Signature de Germain Broqueville

Signature de Germain Broqueville

S’interroger sur l’origine de sa famille, c’est évidemment un acte légitime. Comme l’écrivait si bien Thierry Verhelst, nous avons tous besoin « des racines, pour vivre ». Deux hypothèse s’affrontent actuellement : les origines normande et portugaise. Mais n’y aurait-il pas une troisième hypothèse, tout simplement, être originaire de la région du Sud de la France. Jusqu’à preuve du contraire, personne, dans la famille, n’a mené des recherches concernant le patronyme lui-même. C’est ce que je me suis efforcé de faire.

Pour en finir avec les légendes ?

Tout d’abord, parlons des deux premières hypothèses. La première donne une origine normande :

« Deux chevaliers normands, compagnons de Guillaume le Conquérant, lesquels après leur retour d’Angleterre, vinrent se fixer en Gascogne vers la fin du XIe siècle ». (1)

La seconde donne une origine portugaise. Jean-Joseph Bernard de Broqueville écrivait ceci, lors de sa demande d’inscription dans l’Armorial de la noblesse de France : »qu’il sait par tradition de père en fils que nous sommes originaires du Portugal, que deux frères, officiers de cette nation s’établirent en France après la dernière guerre de la Terre Sainte, l’un en Normandie où il fonda la souche de la famille Briqueville et l’autre en Gascogne, qui est celle d’où je descends et les deux seules connues en France » (2)

Dans les notes historiques, on retrouve le témoignage de M. Mazeret, membre de la société archéologique du Gers. Il est cité par André de Broqueville comme troisième voie possible. M. Mazeret écrit en 1915 : « Nous avons fait de nouvelles recherches sur les origine de le famille de Broqueville. D’après le cartulaire de l’abbaye de Gimont, la famille de Rocosville, qui ne peut-être identifiée qu’à celle des Broqueville, ne viendrait nullement de Normandie et serait originaire des environs de l’abbaye, c’est-à-dire entre Gimont et Montfort, où elle s’est perpétuée jusqu’à nos jours. En effet, plusieurs membres des Broqueville, dans les années 1152, 1163 et 1194, cèdent plusieurs dîmes et prémices qu’ils possèdent à Témart sur la terre dite de Montaut (Homps) et à Tilhac (le château existe encore). Cette dernière dîme avait été achetée par les moines à Raymond de Goyon. Certains membres de la famille de Broqueville, en cédant leurs dîmes, se font même assurer le droit d’entrer comme moines à l’Abbaye de Gimont ». (3)

J’aurais tendance à prendre cette thèse-là très au sérieux non pas en me basant sur les arguments de M. Mazeret sur la proximité des noms, Rocosville et Broqueville, mais bien sur l’origine du patronyme en tant que tel.

Chercher toujours plus loin dans les archives

Chercher toujours plus loin dans les archives

Après de nombreuses recherches sur ce patronyme composé de deux entités, il semblerait que le patronyme soit tout à fait originaire du Languedoc et non pas de Normandie, et c’est la toponymie qui va nous aider à comprendre l’origine de la famille.

BROQUE est le nom d’un lieu dit, c’est à dire un toponyme, du Sud-Ouest et d’aucune autre région de France, d’origine pré romane et occitane désignant soit un éperon rocheux, soit un lieu broussailleux ou buisson épineux.

Le suffixe -ville permet d’établir un lieu (vile vers 980). La villa romaine qui était un domaine d’importance détermine un lieu.
Le mot latin villa (= ferme, domaine, puis ville ou village) a évolué vers le suffixe -ville après les invasions germaniques. Il fut souvent de bon ton, pour les familles, de germaniser son origine gallo-romaine, vers 1200 (4). Les mots terminés en -ville sont connus dans toute la France (5).

Les Broque-ville étaient les habitants d’un domaine assez vaste situé sur un éperon rocheux ou près d’un lieu broussailleux. Broqueville devait très probablement être un ancien nom de localité ou de lieu-dit existant dans le Haut Moyen-âge dans le Sud-Ouest.

On sait que la région d’implantation définitive de la famille, à partir du XIIIème siècle, c’est à dire lors de la fondation de la Bastide de Monfort, en 1272, est la Gascogne et plus particulièrement la région du Fezensaguet.

