Carolus habitat

Carolus habitat

La maison au fond à un étage est le lieu de naissance de Charles de Broqueville

La maison au fond à un étage est le lieu de naissance de Charles de Broqueville

Est-ce une analyse des milieux de vie de Carolus, un homo politicus comme il y en a de plus en plus en Belgique ? Quelque part oui. Charles de Broqueville est né dans une modeste maison sise dans l’enceinte de l’abbaye de Postel à la place de l’actuel « Kontact centrum ». Cette maison était occupée par Stanislas et Marie-Claire de Briey qui attendaient la fin de la construction du château de Postel. Cette dernière demeure a été construite à partir d’éléments épars d’une ancienne auberge servant de relais pour les diligences. Tant que le nouveau château n’était pas habitable, Stanislas vivait dans le village de Postel situé à l’intérieur de l’enceinte de l’abbaye. L’abbaye de Postel avait été rendue aux Norbertins par la volonté de sa mère, Elisabeth de Robiano qui, en son temps, avait acquis l’abbaye et 4.000 ha aux alentours à travers une opération financière très bien expliquée, dans le livre de Soeur Lutgardis Pirson (1) (suite…)

Lord Kitchener et M. de Broqueville désamorcent la crise en 1916

Lord Kitchener et M. de Broqueville désamorcent la crise en 1916

Lord Kitchener

Lord Kitchener

Le 1er novembre 1914, Lord Kitchener arrive de Londres assez déprimé par les nouvelles des batailles et par le spectacle des blessés et mourants qu’il avait rencontrés dans les hôpitaux en cours de route. Plus tard en évoquant cette journée Foch dira que Kitchener pensait vivre du temps des guerres coloniales où l’on pouvait compter une dizaine de morts et autant de blessés. Kitchener pensait que sur le front belgo français, les Allemands allaient pouvoir percer là où se trouvaient les troupes anglaises. Foch l’engagea à la résistance et lui demanda de faire envoyer des troupes fraîches en renfort… Kitchener lui avait répondu : « En juillet 1915, vous aurez un million et demi d’hommes mais pas avant. » Joffre ayant émis l’idée que la guerre risquerait de durer plus longtemps, Kitchener le fixa et signala que « dans un an nous serons tout à fait prêts, les autres ne le seront plus du tout ».

Il est certain que Kitchener était un des premiers à prendre conscience de l’ampleur qu’allait prendre cette guerre. Il eut la sagesse et la force d’y préparer son pays et rendit d’immenses services à la cause des alliés. Son immense popularité dans tout l’empire britannique en faisait l’un des personnages le plus considérable du camp allié, et l’un des plus invulnérable.

En février 1915, Kitchener arriva brusquement chez le ministre de la Guerre belge pour lui faire une communication de la plus haute gravité. Effrayé des pertes subies par l’armée britannique, n’approuvant pas le système français d’enterrer les hommes dans les tranchées, Kitchener venait de refuser au général Joffre de faire venir de nouvelles troupes d’Angleterre. Lord Kitchener offrait à M. de Broqueville le spectacle d’une énergie déchaînée. « Je vais retirer toutes nos troupes ; nous ne voulons pas les faire massacrer ; nous continuerons à garder la mer, mais nous n’aurons plus un seul homme à terre. » Le tête-à-tête ne manquait pas de tragique. M. de Broqueville écoutait silencieusement le ministre de la Guerre de l’Empire britannique. Diplomate de grande école, animé d’un grand esprit de résolution, souple et habile, avec une volonté calme et tenace, cachée par une courtoisie infinie, le Premier ministre belge, avait avec lui aussi le sens de l’action très développé, enfin sa popularité et son influence chez les alliés égalaient au moins celles de Kitchener.

Or Kitchener était bien capable de réaliser son idée et M. de Broqueville en envisageait les dramatiques conséquences pour la Belgique et la France. Le danger était d’autant plus grand que Lord Kitchener venait d’écrire au maréchal French : « Je crois qu’il nous faut maintenant reconnaître que l’armée française ne peut pas pratiquer dans les lignes allemandes une brèche suffisante pour apporter un changement complet de situation, et provoquer la retraite des forces allemandes. S’il en est ainsi, on peut considérer les lignes allemandes en France comme une forteresse qui ne peut pas non plus être complètement investi et devant laquelle il faudrait par conséquent maintenir une armée assiégeante tout en procédant à des opérations autre part. »

Tout d’abord, pour gagner du temps, le ministre belge réussit à décider Kitchener à modifier sa décision, si le principe d’une grande et vigoureuse offensive générale est adopté. « … il faut la faire de nuit, disait Lord Kitchener, à une date et à une heure ignorées des chefs de corps jusqu’au moment de la préparation immédiate du combat. Il faut aussi constituer des forces vigoureuses en réserve pour poursuivre l’ennemi avec la dernière énergie aux endroits les meilleurs où l’on aura percé… »

