortifications. Il voit que les maisons placées dans les lignes de tir, sont démolies, les arbres abattus, les fossés agrandis et mis sous eau et sur l’Escaut l’on achève les ponts de bateaux pour permettre une communication entre les deux rives.

Le 8 août, M. Philippe Berthelot, directeur-adjoint au Quai d’Orsay, débarque à Bruxelles. Le bruit avait couru dans les hautes sphères qu’un armistice allait être signé entre Bruxelles et Berlin.. Il venait aux nouvelles pour rassurer le gouvernement un peu inquiet. M. Poincaré écrira « les bruits qui arrivent de Belgique sont indistincts et confus ». M. de Broqueville lui déclare tout net que la Belgique est résolue à une défense opiniâtre. Le roi qui le reçoit ensuite confirme ce qu’ a dit son Premier ministre : « La Belgique lutte pour son existence, dit-il à M. Berthelot, elle luttera jusqu’à son dernier homme contre l’Allemagne » et il ajoute qu’au besoin, il prendra lui-même un fusil.

Chose bizarre que cet te information en provenance de France puisque c’est le 9 août que la Belgique reçoit, via son ministre de Belgique, le baron Fallon, à La Haye, une proposition de l’Allemagne. Le gouvernement allemand déclarait que son armée ne venait pas en ennemie en Belgique. Il rendait un grand hommage à l’armée belge, qui avait par sa résistance héroïque maintenu l’honneur de ses armes de la façon la plus brillante, et il assurait de surcroît, n’avoir pas du tout l’intention de s’emparer du territoire belge… Bref l’Empire était prêt à s’arranger de n’importe quelle façon, pourvu que ses armées puissent passer au plus vite. Pour arriver à ses fins, l’Allemagne était prête à offrir un morceau du Nord de la France. Le gouvernement belge prévint ses alliés de ce message et de la réponse qu’il comptait donner. Le 13 août, le gouvernement fit connaître au gouvernement néerlandais : « la Belgique ne pouvait rester que fidèle à ses devoirs internationaux – d’autant plus que sa neutralité a été violée et que les garants de sa neutralité ont loyalement et immédiatement répondu à son appel. »

Cela dit, le gouvernement pouvait envisager de quitter Bruxelles pour Anvers.

Géry de Broqueville

note : la photo d’introduction montre des Deutsche Pfadfinder, type boy scout en provenance d’Allemagne, posant devant le Palais de la Nation. Ils remplaçaient les soldats occupés à des tâches administratives pour les envoyer au front.Photo du Sénat.

  1. Ce télégramme fut rédigé dans le cabinet même de M. de Broqueville. Dans une note, M. Klobukowski, ministre de France, signalait : « (…) M. Vandervelde est, dans les circonstances présentes, un précieux auxiliaire non seulement pour le gouvernement royal mais aussi pour les puissances coalisées, parce qu’il s’emploie très activement à stimuler ses coreligionnaires de Hollande, à éclairer ceux d’Allemagne et à contenir ceux de Russie. Sur ce dernier point et à la suggestion du président du conseil, il a préparé une sorte de manifeste dont le ministre de Russie a eu préalablement connaissance. »
  2. « Je m’empresse de vous faire part de toute mon admiration que je ressens pour le magnifique courage et l’énergie dont font preuve la nation belge, son roi, son gouvernement et son armée. Les souffrances qu’ils éprouvent leur valent mes plus profondes sympathies. La bravoure des Belges, l’intrépidité avec lesquelles , ils se défendent montrent combien vif est leur amour pour l’indépendance et la liberté… L’exemple que la Belgique a donné au début de cette guerre sera, j’en suis sûr, un exemple pour les nations libres de l’Europe ».