A la fin de 1915, les ateliers et services belges de Graville s’étendaient sur 5 Ha de terrain autour de l’usine Bundy située boulevard Sadi Carnot. Ils englobaient aussi les bâtiments d’une autre usine abandonnée, l’Usine d’Or située sur le territoire de Gonfreville-L’Orcher. Cette dernière renfermait 320 tonnes d’explosifs. Le 11 décembre, vers 10 heures, une explosion détruisit l’Usine d’Or et presque totalement les ateliers de la base de guerre. Dans toutes les communes à 50 Km à la ronde, au Havre, à Lisieux, Yvetot, Fécamp, Pont-Audemer et même à Dieppe (à 130 Km) les dégâts étaient considérables. Il y avait aussi plus de 100 morts dans les décombres. La détonation avait été si formidable qu’à Rouen (90 Km) le sol trembla. Au Havre l’affolement fut général car on entendit le gigantesque grondement de l’explosion se répercutant sur les collines de la Seine.

Cette explosion fut dramatique tant chez les militaires que chez les civils. Pas une seule maison des environs qui ne fut touchée, des églises, des bâtiments entiers étaient parfois effondrés. Plus de 1.500 blessés étaient répartis dans les hôpitaux de la région. Malgré une enquête, personne n’a jamais pu donner la moindre explication sur ce qui s’était passé. L’on a découvert que les explosifs venant des États-Unis pour la plupart étaient accompagnés de détonateurs. Est-ce un de ceux-là qui se serait déclenché ?

On compta pour plus de 12.500.000 francs de dégâts pour des particuliers et diverses communes. Les usines Schneider dépensèrent plus de 3 millions pour la remise en état de leur entreprise sans demander de remboursement au gouvernement belge. Mais il y avait aussi la question des vitres et des tuiles. Les vitriers se sont retrouvés très rapidement à court de vitres puisqu’il fallait remplacer toutes les vitres de la région d’autant qu’une pluie froide était de la partie. Un élan de solidarité s’est fait jour. Paris et l’Italie ont proposé des vitres sous forme de don. Par l’intermédiaire du consul général britannique au Havre, des maisons anglaises offrirent des vitres pour 1000 maisons. L’on crut un instant à un geste généreux, mais les Anglais voulaient vendre leurs carreaux à raison de 3 pences et demi, le pied, pris en Angleterre. La correspondance du consul général renferme cette phrase étonnante : « Sir Edward Grey espère recevoir une commande ferme de vous pour le verre de maison… » Au milieu de la tourmente, M. Grey avait encore le temps de recommander des marchands britanniques !

La réorganisation après l’explosion

 
Usine de fabrication des obus à Bertley (Angleterre)

Usine de fabrication des obus à Bertley (Angleterre)

Plus de 24.000 mètres carrés de bâtiments avaient été détruits et devaient êtres reconstruits. Mille hommes travaillèrent pendant plus d’un mois pour effacer les traces de ce grand désastre d’autant que la production avait été arrêtée. De nouveaux bâtiments, plus grands, ont donné un nouvel élan aux établissements d’artillerie qui furent répartis en trois zones pour éviter ce genre d’accident : Grainville, Graville-Sainte-Honorine, Sainte-Adresse mais il y eut aussi des implantations en Angleterre comme l’usine de Bertley (photo). Dès la reprise des activités, les établissements d’artillerie produisaient tellement que l’armée française n’hésita pas à leur demander leur concours.

En 1916, après une minutieuse étude, le général baron Empain président de la commission d’achat du gouvernement belge à Paris signait un contrat avec Le Creusot pour la fabrication des batteries d’artillerie (l’affût excepté). Les prix étaient calculés au forfait suivant le nombre d’heures de travail nécessaires à l’exécution. Les canons étaient livrés par séries de 12. Au lieu d’en exiger le paiement en espèces, M. de Broqueville préféra se faire payer en matériel. C’est ainsi que pour 95.000 francs de main-d’œuvre d’usinage, le gouvernement belge eut le droit d’acheter une batterie de 4 canons de 105 long, dont le prix était 250.000 francs.

belges n’arriveraient pas à produire autant. Or au milieu de 1916, les ateliers du Havre pouvaient livrer 16 canons de 105 long par mois en plus de la production réservée à l’armée belge. En 1917, la France fit appel à ces ateliers pour produire des pièces d’artilleries lourdes de 155 court et 155 long à grande puissance. En avril 1918, pas loin de la première explosion, un incendie éclata dans des dépôts d’essence. Un des ateliers fut complètement détruit.

Le ravitaillement en explosifs se faisait via l’Amérique et coûtait très cher (15 à 17 francs le kilo). Le commandant Blaise décida de construire une usine de fabrication d’explosifs dans la banlieue de Londres, à Colnbrook. Il mit cette entité dans les mains du Belge Eloy. La production allait jusqu’à 12 tonnes par jour ramenant le coût à 5 francs le kilo.

Pour transporter tout ce matériel, il a fallu créer une gare belge à Soquence. Toutes les expéditions se faisaient par cette gare. On compta des rotations jusqu’à 1200 wagons par mois. Un service de transport comportant des camions et des fourgons hippomobiles assurait la liaison entre tous les établissements et ateliers de la base de guerre. Le service de transport disposait d’immenses garages et d’un magnifique atelier de réparation. Le budget des dépenses des établissements d’artillerie prenait environ les 2/3 du budget total du ministère de la Guerre. M. de Broqueville et le commandant Blaise ont été les artisans de cette production remarquable qui unissait des milliers d’ouvriers tant flamands que wallons dans le seul but de fournir un maximum de matériel à l’armée qui défendait le sol belge. M. Vandervelde, lui-même, n’hésitait pas dès 1917, à rendre ce juste hommage : « Il restera quelque chose et quelque chose d’ineffaçable de cette improvisation grandiose : le souvenir d’une des plus remarquables manifestations du génie industriel des techniciens et des ouvriers de notre pays. Ce sera aussi le mérite insigne du ministre de la Guerre, du commandant Blaise et de ses collaborateurs, d’avoir vu grand dès l’abord et d’avoir mis au service de cette entreprise difficile, que d’aucuns jugeaient hasardeuse, l’enthousiasme et l’ardeur au travail qui seuls devaient permettre de la mener à bien… » (1)

  1.  Commandant Marsily, Etude technique sur les établissements d’artillerie, péface de M. Vandervelde.