Ce titre est celui d’un petit opuscule paru en 1917 et imprimé au Havre par le « Bureau documentaire Belge », signé par Henri Carton de Wiart, ministre de la Justice qui appellerait une réponse sans équivoque comme : « que du mal » ! C’est ce que nous allons voir dans cette page.
Les envahisseurs allemands ont pensé dès le début de la guerre à la manière de casser toute résistance à l’intérieur du pays à défaut d’arriver à écraser définitivement l’armée belge qui résistait sur un lambeau de territoire avec pour capitale provisoire, Sainte-Adresse et la Panne comme lieu de résidence du Roi.
Les Allemands ont essayé plusieurs méthodes pour briser le peuple belge. La première fut assez impitoyable puisque c’était le système de la calomnie. C’est le moment où consciente qu’elle envahi la Belgique rapidement, même si cette dernière résiste, l’Allemagne reste persuadée qu’elle va pouvoir l’annexer purement et simplement. N’oublions pas que plusieurs villes de Wallonie et de Flandres vont subir un sort atroce où des civils par milliers vont mourir, fusillés, brulés, assassinés. Il s’agira notamment de Dinant, Visé, Aarschot, Leuven ou Andenne (1). Pour tenter d’excuser ses propres massacres l’Allemagne va rejeter la faute sur les Belges car ces derniers vivent dans des foyers d’assassins et qu’en fin de compte le châtiment est juste et équilibré pour les punir contre leur forfait ! La propagande allemande va même jusqu’aux Etats-Unis où les belges sont présentés comme responsables des atrocités commises contre les Allemands : ils ont achevé des malheureux blessés sans défense, les jeunes filles crèvent les yeux des prisonniers allemands.
Le chancelier et le responsable de la propagande allemande M. Bethmann-Hollweg n’hésite pas à donner des interviews de par le monde. Le Kaiser ira jusqu’à écrire une lettre au Président Wilson, le 8 septembre 1914 pour noircir le tableaux à l’encontre des Belges. Mais au bout de quelques mois, les organisateur de cette campagne de calomnie ont du se rendre à l’évidence. Personne ne croit en ces tissus de mensonges.
La Revue militaire Suisse résumait la situation en octobre 1917 : « Un des spectacle les plus triste de la guerre actuelle qui en a vu de si triste en si grand nombre a été l’acharnement apporté par l’Empire allemand à vouloir déconsidérer la Belgique aux yeux du monde. Il n’est pas dégradants qui n’aient été mis en oeuvre pour accusé l’Etat violé d’avoir été lui-même l’instigateur des maux, des injustices et des opprobres dont son puissant et mesquin vainqueur l’a abreuvé. En français, une pareille conduite s’appelle une lâcheté. » (2)
En son temps, j’ai écrit un texte similaire où le Vatican participait aussi à ce mensonge des Allemands en y insérant des propos calomnieux dans l’Osservatore Romano (3).
Période de l’exploitation systématique
Ce système est inventé par le Docteur W. Rathenau qui permet d’alimenter la guerre des Allemands et de préserver les industries allemandes de toutes concurrences industrielles, la paix revenue. Taxations, enlèvements, contributions de guerre, enlèvement des matières premières et des machines, mesures de réquisition et de spoliation qui fait monter la somme à plus de 8 milliards de francs, selon les chiffres mêmes des autorités allemandes d’occupation (4).
Mais plus que cela, les Allemands déportent en masse les ouvriers restés sut le territoire occupé. Des milliers d’ouvrier sont envoyé en Allemagne dans les usines et les mines pour remplacer les soldats allemands envoyé au front. C’est une main d’oeuvre gratuite réduite en esclavage pour punir le gouvernement belge et son roi d’avoir oser résister à l’envahisseur. Bien sûr la propagande allemande s’en sonne à coeur joie tant auprès des autres pays mais aussi auprès de ces mêmes ouvriers. Mais cela ne marche pas non plus. Les ouvriers déportés sabotent les machines dans les usines et montrent toute leur mauvaise volonté pour collaborer avec l’ennemi.