« Bien, lui dit M. de Broqueville, ravi de cette première concession. Je vais immédiatement voir le roi, me rendre au G.Q.G. français pour soumettre votre plan au général Joffre. » Et ce 23 février, après avoir vu Joffre à Chantilly, il écrivit de Paris à Kitchener cette lettre curieuse de souplesse : « … À la suite de notre conversation, je me suis rendu au G.Q.G. français et j’y ai développé le point de vue dont vous avez bien voulu m’entretenir… » Le ministre belge fit ensuite un résumé fidèle des sentiments qu’il avait trouvés chez le généralissime Joffre et chez son dévoué collaborateur Foch : « …La volonté de l’offensive la plus puissante est égale à la vôtre et l’on s’y prépare intensivement (souligné dans le texte). Le généralissime pense avec vous que ce n’est plus l’heure d’accumuler un plus grand nombre d’homme dans les tranchées… ».

Lettre de Foch

Lettre de Foch

Après cette satisfaction accordée aux idées de Kitchener, M. de Broqueville ajoutait : « Les forces qu’il appelle à lui (Joffre) sont précisément destinées à réaliser le but que vous m’avez indiqué… Après ce que j’ai entendu, je peux vous affirmer avec certitude qu’en envoyant toutes les troupes qui peuvent êtres envoyés, vous assurerez la réalisation même du but que vous m’avez si clairement défini… Je pense donc qu’il y a grande opportunité à se hâter le plus possible afin que les jeunes troupes aient en quelques jours le contact avec l’atmosphère des batailles. A en juger par ce qu’on dit au Q.G., le généralissime raisonne ainsi : le maréchal Kitchener a réalisé le plus formidable prodige d’organisation militaire que l’histoire des armées ait enregistré et n’enregistrera jamais : les armées sorties de terre grâce ,à son génie sont superbes ; en demandant leur envoi le plus prompt pour donner rapidement à ces belles troupes le sang-froid du feu, nous assurons sa pleine efficacité à l’oeuvre gigantesque du Maréchal. Voilà exactement, mon cher Lord Kitchener, les constations que j’ai fait. Je n’ai rien vu ou entendu qui ne répondit à vos vues. S’il m’est permis d’ajouter à tout ceci le sentiment qui se dégage pour moi de ce que j’ai appris, je vous dirai que c’est toujours du coté de l’artillerie lourde et des munitions que ce bât blesse. Je m’écarterais de la vérité si je ne vous disais pas : d’une part, l’envoi maximum de troupes est nécessaire pour assurer le plein succès tel que vous me l’avez défini ; d’autre part, l’effort pour l’artillerie lourde et les munitions ne saurait être trop grand… »

La lettre approuvée par Joffre et Foch, est envoyée sur le champ à Lord Kitchener. Foch écrira qu’elle correspondait parfaitement à la position de la France (photo ci-jointe). Elle nous montre la vive habilité diplomatique du premier ministre belge placée sous de subtils grains d’encens.

Charles de Broqueville en visite des dépôts de munitions du 7e de Ligne (de gauche à droite : le général Rucquoy, M. de Broqueville, le général Coppejans

Charles de Broqueville en visite des dépôts de munitions du 7e de Ligne (de gauche à droite : le général Rucquoy, M. de Broqueville, le général Coppejans

Lorsque le ministre de la Guerre britannique lui annonce son intention de ne plus envoyer des troupes en renfort ni de maintenir ses soldats à terre, M. de Broqueville lui a expliqué les conséquences de telle sorte que Kitchener va décider à faire tout le contraire de ce qu’il avait résolu. De nouvelles troupes anglaises vont traverser le détroit pour venir en renfort. Plus encore, le 15 mars, A la chambre des Lords, M. Kitchener sortant de son mutisme habituel déclarait pour la première fois que le problème des munitions était extrêmement grave. Après les attaques de Neuve-Chapelle (voir album) qui portèrent l’armée de French aux portes de Lille, ce dernier avait envoyé un télégramme (13 mars 1915) « La fatigue et surtout le manque de munitions obligent à cesser le mouvement en avant' » Ces nouvelles ont permis de désamorcer aussi un mouvement de grèves générales dans des usines d’armement en Angleterre.