Or dans cette région, il n’y a aucune trace de toponyme ou de patronyme se terminant par -ville. C’est ce qui a fait dire à plus d’un que ce nom étant étranger.

Dans la région voisine, distante de quelques kilomètres, se situe la Gascogne toulousaine. Cette région est délimitée à l’ouest par l’Arratz, à l’est par la Garonne et Toulouse, au nord par le Tarn et au sud par le comté de Foix. Pour mémoire, Monfort se trouve à 3 km à l’ouest de l’Arratz, c’est à dire en dehors de la région de la Gascogne toulousaine. Dans cette sous-région, on constate la présence actuelle ou passée d’une cinquantaine de toponymes en « ville » (6).

Le patronyme qui se rapproche le plus au point de vue orthographique est « Braqueville » qui est, à l’heure actuelle, un quartier très industriel au sud de Toulouse. Braqueville a été le lieu d’implantation d’un monastère et de la seigneurie du même nom. Mais ce serait trop simple de dire qu’il y a une ressemblance toponymique telle que l’on pourrait confondre les deux noms. La seigneurie de Braqueville appartenait au XIIe siècle à la famille de Rouaix, vassal du comte Jourdain V de L’Isle-Adam. (7)

A noter cependant que les formes voisines Brocquevieille, Brocquevielle, Brocqueville (avec un “c” avant le “q”) se rencontrent pour leur part en Artois et en Picardie, et semblent formées sur le nom de personne germanique “Brucco”. (8)

Les premiers Broqueville connus.

Donjon du château d'Homps

Donjon du château d’Homps

Ici il est important de retrouver les premières traces de notre famille. Selon les Notes historiques, elles remontent comme nous l’a signalé M. Mazeret, en 1152, 1153 et 1194 (Cartulaire de l’abbaye de Gimont) les Broqueville sont renseignés à Homps où ils possédaient les seigneuries de Montaut et de Tillac, si tant est que Rocosville et Broqueville aient effectivement la même origine. mais cela n’est pas du tout prouvé.

Il est à espérer que les historiens comme Mazeret ou Maulezun aient bien lu, Broqueville et non Rocosville pour affirmer les quelques traces qui vont suivre…

– Robert de Broqueville est au nombre des chevaliers placés sous les ordres de Raymond Roger de Foix, lorsque ce prince fit bénir sa bannière dans l’église St-Sernin à Toulouse, au moment de partir pour la croisade entreprise par Philippe-Auguste. (9)

– Stephen de Broqueville figure comme homme d’armes de Verle d’Encontre, gouverneur de Castlelsarrasin. Il est tué à la bataille de Muret gagnée par Simon de Montfort sur Raymond de Toulouse (1213), lors de la croisade contre les Albigeois pour écraser l’hérésie Cathare.

– Mathieu de Broqueville commandait 50 lances sous les ordres du comte de Toulouse dans une monstre passée à L’Isle Jourdain, en 1236.

– Raymond de Broqueville figure en 1243 parmi les chevaliers qui, à Toulouse, prêtèrent serment de fidélité à Guy et Hervé de Chevreuse, délégués de Blanche de Castille, régente de France en l’absence de son fils Louis IX.

Il est à remarquer une constance chez ces quatre personnages : Les trois premiers sont vassaux du comte de Toulouse. Par contre le dernier, prête serment au roi de France, ce qui, somme toute, est normal puisqu’à cette époque la dernière fille du comte de Toulouse a épousé le frère du roi de France. Pour être vassal il faut habiter sur les terres du seigneur. Or, si les Broqueville possédaient effectivement les seigneuries de Montaut et de Tillac près de Homps, on se trouve toujours en territoire dépendant du comte de Toulouse.
C’est à la fin du XIIIe siècle que la partie ouest de la Gascogne toulousaine passa entre les mains des Armagnac et donc, c’est tout naturellement qu’en 1280, Gaston d’Armagnac nomme un Broqueville, premier consul de Montfort, Haut-justicier, ayant droit de vie et de mort. C’est à ce moment-là qu’apparaît le nom Broqueville qui sera dorénavant lié à l’histoire de la Bastide de Montfort, de l’autre côté de la rivière Arratz. (11)

Il semblerait que quelques Broqueville aient continué à servir d’autres maîtres comme le comte de Foix. En 1332, le chevalier Hughes de Broqueville est tué au combat de Blaye où Gaston de Foix battit les Anglais. Ils furent passés en revue à Mont-de-Marsan en 1339. Auger de Broqueville dut désigné en 1360 par Gaston Phebus de Foix, pour aller à Auch dire au Comte d’Armagnac que son maître acceptait le défi de combat porté par lui, comte d’Armagnac. Ce dernier, n’ayant pas osé engager l’action et s’étant retiré à Toulouse, le comte de Foix le poursuivit et ordonna à Auger de Broqueville de mettre le feu au faubourg St-Michel de cette ville.

