Dans ce blog, le 3 janvier 2010, j’ai fait paraître un article sur l’estimation des biens de louis de Broqueville (1660-1745) sieur d’Endardé qui en 1687 avait épousé Marie de Solaville. Dans l’estimation de ses biens, il était décrit des objets vinaires ainsi que des barriques. Nous  allons détailler ici ces outils qui permettait de faire du vin.

Pour rappel, cette estimation a été effectuée par deux experts nommés par la justice royale de Mauvezin (1) pour départager les quatre enfants de feu Louis de Broqueville (vers 1660-1745) dans la question de l’héritage de ses meubles, effets et terres. Ainsi dans la liste des biens meubles, on y trouvait ceci :

(…)

  • – Plus deux cuves à cuver la vendange estimés 26 livres
  • – Plus un tonneau, un fouloir estimé le tout 22 livres.
  • – Plus 21 barriques estimées 117 livres
  • – Plus 18 Comportes estimé 11 livres (2)
  • – Plus un entonnoir estimé 20 sols
  • – Plus une mesure estimé 30 sols

(…)

Transport de comportes  à Catlar

Transport de comportes à Catlar (Ouest de Perpignan)

Ce texte nous montre pour la première fois que les Broqueville étaient non seulement propriétaires de vignes mais étaient aussi des vignerons. Ils mettaient le pain à la pâte et produisaient du vin. Mais quel vin buvait-il à l’époque ? On a beaucoup de mal à imaginer le goût du vin de l’époque, mais des textes existent qui nous permettent de mieux comprendre ce que nos ancêtres produisaient.

Avant le XVIIIe siècle

Le Moyen-Age a fondé sa réputation sur des vins peu colorés, vins blancs et vin clairets principalement avec des nuances toutefois comme les vins gris, fauvelet, œil de perdrix, rarement rubis, les plus foncés à l’époque.

Les vins clairets qui ont fait la réputation de Bordeaux mais que l’on retrouve partout ailleurs tenaient lieu de nos vins rouges actuels. D’ailleurs les vignerons plantaient de manière indifférente des cépages blancs et noirs dans la même parcelle. Le tout était foulé ensemble et formait des vins plutôt blancs. Dès la vendange, les grappes étaient foulées avec les pieds et placées dans des cuves pour une fermentation immédiate sans égrappage. La durée de macération-fermentation était de quelques heures à 3-4 jours pour obtenir plus de couleur. Le vin était décuvé et mis en barrique pour que la fin de la fermentation puisse se dérouler. Quand cette dernière était terminée, le vin était envoyé au pressoir. Généralement le fond des cuves était mélangé avec de l’eau pour produire un vin appelé piquette et distribué aux pauvres.

Les vins devaient se boire très jeunes car ils passaient d’une année à l’autre. Personne ne savait alors conserver le vin et encore moins le faire vieillir. En quelques jours, si la nature le permettait, le vin était prêt à la vente.

Les changements du XVIIIe siècle

Alambic du XVIIe siècle

Alambic du XVIIe siècle

La production de vins plus colorés devenait une nécessité. Nous y trouvons alors des vins vermeils voire noirs. Ce changement de couleur correspond à une recherche de vins de qualité. C’est ainsi que l’on a vu évoluer deux pôles : les grands vins pour des consommateurs comme l’aristocratie ou des vins grossiers et épais pour la consommation populaire.

Il faut aussi prêter attention à un autre phénomène : l’apparition de l’eau-de-vie. L’Antiquité et le Moyen Age ne connaissent pas l’alcool si ce n’est chez les apothicaires, appelé « eau de feu ». Ce sont les Hollandais, au XVIIe siècle qui sont responsables de cette évolution. Depuis longtemps amateurs de vins blancs, ils trouvent cette solution pour en remonter le degré d’alcool pour leur faire supporter le transport en mer. Du coup, la distillation se développe en France pour valoriser les vins médiocres en réduisant leur volume et en abaissant aussi les coûts de transport. « Tout le monde y gagne  le vigneron qui n’a pas de débouché pour une production importante mais médiocre, l’acheteur qui amortit mieux ses frais de transport et dispose une liqueur de longue date dont il peut user selon son désir. En contrepartie, l’alcoolisme, pratiquement inconnu dans les siècles passés – le mot lui-même est inventé en 1849, se développe très rapidement et touche d’abord les populations maritimes » (3)

Les Hollandais cherche ainsi des vins blancs de qualité médiocre pour les transformer en eau-de-vie. Ils les trouvent du coté de Bordeaux mais cherche à acheter directement cet alcool à Montauban, notamment, mais aussi du coté du Languedoc et même jusque Sète.