La campagne de presse, dévoilant le manque de munitions signalé par M. de Broqueville, le maréchal French et le général Joffre, contribua à la naissance d’une crise politique en Angleterre (mai 1915), à la formation du premier gouvernement de coalition et la création d’un ministère des Munitions. Désormais l’Angleterre allait jeter toutes ses forces industrielles dans la bataille. (Ci-contre, Charles de Broqueville en visite des dépôts de munitions du 7e de Ligne (de gauche à droite : le général Rucquoy, M. de Broqueville, le général Coppejans)

La mission politique du gouvernement de Sainte-Adresse

La mission politique du gouvernement de Sainte-Adresse

Le gouvernement belge à Sainte-Adresse en 1918

Le gouvernement belge à Sainte-Adresse en 1918

Jules Renkin, ministre d’Etat, est celui qui a le mieux défini la raison d’être du gouvernement belge au Havre, dans un article du Times de 1920 : « Le devoir primordial était de maintenir la souveraineté belge et ses organes légaux, de faire que la Belgique envahie conserve un gouvernement légitime, capable de représenter devant le monde les intérêts généraux du pays et de veiller à leur défense…« .

Le gouvernement belge, à son arrivée au Havre, était composé de 10 membres. Il comprenait le Président du conseil et ministre de la Guerre, M. de Broqueville ; ministre de la Justice : M. Carton de Wiart ; ministre des Affaires étrangères : J. Davignon ; ministre de l’Intérieur : P. Berryer, ministre des Sciences et des arts : P. Poullet ; ministre des Finances : A. van de Vivère, ministre des Travaux publics et de l’Agriculture : G. Helleputte ; ministre du Commerce et du Travail : A. Hubert ; ministre des Chemins de fer, de la Marine, des Postes et Télégraphe : P. Segers ; ministre des Colonies : Jules Renkin. En 1916, à la demande du roi, M. de Broqueville fit rentrer de façon effective trois membres de l’opposition, MM. Paul Hymans, Goblet d’Alveilla et Vandervelde que le roi avait nommé, le 4 août 1914 comme ministres d’Etat.

L’idée était de montrer aux Belges à quel point la Belgique se devait d’être unie. Cela dégagea quelques discussions au sein du gouvernement de 10 membres, mais M. de Broqueville précisa tout de même que « le gouvernement tel qu’il se complète, est appelé à disparaître dès que les mesures de guerre et les clauses de paix auront été ratifiées par le parlement. » M. de Broqueville rendait compte au roi dans son rapport que le programme gouvernemental restait inchangé. « Il se synthétise entre ces deux pensées, les seules qui soient aujourd’hui dignes d’absorber intégralement un gouvernement de patriotes : pourvoir toutes les nécessités qui découlent de l’état de guerre et mener la Belgique dans les conditions les meilleures à la paix la plus favorable. ». « Quand sonnera l’heure certaine de la victoire finale, la nation répondant à l’appel de Votre Majesté se retrouvera maîtresse de régler ses destinées conformément à la voix de sa conscience. »

Le 18 janvier 1916, M. Davignon, ministre des Affaires étrangères, malade depuis de longs mois, donnait sa démission et le Baron Beyens, ancien ministre du roi à Berlin pris sa place après que le roi eut nommé M. Davignon ministre d’Etat pour lui permettre de siéger encore au gouvernement. Ce dernier mourut à Nice le 16 mai suivant.

Le 14 février 1916, les ministres de France, de Grande-Bretagne et de Russie, accompagnés des représentants de l’Italie et du Japon, sont venus à Sainte-Adresse pour déclarer officiellement au gouvernement belge que, le moment venu, il serait appelé à participer aux négociations de paix et que les puissances alliées ne mettaient pas fin aux hostilités sans que la Belgique soit rétablie dans son indépendance politique et économique, et largement indemnisé des dommages qu’elle a subis. Le baron Beyens a répondu ainsi : « Nous sommes tous résolus à lutter énergiquement jusqu’au triomphe du droit pour lequel nous nous sommes sacrifiés sans hésitation… » Cette déclaration de Sainte-Adresse mettait fin à la tutelle sous laquelle se trouvait la Belgique depuis 1830. C’était donc un événement d’une très grande importance. Le sacrifice et le canon, la vaillance et l’héroïsme lui donnaient enfin le rang auquel elle avait droit, celui d’une nation libre et indépendante.

Dans un remarquable rapport au roi, M. de Broqueville dit ceci : « …La guerre sera poursuivie sans qu’il puisse être question d’une entente séparée avec l’Allemagne. Le gouvernement s’efforcera de restaurer la Belgique et sa colonie dans la pleine indépendance politique, économique et financière. Il ne négligera rien de ce qui, par le statut international, peut assurer au pays dans l’avenir la plénitude de ses droits souverains… »

Deux ministres d’Etat moururent à Sainte-Adresse et n’ont pu ainsi revoir la patrie : en septembre 1915, M. Huysmans, député de Bruxelles et le 29 juin 1917, M. Schollaert, député de Louvain, membre du parti catholique et prédécesseur de Charles de Broqueville.