En 1343, N. de Broqueville sert comme écuyer dans les guerres de Gascogne aux appointements journaliers de 10 sols tournois six deniers. Il est compris dans les comptes de Barthélémy du Dracht, Trésorier des guerres. (10) Auger de Broqueville figure à une revue faite en 1352 par Arnaud de Carmain. Ecuyer. (copie de cette montre, annexe 2 des Notes historiques). (12)

Conclusion

Il est certain que l’on ne pourra jamais affirmer l’origine exacte de la famille, vu la rareté des documents de cette époque reculée. On dénombre 5 parchemins, avant l’an mil, 30 pour le XIe siècle, 175 pour la première moitié du XIIe siècle et 3.150 pour la seconde moitié de ce siècle (13). Il est donc très probable que l’on soit complètement incapable de prouver une autre origine que celle-là, les documents antérieurs aux XIIe siècle sont quasiment inexistants face à la masse d’informations produites les siècles suivants.

Toujours est-il que les deux parties du patronyme ne trompent pas. Broque est originaire du Sud-Ouest de la France et de nulle autre région. Le suffixe -ville pourrait n’être qu’une indication pour donner la localisation de Broque-ville : les habitants d’une villa ou d’un grand domaine romain au début, qui a été germanisé ensuite (la terminaison en “e”) et qui indique que cette villa se situait sur un éperon rocheux ou près de massif épineux.

L’analyse des premières traces de présence des Broqueville et d’autres noms de lieux se terminant par -ville indique bien la localisation géographique dans la Gascogne toulousaine. Dès lors, dire que l’origine de la famille est normande ou portugaise relève désormais de la pure fiction…

Texte écrit par Géry de Broqueville dans le bulletin de la Famille Broqueville, n°19 – juin 2001.

Notes :

(1) André de Broqueville, Notes historiques, page 7
(2) Thierry de Broqueville, Les Broqueville au XIXème siècle, page 203.
(3) André de Broqueville, Ibid, page 7
(4) Auguste Vincent, Toponymie de la France, Ed. Gérard Monfort, Paris, 1999. Voir aussi le dictionnaire historique de la langue française, Ed Le Robert, Paris, 1992, page 2257.
(5) Mireille Mousnier, La Gascogne toulousaine XII-XIIIe siècle, une dynamique sociale et spatiale, Presse Universitaire du Mirail, Toulouse, 1997. page 45
(6) Les Habitats au Haut Moyen-âge : Mansonville, Penenville, Anteville, Bonneville, Lozautville, Bacosville, Breville, Maleville, Gaudanville, Pamville, Passoville, Gaudonville, Fraiatville, Franqueville, Vitanville, Besmalville, Seguenville, Aucamville, Boisville, Maneigville, Maurenville, Lobaville, Bossomville, Estanville, Garbosville, Baniville, Mondonville, Garandville, Fartville, Manville, Armandville, Fregouville, Gaillardville, Louberville, Gomainville, Sardouville et… Braqueville. (Mireille Mousnier, Ibid, page 46)
(7) Mireille Mousnier, Ibid, page 361.
(8) D’après Jean Tosti sur Internet.
(9) Maulezun : Historique de Gascogne, T. III, chap. IV. Pg 233.
(10) Fonds Lespinasse vol. 27 pg 22. (fonds à prendre avec beaucoup de pincettes puisqu’il est composé de peu d’originaux et de copies, dont on sait qu’elle contiennent de très grosses fautes).
(11) Jean Morisse, Histoire de Montfort, 1963 et 1995
(12) Maulezun, Histoire de la Gascogne, tome VI, p. 138
(13) Mireille Mousnier, Ibid, page 25.