Au XVIIIe siècle encore, la viticulture de médiocre qualité se développe en Bas-Armagnac, en direction de la Baïse et n’a en vue que la production d’eau-de-vie. Le cépage utilisé est le même que dans le pays de Cognac : le picpoul, nom local de la folle blanche qui fournit des eaux-de-vie parfumées. Sa culture progresse de la vallée de l’Adour vers Cabauzon, Nogaro, Eauze qui se rendent célèbres par la production d’un alcool de qualité qui va devenir au XIXe siècle de l’Armagnac. On notera que tous ces alcools s’obtiennent par distillation de vin et non de marc.

Les Broqueville ne sont pas des suiveurs !

Type de barriques anciennes

Type de barriques anciennes

Nos Broqueville, tous vignerons qu’ils soient, vivants à Monfort, se trouvent en marge des grands courants et des grandes innovations du XVIIIe siècle. En 1745, ils ne participent pas à l’arrachage généralisé imposé par les parlements comme celui de Toulouse pour contrer les années abondantes. La moyenne nationale est une production de 20 hl/ha de vin bien que dans les meilleures années, les vignerons peuvent atteindre 50 hl/ha. Les années 1677, 1724, 1727, 1781 ou 1785 ont été particulièrement prolifiques ce qui a fait chuter les prix. (4)

Du fait que Louis lègue « 2 cuves à cuver la vendange » et 21 barriques, on pourrait estimer les quantités maximum qu’il pouvait produire. En France, les vignerons possédaient des barriques aussi appelées « muids ». C’est donc dans cette direction que je me suis orienté. Il est très compliqué de découvrir ce que contient un muid d’autant que l’écart peut être de 250 à 700 litres. En Gascogne, deux régions produisaient du vin : La haute-Gascogne et la Grave. Monfort dépendait de la Haute-Gascogne qui correspondait plus ou moins au haut-Armagnac actuel. La barrique était considérée comme un ¾ de muids de Paris. Or le muid de Paris faisait 268,220 litres. La barrique de Gascogne est alors de 201,165 litres. Certains auteurs pensent que la barrique de Gascogne a presque la même contenance que celle du muid de Paris. Toujours est-il qu’avec ses 21 barriques, Louis peut vendanger une fourchette de 4.224 litres (3/3 de muid de Paris) à 5.632,62 litres (muid de Paris). (5)

Le document de l’estimation de ses biens ne donne malheureusement aucune indication sur le nombre d’hectare et le nombre de pieds à l’hectare. Comparons avec le vignoble de La Mazelle (6) qui fait un ha avec 4.560 pieds. Actuellement, on donne comme estimation 1 bouteille de 0,75 litre par pied. Cela donne un rendement total de 6080 litres. Or nous savons que Louis avait en tout cas plus d’un ha de terre de vigne. Il est clair qu’une partie du vin était conservé pour la consommation de sa famille mais le reste était certainement envoyé à la distillation pour en faire une eau-de-vie.

Un document se trouvant aux Archives départementales du Gers et plus particulièrement dans les archives du notaire Jean-François Dabrin, notaire royal de Monfort, on voit Joseph de Broqueville, sieur de Larroque, fils de Louis qui met une partie de ses terres en location « à tiers-fruit« . Cela signifie que le prix de location est le tiers des récoltes. Ce document est une bonne indication sur le fait que les Broqueville n’étaient probablement pas des vignerons mais en tout cas maître de chai et donc produisaient du vin. Ils faisaient cultiver leurs terres par des paysans ou des bordiers et recevaient ainsi le tiers des récoltes en guise de loyer. (7)

Par ailleurs, aucun document concernant la région immédiate ne montre ce que Louis aurait pu avoir comme revenu de  la production de vin et/ou

Bouteille ancienne dont la contenance était de 0,85 litre

Bouteille ancienne dont la contenance était de 0,85 litre

d’eau-de-vie, comme du reste les revenus de ses autres terres.  Dans les documents en notre possession, on sait que ce sont pour la plupart de la culture de « fibres » ( seigle, blé, millet). On sait aussi qu’au XVIIIe siècle, « l’ensemble du sud-ouest, beaucoup plus encore que dans le reste de la France, le morcellement de la propriété foncière, les techniques archaïques, l’absence d’innovation vont de pair avec la pauvreté de ces innombrables paysans possesseurs du sol » (8). Cette idée va à l’encontre des idées reçues de l’époque où bien des voyageurs reflètent l’opulence de ces régions dans divers écrits relatant leur passage dans la région, comme le laisse supposer Young (9).