Des missions diplomatiques

Le gouvernement de Sainte-Adresse envoya beaucoup de missions diplomatiques à l’étranger comme au Brésil, en Argentine, en Espagne, en Suisse, en Italie et en Hollande. M. Carton de Wiart, ministre de la justice partit en Suisse pour régler le grave problème de l’internement des officiers et soldats belges libérés de captivité. En septembre 1917, une mission belge rentra des États-Unis. Elle fit près de 18.000 Km pour sensibiliser les Américains à la juste cause de la Belgique. Deux parlementaires originaires de Flandre sont partis au Transvaal pour donner une suite de conférences aux Boers qui étaient en train de se révolter, pensant que les Pays-Bas étaient menacés dans leur indépendance. M. Emile Vandervelde partit pendant 4 mois en Russie juste après le début de la révolution pour « saluer la Révolution », mais il était du même avis que le gouvernement belge a qui il avait déclaré que sa présence en Russie pouvait avoir une influence favorable au maintien de l’entente entre la Russie révolutionnaire et les alliés. M. de Broqueville n’avait-il pas dit à Ostende dès octobre 1914 : « Pour moi, le point noir, c’est la Russie ». Après avoir accompli son voyage par les états scandinaves, il arriva à Petrograd en compagnie de Trotsky, quasiment en même temps que Lénine qui avait dû traverser l’Allemagne. M. Emile Vandervelde retrouvait en Russie Albert Thomas et Henderson envoyés aussi pour « galvaniser » les Russes. Ils eurent tous de longues conversations avec Kérensky et son gouvernement tandis que Lénine et ses partisans couvraient d’injures les « missionnaires » alliés qui échouèrent dans leur mission !

Un soutien des populations restées au pays

Le gouvernement a accueilli beaucoup de délégués représentant les belges restés en Belgique occupée pour essayer de remonter le moral des Belges mais aussi à veiller à ce que la population soit ravitaillée, ce que l’occupant allemand n’avait pas prévu de réaliser. Ainsi beaucoup de personnalités belges se sont rendues à Sainte-Adresse.

Nulle convention issue des congrès internationaux d’avant-guerre n’avait prévu qu’un pays pourraient rester souverain et indépendant alors que la majeure partie de son territoire se trouvaient aux mains d’un ennemi. Le gouvernement belge ne pouvaient abandonner sans direction les populations restées en pays occupés, leurs intérêts et leur vie même étaient en jeu. L’on vit cette chose curieuse : le gouvernement belge réussissait à gouverner officieusement le pays en donnant, à maintes reprises, des directives et des conseils aux hautes personnalités restées en Belgique, et qui, dans une collaboration forcée avec les autorités allemandes d’occupation s’efforçaient de suppléer les administrations gouvernementales. Le salut de la Belgique dépendait de la sauvegarde de la population des territoires envahis.

Durant la guerre, certaines de ces personnalités reçurent la permission des autorités allemandes de se rendre au Havre, soit par la Hollande, soit par la Suisse pour régler des questions d’ordre public. Ainsi en septembre 1914, le Cardinal Mercier était parti à Rome pour élire le pape Benoît XV. A son retour, le cardinal s’arrêta au Havre, refusant de rentrer par l’Allemagne. M. Francqui, directeur de la Société générale de Belgique put se rendre à Londres pour rencontrer M. Hoover (futur président des Etats-Unis) et préparer avec lui la lutte contre la faim et la disette. Chaque fois que cela a été nécessaire, M. Franqui passait par le Havre avec un passeport allemand. Il n’était pas le seul. A Sainte-Adresse, l’on a vu MM. Hankar, directeur général de la Caisse d’épargne ; Maurice Despret, président de la Banque de Bruxelles ; Camille Huysmans, Paul Pastur, député ; Emmanuel Janssens, vice-président du Comité national de ravitaillement. L’on vit aussi apparaître en « mission » les grands capitaines d’industrie comme MM. Paul van Haegaerden, Ernest Solvay, Digneffe, ; des conseillers provinciaux comme MM. Heugen et Jottrand ; des banquiers comme le baron Lambert ou le baron Goffinet…

Lorsque l’œuvre de ravitaillement commença à fonctionner, le gouvernement du Grand-duché de Luxembourg pria le baron Evence Coppée d’intervenir auprès du gouvernement belge pour demander que la population luxembourgeoise soit également ravitaillée par la même organisation belge, qui secourait déjà le nord de la France.

