Charles et Berthe de Broqueville accompagnés par trois de leurs petits enfants (Édouard, Arnaud et Norbert, dans le parc de la Woluwe en janvier 1933.

Charles et Berthe de Broqueville accompagnés par trois de leurs petits enfants (Édouard, Arnaud et Norbert, dans le parc de la Woluwe en janvier 1933.

Devant l’échec des libéraux aux élections, Broqueville entrevit l’effondrement de son plan et de ses espérances. Il écrivit au roi en signalant que Devèze avait eu tort de demander la dissolution du parlement qui avait amené son parti dans une situation amoindrie (1). Broqueville demandait au roi d’appeler d’urgence le leader libéral et « de le mettre en garde contre une politique de casse-cou » ; sans doute serait-il opportun , par la même occasion, de lui faire « entrevoir la possibilité d’une dissolution nouvelle« , « crainte très salutaire » ajoutait-il. Broqueville ne comptait pas uniquement sur le Roi. Il vit lui-même Devèze, en tête-à-tête au cours d’un déjeuner. (Haag 759)

Le gouvernement n’avait toujours pas démissionné. Il attendait la convention libérale du 11 décembre. Le Roi écrivit à Devèze. La seule chose qui lui importait était le redressement financier de la Belgique, le reste devait passer au second plan. L’irritation des libéraux était extrême face aux catholiques. La vielle de la convention Broqueville a répondu à des questions de journalistes et signalait que « tout est perfectible, même la loi scolaire, les méthodes, les contrôles ; je suis persuadés que beaucoup de libéraux comprennent le problème comme je le comprends moi-même« . C’est une belle manière de donner un signal positif envers les libéraux. Lors de cette convention Devèze se montra habile en fustigeant les méthodes catholiques mais en glissant imperceptiblement vers le grand problème à résoudre : les finances de La Belgique. La séance fut houleuse mais Devèze alla plus loin puisqu’il menaça de démissionner de son poste de président du parti si les libéraux ne le suivaient pas. Devèze obtint gain de cause à condition de faire une demande préalable auprès des socialistes sur une éventualité d’une tripartite. Broqueville accepta sachant très bien que Vandervelde refuserait. Ce qu’il fit peu de temps après.

Après que le gouvernement ait remis sa démission le 13 décembre, le Roi nomma Broqueville formateur. Exercice périlleux que de mettre la bonne personne à la bonne place et de satisfaire tous les marchandages de bas niveau. Je n’accepte pas l’agriculture parce que je suis malade mais je veux bien l’Intérieur et tout va comme cela. Broqueville barre des noms sur sa liste, en rajoute d’autres, met des points d’interrogation en cas de doute… Bref, dès que Broqueville est persuadé d’avoir la bonne combinaison, il suffit qu’un seul se désiste ou se fâche pour que tout s’effondre et il faut recommencer à zéro. Prenons l’exemple de Devèze, lui qui est féru des questions militaires, ne veut rentrer dans le gouvernement que si et seulement si il est ministre sans portefeuille ! Tous les ministrables veulent des portefeuilles, lui non. Quelle mouche l’a piquée ? Broqueville en tant que chef de cabinet n’a pas de portefeuille. Devèze voulait secrètement être sur le même pied d’égalité avec le chef de gouvernement pour mieux le circonvenir.

Broqueville refusa. C’était l’impasse. Il demanda au Roi de le démettre de sa fonction de formateur. Le Roi laissa passer 24 heures mais sur ces entrefaites il écrivit à Devèze une lettre qui mettait en valeur son esprit chevaleresque durant la guerre 14-18 et donc  était un homme, de grande stature, capable de comprendre les enjeux économiques et financiers du moment. Le Roi agissait de son coté. Dès le matin, Devèze, Hymans, Janson, Lippens, Forthomme furent reçus par le Roi. Une heure plus tard, ils ressortirent l’oreille basse. Broqueville reprit les négociations l’après-midi. A 5h15 le gouvernement était constitué.

L’habilité de Broqueville écrivit la Libre Belgique, est faite non seulement « d’ingéniosité, de souplesse, de l’art de persuader ; elle est faite aussi d’un courage et d’une persévérance rare… Tout autre que lui aurait probablement tout planté là ; il a tenu bon, il n’a pas désespéré« .

Lundi 18 décembre 9h30 : premier conseil au Palais. Le Roi présidait. Il tenait a saluer un gouvernement à la naissance duquel il avait contribué : « J’ai foi en vous, dit-il aux membres du cabinets, vous réaliserez le redressement que je souhaite pour le bien de la nation ». En même temps il adressa au Premier ministre des compliments très flatteurs : « Vous avez conquis de nouveaux titres à la gratitude publique ; depuis 23 ans que je vous connais, j’ai pu apprécier les incomparables services que vous avez rendus à la Belgique » (Haag 761).

La fierté et la joie de Broqueville étaient sans pareil. Quoiqu’il arrivât désormais, il avait obtenu par lui-même la revanche de sa défaite de 1918, ainsi que des humiliations de l’affaire Coppée. Il avait réussit à mettre au pas ceux qui avait réussi à le terrasser avant la fin de la guerre. Il prend la succession d’un libéral (Jaspar) qui n’a pas réussi à redresser le pays, Devèze, enfin soumis, Hymans est devenu un toutou, Lippens se retranche derrière son monocle et en face de lui, admiratif et chaleureux, tel qu’il aurait toujours souhaité qu’il fut, son souverain ! Broqueville pouvait exulter, car au vu de son âge, il est clair que c’est sa dernière nomination politique. Voilà comment terminer sa vie politique au service du pays, en apothéose.

Géry de Broqueville


(1) En Belgique, le parti qui demande la dissolution des chambres est très souvent en échec aux élections suivantes. Ce phénomène dure encore actuellement.