L’idée venait de Schollaert et Helleputte. Il voulait aider les écoles libres, lesquelles subvenaient difficilement à leurs besoins, surtout dans les communes où les administrations de gauche refusaient toute aide. Trois mille congressistes catholiques, réunis à Malines, en septembre 1909, avaient émis l’idée d’une distribution égale des subsides entre les deux réseaux d’enseignement. Tel était le but du projet de loi. Les frais auraient été supportés pour 6/10 par l’État, 1/10 par la province et 3/10 par la commune.

Pour bien comprendre ce qui s’est passé, il faut se rappeler qu’en Belgique, la religion s’identifiait pratiquement avec le catholicisme et que la frontière des partis passait entre la droite, favorable à l’Église romaine, de la gauche -libérale ou socialiste- qui lui était hostile. Ces derniers reprochaient aux catholiques sa volonté de modeler et diriger, selon ses conceptions et ses intérêts, la société civile. Depuis 27 ans les Catholiques étaient au pouvoir sans partager ce dernier. Les libéraux se sentaient dupés par les prêtres accusés de fausser le jeu par leurs interventions dans la sphères temporelles. La bourgeoisie libérale qui se sentait adulte s’irritait d’être tenue en laisse comme un enfant.

Malgré les apparences, le projet ne manquait pas de sagesse, il prévoyait qu’un bon scolaire serait donné à chaque père de famille, qui le remettrait à l’école de son choix et les subsides seraient partagés entre les deux réseaux de l’enseignement au prorata des bons reçus. Tout compte fait, ce système n’est pas tellement différent de l’actuel pacte scolaire. Seulement, la grande différence venait de ce que les subsides seraient payés non par l’état comme de nos jours, mais par les communes. C’était forcer les majorités de gauche des moyennes et grandes villes du pays à subsidier l’enseignement libre, ce qui soulevait le colère unanime des libéraux et des socialistes. En même temps, la loi prévoyait l’établissement d’un 4e degré destiné aux enfants ayant terminé leurs études primaires, et qui ne voulaient ou pouvaient poursuivre des études moyennes. Enfin, elle supposait que par voie d’amendement, l’enseignement obligatoire et gratuit jusque 14 ans pourrait être introduit dans la loi. Tout cela n’était pas mauvais. Au surplus, en proposant l’enseignement obligatoire et gratuit, Schollaert rencontrait les désirs de l’opposition qui avait inscrit depuis fort longtemps, cette réforme à son programme. Sans le dire, le ministre espérait recommencer la manœuvre qui lui avait si bien réussi lors du vote de la loi militaire, et obtenir l’appui de l’opposition. Bien qu’il n’en était pas l’initiateur, Broqueville l’a approuvé, à l’instar de ses collègues.

Mais Woeste avait donné le ton dans un article de la Revue générale en signalant qu’il était intolérable que des communes (aux mains, majoritairement, de la gauche) subsidient l’école libre. Le chef de cabinet négligea cet avis en imaginant que ses propositions d’instruction gratuite et obligatoire, prolongation des études pendant deux années, allait amadouer les libéraux et les socialistes. L’opposition fit bloc et les interminables questions parlementaires ont bloqué l’examen du projet. Dans le but de contrecarrer cette manœuvre; la droite dépose un nouveau projet très légèrement différent mais l’opposition s’arcbouta en organisant des meeting et une manifestation nationale qui enflamma tout le pays.

Les ministres d’Etat sont consultés par le Roi

Hymans se plaignit auprès des oreilles du roi en les personnes de Beyens, ministre de la Maison du Roi et Waxweiler, confident d’Albert. Hymans fit d’ailleurs une scène à ce dernier menaçant d’aller jusqu’aux extrêmes, c’est-à-dire l’émeute, si le projet de loi n’était pas immédiatement retiré. Waxweiler en parla à Ingenbleek, secrétaire du souverain. Ils sont allés voir la Reine qui les engagea à en parler au plus vite au Roi. Ce dernier fut impressionné par leurs propos, ayant déjà des doutes, accepta l’idée de consulter les ministres d’État.

Les jours qui suivirent vit un balai de voiture officielle. Le Roi consulta Cooreman, président de la Chambre, Beernaert, ministre d’Etat, Woeste, Dupont, Van Den Heuvel et ensuite suivi par Schollaert. Ce dernier convoqua le Cabinet pour le soir même. Personne ne se faisait allusion, un différend important avait vu le jour entre le roi et ses ministres. Il est très probable que le Roi ne devait pas être enthousiaste sur l’ensemble du projet mais c’est bien ce dernier qui avait insisté pour y inclure l’obligation scolaire, demandée par les gauches, en espérant que ces dernières aurait eu une attitude plus accueillante face à l’ensemble du projet. Les illusions perdues, le Roi fit volte-face et agit de telle sorte que la démission du cabinet Schollaert était inévitable. Il aurait pu demander le retrait du projet pour apaiser les esprits. Il n’en fit rien d’autant qu’il n’en parla même pas au chef du gouvernement. Ce fait amena la démission du gouvernement.