Le Baron Coppée, en accord avec le ministre d’Espagne et des Pays-Bas, se rendit au Havre et à Saint-Pierrebroucq. Le gouvernement se montra aussitôt favorable à la demande luxembourgeoise et M. de Broqueville essaya à Londres d’obtenir l’accord de l’Angleterre. Malheureusement, les efforts du premier ministre ne purent aboutir. Le gouvernement anglais se montra formellement opposé à l’extension du ravitaillement aux populations civiles du Luxembourg. « C’est à l’envahisseur, disait-on à Londres, qu’il appartient de nourrir les pays envahis. »

Une des personnalités que l’on vit venir le plus souvent à Sainte-Adresse était Michel Levie, ancien ministre des Finances. Il était le représentant du gouvernement belge en pays occupé. Les barons Coppée sont aussi venus fréquemment examiner la question du travail dans les mines. Les conférences eurent lieu à Saint-Pierrebroucq et au Havre. M. de Broqueville et les ministres ensuite reconnurent qu’il était préférable de continuer à exploiter les mines en territoires occupés plutôt que de s’obstiner dans une carence sans utilité pour l’intérêt national. L’on évita ainsi d’éviter d’augmenter le nombre de chômeurs déjà en charge des comités de secours belges. De même le charbon était indispensable à la population belge, charbon que les Allemands dédaignaient puisque leurs charbonnages étaient proches de la frontière. Ces dispositions prises permirent d’éviter à la Belgique d’inutiles privations et apportèrent une grande amélioration à sa situation économique et morale. Le baron Coppée devra d’ailleurs subir un procès dont il sortira acquitté, accusé d’avoir servi ses intérêts et ceux des Allemands dans cette affaire de mines, ces dernières fonctionnèrent au ralenti puisqu’en 1913, la Belgique produisait 22 millions de tonnes et en 1918, elle n’en produisait plus que 13 millions. Nous verrons cela dans un autre chapitre.

Géry de Broqueville

La capitale de la Belgique : Sainte-Adresse

La capitale de la Belgique : Sainte-Adresse

Timbres belges avec cachet français de sainte-Adresse sur une carte postale de l'armée.

Timbres belges avec cachets français de sainte-Adresse sur une carte postale de l’armée.

Sainte-Adresse est une ville balnéaire située tout à coté de la ville du Havre.Dès le début de la guerre, en 1914, elle est devenue la capitale administrative de la Belgique et le siège du gouvernement belge.

A l’aube du 14 octobre 1914, l’arrivée des paquebots en provenance de la base arrière d’Ostende amenèrent les ministres et leur suite. L’hostellerie du Nice-Havernais devint le siège de nombreux ministères. La villa Hollandaise est aux Affaires étrangères. Les services du ministère de la Guerre sont à la villa Louis XVI. Les ministères voisinent avec les légations et les services les plus divers. Il y en a aussi au Havre même. La censure se trouve à l’hôtel de ville. La villa Roxane a été réservée à M. de Broqueville, une autre villa, La Roseraie, devait devenir la résidence royale, seulement, le roi ne vint jamais au Havre. Il ne voulu jamais quitter sa villa de La Panne, l’une des dernières villes de son royaume et la reine refusa de le quitter voulant partager les affres de la guerre avec son époux. La maison du roi fut représentée par le général Jungbluth, ancien précepteur du roi. il s’installa à la villa Maritime dès le 15 octobre. le général Comte de Grunne pris aussitôt le commandement du Havre. Il était un soldat énergique, fin diplomate et administrateur éprouvé.

Le 16 octobre, le conseil municipal lança un vibrant hommage comme accueil au gouvernement belge sur son territoire et le lendemain, les ministres belges recevaient une première visite officielle d’une délégation du conseil municipale de Paris et du Conseil général de la Seine. En leur honneur, le gouvernement belge organisera une « réception » à l‘hostellerie du Nice-Havernais. La villa Louis XVI avait accueilli les services du ministère de la Guerre qui, chaque matin, montait les couleurs dans la cour se trouvant devant l’entrée du ministère. Mais le véritable Q.G. du ministre, M. de Broqueville était d’abord Dunkerque, puis Saint-Pierrebroucq chez le baron Cochin et ensuite Steenebourg.

Le Palais des Régates était affecté au logement des légations. La cuisine y sera excellente. Mais il y avait deux tables distinctes : celles des pays alliés et celle des pays neutre. L’on verra des changements de couverts. Ainsi lorsque la Roumanie se rangea du coté des alliés, le couvert rejoint triomphalement la table des alliés et quand la Bulgarie rejoint le camp des Allemands, son couvert a été discrètement retiré. Dans le vaste immeuble du Nice-Havrais, le ministère des Colonies siège dans un magasin de literies. Le ministère de la Justice manquait de place dans ses locaux et l’on vit une salle de bain transformée en bureau ministériel.