Les Broqueville ont l’air de suivre le temps en tant que morcellement des propriétés. Louis décède et c’est l’égalité que se fait le partage de ses terres entre les quatre enfants encore en vie (10), mais la politique d’achat de terres tout au long de la vie de la personne semble aller à l’encontre de ce qui se vit dans la région. Prenons l’exemple de Viella dans le Gers, au XVIIe siècle, les propriétaires possédaient en moyenne, dans cette ville un à deux hectares de terres (11). Durant cette même période, Blaise Broqueville, seigneur de Maussombat possède 19 ha 67 a. Jean Broqueville, sieur d’Empiroy possède 37 ha 65a. Jean Broqueville, sieur d’Endardé possède 62 ha 9a 9 ca (12). Au XVIIIe siècle, La bastide de Viella a vu, en fonction des divers événements, un agrandissement du nombre de terres par personne. Certains propriétaires avaient jusqu’à 15 ha. Au même moment, durant la même période, Louis meurt en 1745 et laisse dans la succession de ses enfants 27 ha de vignes, fibres, prés, etc. dans les métairies d’Endardé et de Millas. Les Broqueville avaient donc un plus grand nombre de terres mais ce n’est pas pour cela qu’ils s’en sortaient mieux que les autres.

L’intérieur de la maison de Louis de Broqueville nous montre que les meubles ne sont pas exceptionnels. De même, lorsque l’on voit qu’il possède des assiettes en étain alors qu’il était courant, pour une famille aisée, de posséder de la vaisselle en faïence, voire en porcelaine, Louis ne posséderaient alors que quatre assiettes creuses « peinturées » qui signifient qu’elles sont, selon toute vraisemblance, en faïence. Ces petits signes ne trompent pas sur l’état de santé financière des ancêtres.

Toutes les informations recueillies ici ne sont que parcellaires. Malheureusement, peu de documents sont parvenus jusqu’à nous pour imaginer comment les Broqueville pouvaient vivre dans la bastide de Monfort. Gageons que nous trouvions encore d’autres informations les concernant pour enrichir la connaissance de notre passé.

Géry de Broqueville

(1) Justice royale de Mauvezin de 1745, Archive départementale du Gers, Auch. Cote : 2B110
(2) Cuve en bois, cerclée de fer, qui servait dans le sud de la France au transport des liquides, et le plus souvent à celui des raisins au moment des vendanges.
(3)  M. Lachiver, La viticulture française à l’époque moderne, in Flaran 11, Centre culturel de l’abbaye de Flaran, Gers, 1989, page 218.
(4)  Ibid, page 215.
(5)  P. Guilhiermoz, De l’équivalence des anciennes mesures. A propos d’une publication récente, Bibliothèque de l’école des chartes, 1913, page 324-325.
(6) Vignoble de La Mazelle, domaine viticole en Belgique exploité par des descendants de Louis de Broqueville. Voir lamazelle.be.
(7) Notaire Jean-François Dabrin 1739-1741 : Bail de vigne au tiers des fruits par le Sieur de Larroque en faveur de Raymond Giro. Archives Départementales du Gers cote : 3E8803 (folio 354 et 2355)
(8)  J-P. Poussou, Bordeaux et le Sud-Ouest au XVIIIe siècle. Croissance économique et attraction urbaine, Paris, 1983, p.301.
(9)  A. Young, Voyage en France en 1787, 1788 et 1789, édition H. See, Paris, 1931, p.146.
(10) Jean-Baptiste (1689-1771) sieur de Colomé, Bernard,(1690-1780),  sieur d’Endardé, Alexis (1694-1766), sieur du Garros, Françoise (1700-1784) x Jean-François Dabrin (notaire de la famille Broqueville), Joseph (1701- ?)
(11) Christian Desplat, Économie et société rurales en Aquitaine, au XVIIe et XVIIIe siècles, Paris, 1999, page 140. L’Aquitaine regroupait le Gers durant ces deux siècles.
(11) Terrier de Monfort de 1667. Consultable provisoirement ici mais en voie de déplacement dans le blog : http://www.broqueville.be/passe/origines/monfort/cadastre1667/cadastre1667.htm. NB ce site est en voie de disparition et de nombreux liens ne sont plus d’actualité.