Le 11 octobre 1914, le gouvernement français avait signalé qu’il ferait tout pour permettre au roi de s’exiler en France, comme le gouvernement d’ailleurs, tout en lui garantissant son entière indépendance. Le roi avait été très sensible à cette délicate attention, mais n’accepta pas de quitter la dernière province libre de son royaume. Il décida que la famille royale allait s’installer provisoirement à La Panne, à proximité des troupes de l’Yser, , du G.Q.G. qui est à Furnes et du ministre de la guerre qui est à Dunkerque.
Ses ministres sont à l’abri à Sainte-Adresse, cela suffit. La décision royale ravit la reine qui va pouvoir partager les rares joies et les multiples soucis du roi. La souveraine s’installe à La Panne le 15 octobre. La France leur offrira ses plus belles villas du Havre ou des châteaux digne d’un roi et d’une reine, l’Angleterre fera de même avec ses plus belles demeures seigneuriales. Albert Ier ne sera jamais le roi sans terre, le souverain sans royaume. Pendant toute la guerre, il résidera en Belgique et ce sera de la Belgique qu’il lancera ses troupes pour la victoire finale.
La description de La Panne a été maintes fois faite puisque ce petit village est devenu d’un seul coup célèbre dans le monde. Il se composait de pauvres maisons construites dans les replis des dunes et abritait des pêcheurs de crevettes. Le long de l’inévitable digue, des villas modernes sans prétention se succédaient les unes aux autres.
Et puis, dès le 15 octobre, au bout de la digue du coté ouest, trois modestes villas sont promues « palais royal ». Le baron Beyens les décrivit ainsi : « D’abord une construction à l’italienne qui étonne le regard sous le ciel rude de la Flandre. Elle sert de dépôt aux provision de toutes espèces que la prévoyante bonté de la reine accumule pour les distribuer aux soldats, puis une bâtisse en brique réservée aux officiers de la maison du roi et aux hôtes de passage , avec un unique salon où se tiennent les réceptions des personnages étrangers et les réunions du conseil des ministres. Enfin, une maison de simple apparence, plus étroite que les deux autres : c’est l’habitation du roi et de la reine : derrière s’arrondit une sorte de grand jardin sauvage qui est un luxe rare au bord de la mer. (…) C’est là, tout l’espace laissé pendant quatre ans à l’intimité du couple royal et aux jeux de ses enfants. »
Le long de la digue, les haut-fonctionnaires et les officiers se sont installés dans les villas. Et de l’autre coté de la digue, le grand hôpital de l’Océan ne tarda pas à installer ses baraquements que le drapeau de la Croix-Rouge ne parviendra pas à protéger contre les obus allemands.
La plage et les dunes se transformèrent en camp d’entraînement pour les militaires au repos. Dans le ciel, les avions allemands et alliés ne cesseront de passer rapide et mystérieux et l’on installera dans les environs un camp d’atterrissage pour l’aviation belge.
Le 26 février 1915, La Panne était bombardée pour la première fois par avions. Le camp d’aviation recevait une trentaine de bombes, tuant deux soldats français et quelques chevaux. Dans La Panne, une dizaine de projectiles causèrent de nombreux dégâts, notamment à la modeste chapelle du village où il y eu des blessés que la reine alla visiter aussitôt dans les ambulances. Trois avions alliés accoururent en provenance de Dunkerque et l’on prit des précautions pour pouvoir faire intervenir les puissantes escadrilles anglo-françaises du camp de Saint-Pol-sur-Mer.
Pendant les quelques mois que les jeunes princes et la princesse Marie-José passèrent en Angleterre, la reine pouvait entrer en communication directement avec eux, car un câble téléphonique sous-marin entrait en Belgique par ce village. M. Poincaré fut le premier personnage d’importance à se rendre à La Panne pour y saluer la famille royale. Il devait y retourner souvent. Le roi, en simple tenue de campagne n’avait qu’une seule décoration, la médaille militaire française ; il se porta jusqu’à Adinkerque, village frontière pour y accueillir le président de la République. Ce dernier était accompagné de M. Millerand, ministre de la Guerre, du général Duparge de sa maison militaire et du général Joffre.
Dès son installation à La Panne, la reine Elisabeth s’est consacrée entièrement aux œuvres de secours aux réfugiés, au sauvetage des enfants des zones pouvant être bombardées, et aux ambulances et hôpitaux pour ses soldats. Pendant quatre années, la reine ne faiblira pas dans sa noble tâche. Elle sera la première infirmière de son royaume et non la moins dévouée.
M. de Broqueville demandera au général Adringa d’agir en conséquence au vu de l’imprévoyance de leurs parents. Un recensement rapide montra que dans une région régulièrement bombardée comme Woesten, il y avait 410 enfants dont 234 de moins de 7 ans. Les familles eurent à choisir : se séparer de leurs enfants ou être évacués avec eux vers les centres de réfugiés installés en France. Tous les enfants évacués furent envoyés dans des colonies scolaires. L’école Marie-José à Vincken créée par la reine n’avait plus de place disponible. La Comtesse van den Steen répondant aux désirs de la reine envoya 10 voitures pour recueillir dans ses œuvres les enfants de moins de 7 ans. Les plus grands furent conduits, les filles à Saint-Omer et les garçons à Chevilly. On devine qu’il y eut des scènes douloureuses au moment où des parents se séparèrent de leurs jeunes enfants. En 1916, à Winckem, 400 enfants de moins de 14 ans, appartenant aux villages flamands des Flandres, étaient l’objet des soins attendris de la reine.
En juillet 1915, le jeune prince Léopold, duc de Brabant, fils aîné du roi atteignait 13 ans et 5 mois. Il obtenait de son père la faveur qu’il réclamait depuis de longs mois, son incorporation comme simple soldat dans l’armée belge. Le roi décida que le jeune prince serait incorporé dans au 12e régiment de Ligne, le régiment le plus glorieux de la campagne.
En juillet 1917, le G.Q.G. anglais annonçait qu’une attaque imminente contre La Panne allait avoir lieu. Il demanda au roi et à la reine de quitter La Panne. Le roi répondit à peine en signalant que si tel était le cas, il prendrait ses quartiers dans une ferme de la région, refusant de quitter le territoire. Le 5 avril, sur la plage de La Panne, le régiment s’est massé en carré avec le drapeau et la musique au centre. Son colonel van Rolleghem présente ses troupes au roi. Au loin, l’on entend des salves d’obus qui grondent sans arrêt mettant une note tragique sur cette cérémonie. Le roi au côté de la reine, face au drapeau. Différentes personnalités sont présentes comme le prince de Teck, frère de la reine d’Angleterre, la princesse de Caraman-Chimay. M. de Broqueville, ministre de la Guerre accompagné du général Jacquet commandant de la maison du roi et quelques officiers français assistaient à la cérémonie.
L’hommage que le roi fit au 12e de Ligne en fit pleurer de fierté plus d’un. Confier son fils à une troupe aussi glorieuse allait donner une formation importante à ce jeune prince. Ce dernier quitta la reine et prit place dans les rangs de la troupe.
En 1918, les batteries allemandes installées sur les côtes de la Belgique prirent La Panne sous leur feu, mais elles eurent du mal à bien viser. L’offensive belge les réduisit au silence en octobre 1918. Le 22 octobre, la résidence royale de La Panne, cessait d’exister. Quatre jours après, la reine faisait une entrée triomphale dans Bruges reconquise.
Géry de Broqueville