M. de Broqueville, chef du gouvernement, vint très souvent à Sainte-Adresse, mais il fit rarement de longs séjours (1). Il y arriva le 3 novembre 1914, venant directement de Dunkerque en auto pour y présider le premier Conseil des ministres. Le soir même, il assista à la cérémonie du drapeau. Une foule nombreuse de réfugiés s’y précipita pour voir « le magnifique organisateur de la résistance ». Au Conseil des ministres, M. de Broqueville donna lecture d’un rapport sur les évènements qui s’étaient déroulés dans les journées qui suivirent l’embarquement d’Ostende et rendit compte de la conférence interalliée qui venait d’avoir lieu à Dunkerque, le 1er novembre. le conseil ratifia toutes les mesures prises tant à Nieuport, qu’à Furnes, à Dunkerque et à Calais. Puis les ministres envisagèrent un plan de travail qui donna la priorité au sort des réfugiés. C’est pendant ce premier séjour que le ministre de la Guerre eut une longue conférence avec le directeur du Creusot et le commandant Blaise et de son cabinet militaire ainsi que du commandant Laurens, chef de la mission militaire française près de l’armée belge. Avant de quitter le Havre. Charles de Broqueville reçut officiellement l’amiral Charlier, gouverneur de la place, M. Hennion représentant le gouvernement français, les ministres plénipotentiaires d’Angleterre, de Russie et quelques autres notabilités. Le 6 novembre, il repartait déjà par la route, jusque Dunkerque.

Pendant quatre années, les ministères sont restés à Sainte-Adresse. mais les ministères ne resteront pas isolé dans ce « havre de paix » puisque des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants vont travailler durant toutes ces années pour soutenir l’effort des troupes au front. Au plus fort de leur activité, en 1917, 14.000 soldats belges, 4.000 femmes et enfants de soldats y travailleront pour le salut commun. La Seine inférieur comportera 37.000 réfugiés belges dont 22.000 pour le seul arrondissement du Havre. Et donc il y avait beaucoup de travail comme on l’a déjà vu dans les pages qui précèdent pour ce qui est de l’approvisionnement en munitions dans la base de guerre du Havre ou celle de Calais-Gravelines. Bien souvent la quiétude de Sainte-Adresse sera troublée par le canon ou l’explosion de mines au large du Havre pour lutter contre l’arrivée de sous-marin ennemi. Le 30 octobre, les ministres sont à peine installés, que le base militaire du Havre annonce que les batterie de La Hève vont faire des tirs de guerre à toute puissance. Les lourds obus sont ainsi passés presque quotidiennement au-dessus de l’hostellerie des ministères.

Pendant ces quatre années, certains ministres vont « s’ennuyer » au point de faire valoir tel préséance sur un autre ministre alors que la tâche est immense au dehors. Il est vrai que la situation du gouvernement était étrange. Alors que l’immense effort demandé aux belges sur place était tout orienté vers le ravitaillement des troupes, certains ministres avaient le sentiment de perdre leur temps. L’inactivité de certains ministères contrastaient en tout cas avec la sur-activité de celui du ministère de la guerre. De plus le chef de gouvernement était comme on l’a vu très souvent absent. En tout cas la majorité du travail des ministères présents à Sainte-Adresse était orienté vers les réfugiés et l’appel aux Belges valides pour qu’ils s’engagent comme volontaire pour la durée de la guerre.

Le bureau de poste belge

Timbres émis par le bureau de poste de Sainte-Adresse.

Dès son arrivée le gouvernement belge avait fait aménager un bureau postal dans les dépendances du palais des Régates et vendaient des timbres belges portant la surcharge « Havre-spécial ». Ce bureau fonctionna pendant près d’un an, puis l’on ouvrit un bureau uniquement belge, Place Frédéric-Sauvage, à Sainte-Adresse dans le bâtiment des ministères belges. Le nouveau cachet d’oblitération porte « Sainte-Adresse. Poste belge – belgische post » Les timbres de 1 à 25 centimes représentent l’effigie du roi et ceux de 35, 40 et 50 centimes représentent des monuments détruits par les Allemands, les Halles d’Ypres, la collégiale de Dinant et les Halles de Louvain. Les timbres de 1, 2, 5 et 10 francs représentent l’affranchissement de l’Escaut, la reprise du Congo et la remise du drapeau par le roi sur le perron de l’hôtel de ville de Furnes.

Composition du Gouvernement belge

Une séance du Conseil des ministres à l’hostellerie de Sainte-Adresse (19 septembre 1916)

Assis autour de la table : MM. van de Vyvère, Comte de Broqueville, Jules Renkin, Emile Vandervelde, Poullet, Berryer, Franz Schollaert, Baron Beyens, Carton de Wiart, Cooreman. Debout au second plan de gauche à droite : MM. G. Helleputte, A. Hubert, Goblet d’Alveilla, Paul Segers et Paul Hymans.

Bien que certains ministres se sentaient sous-occupés, le gouvernement belge avait une véritable mission qu’il a accompli : l’organisation de la Belgique exilée et l’approvisionnement de la Belgique occupée, la réorganisation de l’armée et le développement d’une industrie de guerre.