La séparation administrative
Les Allemands du Kaiser ont une imagination fertile pour asservir et en fin de compte annexer la Belgique. Suite aux deux échecs précédents, ils ont inventé la séparation administrative. Cette méthode s’inspire de la bonne vielle devise : « Diviser pour régner », puisqu’il existe en Belgique deux langues nationales répondant à des groupes ethniques différents. Bien sur les allemands auront une forte sympathie pour la langue flamande d’origine germanique. Les Allemands veulent adopter les Flamands comme des « frères de race ». On aurait pu imaginer que le Kaiser voulait amener à créer un état de Flandre libre et indépendant. C’était naïf de croire cela. Von Bissing, gouverneur de la Belgique s’est exprimé peut avant sa mort en ces termes : « Nous ne pouvons, en aucun cas, donner la main à ce que les Flamands deviennent tout à fait indépendants. Etant de race germanique, de par leur opposition aux Wallons, ils seront pour la race allemande, un renforcement précieux ». Quant à Reventlow, le chantre du pangermanisme, il n’hésite pas à écrire deux articles en septembre et octobre 1917 dans la Deutsche Tageszeitung : « La séparation administrative ne suffit pas à sauvegarder les intérêts allemands. Ce qu’il faut pour guérir les Belges de leur haine contre nous, c’est la domination définitive de l’Allemagne, aussi bien sur les Flamands que sur les Wallons, qui libérera les uns et les autres de la conception de l’Etat belge et de la Maison royale belge » (5).
Von Bissing ira même plus loin puisqu’il exprimera sa pensée profonde en déclarant qu’une des possibilités pour arriver à cet état de fait est l’assassinat. Il désire « teutoniser » une partie de la Belgique pour faire une séparation définitive entre Flamands et Wallons. Il s’agit aussi de faire naître des malentendus entre-eux, au besoin même de les inventer et les exploitera de son mieux pour qu’une fois la paix revenue, elle se targuera le droit d’intervenir dans les affaires intérieures belges.
Cette politique de « bienveillance » à l’égard des Flamands était déjà en oeuvre avec les Danois du Schleswig (6) et les Polonais de Posnanie (7). Cet aspect du pangermanisme a été dénoncé par les pays neutres rejetant avec force les propositions allemandes.
Dans la zone occupée, les sentiments étaient très divers dans un premier temps, mais rapidement tant les Flamands et les wallons on serré les rangs contre l’occupant. Quelques membres du « Conseils de Flandres » qui étaient un groupuscule de Flamingants se sont engouffrés dans la brèche pour effectivement revendiquer l’indépendance de la Flandre sous la houlette de l’occupant.
Mais force est de constater que les Flamands sont majoritaires en Belgique en ces temps de guerre. Comment une majorité pourrait-elle être protégée face à une minorité alors qu’elle a tous les moyens politiques pour imposer ses vues. « Mais la liberté dans laquelle ont vécu les Flamands jusqu’à présent est trop grande pour qu’il désirent cela (tutelle d’une puissance protectrice) ou même qu’ils l’endurent » (8).
Un journal des ouvriers mineurs allemands, le « Bergische Arbeiterstimme » écrivait avec humour ceci : « L’oppression des flamands est une des découvertes que la guerre a fait faire. Auparavant, personne tant au dedans qu’au dehors de la Belgique ne se doutait de ce que ces bas-Allemands furent opprimés. Personne n’aurait put le savoir non plus puisque les Flamands formaient la majorité du peuple belge et qu’ils étaient en majorité à la Chambre des Représentants » (9).
La question des langues en Belgique
Nous sommes toujours dans cet opuscule publié en décembre 1917 qui nous présente cet état de fait qui est la coexistence de deux langues nationales et Carton de Wiart de rajouter : « Ce phénomène fait à la fois partie de notre histoire millénaire et de notre vie de tous les jours et il n’est pas un seul belge de père et de mère qui ne le connaissent et qui ne le comprennent beaucoup mieux que tous les pédants d’Outre-Rhin » (10).
Ce « bilinguisme » correspond au rôle géographique et traditionnel de la Belgique, triangle de jonction en Europe des deux courants fondamentaux que sont les mondes latin et germain. Si la Belgique reconnaît la richesse de la confrontation de ces deux origines, cela cause aussi des difficultés que « le Belge est accoutumé à les résoudre grâce à certaines facultés dont il n’a certes pas le monopole mais dont il a du moins- et qui sont : le bon sens, le respect des droits de chacun, et la solidité de ses institutions communales. Son bon sens répugne à l’intransigeance et à l’intolérance. Il recherche en toute chose la juste mesure. Il s’accommode d’instinct des solutions larges et libérales. Son respect des droits de chacun se retrouve dans sa charte fondamentale de 1831, comme dans ses « franchises », ses « paix » ses Joyeuses entrées » du Moyen-âge. Le caractère belge n’a rien du servilisme prussien, et il concilie parfaitement la volonté de vivre en commun- qui est l’essence même de l’esprit national- avec une grande variété de conceptions philosophiques et politiques, comme avec la différence des conditions sociales comme avec l’usage de deux langues traditionnelles. » (10)
la Belgique concilie parfaitement la volonté de vivre en commun qui est l’essence même d’un esprit national tant au point de vue des langues mais aussi reconnaissant la multiplicité des conceptions philosophiques et politiques. L’autonomie communale a d’ailleurs été décrite dans le texte fondateur de la Belgique facilite singulièrement la solution du problème « bilinguistique ». Malgré les nombreuses occupations étrangères, la Belgique a toujours été indépendantes dans ses provinces et ses communes.