Géry de Broqueville

(1) voir un autre article : la vie quotidienne à sainte-Adresse.

La Panne

La Panne

Vue aérienne de La Panne.

Le 11 octobre 1914, le gouvernement français avait signalé qu’il ferait tout pour permettre au roi de s’exiler en France, comme le gouvernement d’ailleurs, tout en lui garantissant son entière indépendance. Le roi avait été très sensible à cette délicate attention, mais n’accepta pas de quitter la dernière province libre de son royaume. Il décida que la famille royale allait s’installer provisoirement à La Panne, à proximité des troupes de l’Yser, , du G.Q.G. qui est à Furnes et du ministre de la guerre qui est à Dunkerque. Ses ministres sont à l’abri à Sainte-Adresse, cela suffit. La décision royale ravit la reine qui va pouvoir partager les rares joies et les multiples soucis du roi. La souveraine s’installe à La Panne le 15 octobre.

La France leur offrira ses plus belles villas du Havre ou des châteaux digne d’un roi et d’une reine, l’Angleterre fera de même avec ses plus belles demeures seigneuriales. Albert Ier ne sera jamais le roi sans terre, le souverain sans royaume. Pendant toute la guerre, il résidera en Belgique et ce sera de la Belgique qu’il lancera ses troupes pour la victoire finale.

La description de La Panne a été maintes fois faite puisque ce petit village est devenu d’un seul coup célèbre dans le monde. Il se composait de pauvres maisons construites dans les replis des dunes et abritait des pêcheurs de crevettes. Le long de l’inévitable digue, des villas modernes sans prétention se succédaient les unes aux autres.

 M. Poincaré, M. Millerand, Les deux fils du roi, la princesse Marie-José, Charles de Broqueville, Albert Ier (Photo prise par S.M. la reine - novembre 1914 M. Poincaré, M. Millerand, Les deux fils du roi, la princesse Marie-José, Charles de Broqueville, Albert Ier (Photo prise par S.M. la reine – novembre 1914[/caption]

Et puis, dès le 15 octobre, au bout de la digue du coté ouest, trois modestes villas sont promues « palais royal ». Le baron Beyens les décrivit ainsi : « D’abord une construction à l’italienne qui étonne le regard sous le ciel rude de la Flandre. Elle sert de dépôt aux provision de toutes espèces que la prévoyante bonté de la reine accumule pour les distribuer aux soldats, puis une bâtisse en brique réservée aux officiers de la maison du roi et aux hôtes de passage , avec un unique salon où se tiennent les réceptions des personnages étrangers et les réunions du conseil des ministres. Enfin, une maison de simple apparence, plus étroite que les deux autres : c’est l’habitation du roi et de la reine : derrière s’arrondit une sorte de grand jardin sauvage qui est un luxe rare au bord de la mer. (…) C’est là, tout l’espace laissé pendant quatre ans à l’intimité du couple royal et aux jeux de ses enfants. »

Le long de la digue, les haut-fonctionnaires et les officiers se sont installés dans les villas. Et de l’autre coté de la digue, le grand hôpital de l’Océan ne tarda pas à installer ses baraquements que le drapeau de la Croix-Rouge ne parviendra pas à protéger contre les obus allemands.

La plage et les dunes se transformèrent en camp d’entraînement pour les militaires au repos. Dans le ciel, les avions allemands et alliés ne cesseront de passer rapide et mystérieux et l’on installera dans les environs un camp d’atterrissage pour l’aviation belge.

Le 26 février 1915, La Panne était bombardée pour la première fois par avions. Le camp d’aviation recevait une trentaine de bombes, tuant deux soldats français et quelques chevaux. Dans La Panne, une dizaine de projectiles causèrent de nombreux dégâts, notamment à la modeste chapelle du village où il y eu des blessés que la reine alla visiter aussitôt dans les ambulances. Trois avions alliés accoururent en provenance de Dunkerque et l’on prit des précautions pour pouvoir faire intervenir les puissantes escadrilles anglo-françaises du camp de Saint-Pol-sur-Mer.

Pendant les quelques mois que les jeunes princes et la princesse Marie-José passèrent en Angleterre, la reine pouvait entrer en communication directement avec eux, car un câble téléphonique sous-marin entrait en Belgique par ce village. M. Poincaré fut le premier personnage d’importance à se rendre à La Panne pour y saluer la famille royale. Il devait y retourner souvent. Le roi, en simple tenue de campagne n’avait qu’une seule décoration, la médaille militaire française ; il se porta jusqu’à Adinkerque, village frontière pour y accueillir le président de la République. Ce dernier était accompagné de M. Millerand, ministre de la Guerre, du général Duparge de sa maison militaire et du général Joffre.