Protestations officielles des Belges flamands et wallons en Belgique occupée.
L’opuscule qui nous occupe toujours, dès sa page 15, donne la parole à différents intervenants qui sont les copies de lettres envoyées à l’occupant allemand. Ainsi on peut y lire la lettre des notabilités politiques flamandes, protestant contre les activistes du soi-disant « Conseil des Flandres » et contre la division administrative du pays (12 mars 1917). Nous donnons en lecture (separation-administrative) ce premier texte puisqu’émanant des notables flamands.
Une deuxième lettre est envoyée par les notabilités politiques de Bruxelles et de Wallonie aussi à M. von Bethmann-Hollweg, chancelier de l’Empire Allemand, le 7 avril 1917. Le Cardinal Mercier ne sera pas en reste puisqu’il écrira une lettre de protestation au Gouverneur militaire de la Belgique qui est le Général von Falkenhausen, le 6 juin 1917. Ce dernier répondra par une fin de non recevoir invitant tous les religieux de Belgique à s’en tenir à l’exercice de leur mission religieuse.
Le 12 juin 1917, des notabilités belges ont écrit une lettre à M. von Bethmann-Hollweg pour dénoncer la séparation administrative et la déportation des fonctionnaires belges. Cette lettre sera suivie par celle des corps judiciaires de Belgique qui sera signée par près de 500 signataires qui vont du juge de paix aux plus hauts magistrats.
En date du 6 juillet, le Conseil communal d’Anvers écrit à son tour une lettre au gouverneur allemand d’Anvers à propos de la division administrative du pays. Cette lettre sera suivie par les conseils communaux des communes de l’agglomération bruxelloise adressée aux représentants diplomatiques des pays neutres, le 12 septembre 1917. Le fascicule se termine par la lettre envoyée par le gouvernement belge exilé à Saint-Adresse, avec une courte réponse du roi Albert Ier.
En conclusion on découvre dans cet opuscule de 47 pages qu’en fin de compte, si tout le monde est bien conscient, qu’en Belgique il y a des problèmes linguistiques, ceux-ci ne peuvent être résolus qu’en interne. Ce n’est pas une nation, qui en plus, se positionne comme agresseur qui va avoir une influence prépondérante sur l’évolution de la Belgique. En 1917, il semble bien clair que si des changements doivent avoir lieu, cela se fera après la guerre sans immiscion d’un quelconque autre pays. La lettres des notables flamands dressent un inventaire de tous les progrès en termes de reconnaissance de l’utilisation de la langue flamande dans la vie politique et administrative du pays. L’on voit se dessiner des revendications légitimes de mettre la langue flamande sur le même pied d’égalité que le français quant à son utilisation à tous les niveaux de pouvoir de l’Etat.
Si la reconnaissance de l’existence de deux langues nationales ne faisait pas de doute, il faut reconnaître que la langue française était la langue du gouvernement et du corps diplomatique. Et donc « le compromis à la belge » si bien décrit par Carton de Wiart, ci-dessus, allait avoir de beau jour devant lui ! Les Allemands ont manqué totalement de psychologie vis-à-vis des Belges qui se sont tous retrouvés unis derrière leur roi, ce qui a donné l’effet inverse de ce qu’ils attendaient.
Il est intéressant de lire ce livret à la lumières des luttes communautaires que la Belgique du XXIe siècle connaît. Les Allemands ont quand même réussit à introduire le vers dans le fruit.
Géry de Broqueville
(1) J. Mélot, « La propagande allemande et la question belge », Van Oest ed., Paris, 1917.
(2) Henri Carton de Wiart, « Ce que les belges de la Belgique envahie pensent de la séparation administrative », Bureau documentaire belge, décembre 1917, p.5.
(3) Lire le texte en cliquant ici.
(4) Carton de Wiart, op cit. p.6.
(5) Ibid. p.8.
(6) Le Schleswig est un ancien duché et une région à cheval entre le Danemark et l’Allemagne avec le Nord Schleswig ou Jutland-du-Sud, partie danoise du Schleswig et le Sud Schleswig, partie allemande du Schleswig, qui fait partie actuellement du land du Schleswig-Holstein.
(7) La province de Posnanie (en allemand : Provinz Posen) est une ancienne province du Royaume de Prusse. Sa capitale était Posen (Poznań). La Posnanie, bien que peuplée majoritairement de Polonais, comportait une importante minorité de langue allemande, surtout présente dans ses parties ouest et nord.
(8) Kautsky, sommité intellectuelle de la Sociale démocratie allemande, dans la Neue Zeit du 14 septembre 1917.
(9) Carton de Wiart, op cit. p. 10.
(10) Ibid. p.11.