Dès son installation à La Panne, la reine Elisabeth s’est consacrée entièrement aux œuvres de secours aux réfugiés, au sauvetage des enfants des zones pouvant être bombardées, et aux ambulances et hôpitaux pour ses soldats. Pendant quatre années, la reine ne faiblira pas dans sa noble tâche. Elle sera la première infirmière de son royaume et non la moins dévouée.

 L'école Marie-José à Vincken créée par la reine. Sur son intervention, M. de Broqueville écrivait de Saint-Pierrebroucq, en août 1915, au général Andringa, gouverneur militaire de la Flandre occidentale, pour lui signaler qu’un trop grand nombre de famille continuaient à séjourner avec des enfants dans la zone de l’avant et presque jusqu’aux lignes de l’Yser : « … Si l’on peut admettre que des individus exposent leur vie pour ne pas quitter leurs biens, l’on ne peut tolérer que des enfants, quel que soit leur âge, restent inutilement dans une zone où il est certain qu’ils seront à la longue, tués ou blessés. »

M. de Broqueville demandera au général Adringa d’agir en conséquence au vu de l’imprévoyance de leurs parents. Un recensement rapide montra que dans une région régulièrement bombardée comme Woesten, il y avait 410 enfants dont 234 de moins de 7 ans. Les familles eurent à choisir : se séparer de leurs enfants ou être évacués avec eux vers les centres de réfugiés installés en France. Tous les enfants évacués furent envoyés dans des colonies scolaires. L’école Marie-José à Vincken créée par la reine n’avait plus de place disponible. La Comtesse van den Steen répondant aux désirs de la reine envoya 10 voitures pour recueillir dans ses œuvres les enfants de moins de 7 ans. Les plus grands furent conduits, les filles à Saint-Omer et les garçons à Chevilly. On devine qu’il y eut des scènes douloureuses au moment où des parents se séparèrent de leurs jeunes enfants. En 1916, à Winckem, 400 enfants de moins de 14 ans, appartenant aux villages flamands des Flandres, étaient l’objet des soins attendris de la reine.

 La reine créa l'hôpital Cabour qu'elle mit sous la direction du Dr. Depage.La reine créa l’hôpital Cabour qu’elle mit sous la direction de son médecin personnel, le Dr. Depage. Ce fut un hôpital modèle que de nombreuses missions étrangères rendirent célèbre par leur visite admirative. En mars 1916, Mme Poincaré le visita en compagnie de la reine qui reçut d’ailleurs peu de temps après la Croix de guerre française des mains de M. Poincaré. Quelques heures après, M. Poincaré remettait dans les positions de Wulpen la Croix de guerre aux deux princes français Sixte et Xavier de Bourbon, sous-lieutenants d’artillerie dans l’armée belge. Ce fut une minute impressionnante celle où l’on vit le premier magistrat de France décorer les deux princes de la Maison de France n’ayant pas le droit de servir dans l’armée française parce que descendants des rois de France !

En juillet 1915, le jeune prince Léopold, duc de Brabant, fils aîné du roi atteignait 13 ans et 5 mois. Il obtenait de son père la faveur qu’il réclamait depuis de longs mois, son incorporation comme simple soldat dans l’armée belge. Le roi décida que le jeune prince serait incorporé dans au 12e régiment de Ligne, le régiment le plus glorieux de la campagne.

En juillet 1917, le G.Q.G. anglais annonçait qu’une attaque imminente contre La Panne allait avoir lieu. Il demanda au roi et à la reine de quitter La Panne. Le roi répondit à peine en signalant que si tel était le cas, il prendrait ses quartiers dans une ferme de la région, refusant de quitter le territoire. Le 5 avril, sur la plage de La Panne, le régiment s’est massé en carré avec le drapeau et la musique au centre. Son colonel van Rolleghem présente ses troupes au roi. Au loin, l’on entend des salves d’obus qui grondent sans arrêt mettant une note tragique sur cette cérémonie. Le roi au côté de la reine, face au drapeau. Différentes personnalités sont présentes comme le prince de Teck, frère de la reine d’Angleterre, la princesse de Caraman-Chimay. M. de Broqueville, ministre de la Guerre accompagné du général Jacquet commandant de la maison du roi et quelques officiers français assistaient à la cérémonie.

L’hommage que le roi fit au 12e de Ligne en fit pleurer de fierté plus d’un. Confier son fils à une troupe aussi glorieuse allait donner une formation importante à ce jeune prince. Ce dernier quitta la reine et prit place dans les rangs de la troupe.

En 1918, les batteries allemandes installées sur les côtes de la Belgique prirent La Panne sous leur feu, mais elles eurent du mal à bien viser. L’offensive belge les réduisit au silence en octobre 1918. Le 22 octobre, la résidence royale de La Panne, cessait d’exister. Quatre jours après, la reine faisait une entrée triomphale dans Bruges reconquise.