2500 belges vivent entre 1914 et 1918 à Sainte-Adresse qui est devenue une véritable principauté belge avec ses postes et télégraphes, ses timbres à l’effigie du roi Albert Ier oblitérés le Havre spécial ou Sainte-adresse et ses légations d’Angleterre, de Russie, du saint-Siège, de l’Italie, du Chili, du Brésil, du Japon, de la Norvège, de l’Espagne, de la Roumanie et des Pays-Bas. Les diplomate habitent l’hôtel des Régates et se promènent sur des boulevards rebaptisés « Albert Ier et Boulevard du Roi des belges. Devant les villas occupées par nos ministres des gendarmes belges sont de faction. On lit chaque jour, depuis le 12 novembre 1914, le quotidien « Le XXe siècle » dirigé au Havre par Fernand Neuray. « Le Moniteur belge « paraît le 17 octobre 1914 et bientôt « Le Courrier de l’Armée » et « Het Vaderland ».
Firmin van den Bosch, fonctionnaire belge, nous livre quelques réflexions sur une journée à Sainte-Adresse : «La journée s’ouvre, tous les matins, par le salut aux couleurs dans la cour du ministère de la Guerre : des officiers, des fonctionnaires, des soldats blessés, quelques réfugiés crient « Vive le roi, Vive la Belgique » et muni de ce viatique, chacun s’en va à sa tâche coutumière. Et cela est simple. Bref et grave comme il convient à la prière du matin du patriotisme en exil.
Dix heures. Devant le grand bâtiment dénommé, en lettre blanche sur émail bleu, Palais des ministères, les automobiles se succèdent et l’un après l’autre les ministres descendent, marqué chacun de ce trait propre par lequel ils sont dès lors entrés dans l’histoire ou dans la légende : voici la redingote académique de M. Carton de Wiart et le feutre sur les yeux de M. Renkin ; voici l’allure «Cruelle énigme» du baron Beyens, le long profil élyséen de M. Poullet et la myopie inquisitoriale de M. Segers. Mgr Deploige vit à l’état de billet circulaire : Le Havre-Paris-Rome-Londres-Le Havre… Mgr Deploige a assumé le rôle d’aumôniers du parlementarisme en exil. Et M. Schollaert, pasteur sans troupeau, voue aux mutilés de guerre sa paternelle bonhomie.
Chaque fin de semaine, amène pour deux jours à Sainte-Adresse le Premier ministre. Sa quarante chevaux brûle les 300 km qui séparent Le Havre du ministère de la Guerre installé, là-bas, à proximité du front, dans un vieux château entouré de frondaisons touffues (Steenebourg) ; le baron de Broqueville a quitté la bataille pour venir faire de l’escrime politique et mondaine. Il préside le Conseil des ministres, reçoit et rend des visites, met à jour son courrier.
Puis aux fins d’après-midi, «oncle Charles» part en promenade, entouré d’une guirlande de nièces. Sur les cailloux de la grève ou le chemin rocailleux de la Hève, les nièces de hasard gambadent autour du vieil oncle si jeune, si brillant, si séducteur. Et le soir, à l’hostellerie, après dîner et avant la veille laborieuse, dans le cercle intime de la famille ministérielle, M. de Broqueville préfère à une heure de musique, une heure de conversation. Telle dame lève les yeux de son tricot de soldat : Mme Renkin dont le fils a été tué au front a une douce ironie dans son regard mélancolique ; Mme Carton de Wiart donne la réplique avec la plus alerte vivacité. Quand l’horloge sonne 10 heures, Renkin, les yeux lourds de sommeil derrière son binocle donne le signal du couvre-feu. D’un pas alerte, Broqueville regagne sa villa dont les fenêtres éclairées projettent pendant longtemps des reflets dorés sur le chemin noir.
Le lendemain Edmond Patris qui sait tout, pourra dire : «Broqueville est reparti ce matin à six heures et demi pour le front.»
La baronne Houtart raconte
Fille du ministre Carton de Wiart, la baronne Houtart tient son journal. Parcourons-le :
21 juillet : fête nationale belge ; salut au drapeau ; Te Deum à 11h ; Concert au théâtre.
28 septembre : A l’église de Sainte-Adresse, paroisse belge des exilés, service à la mémoire d’Arthur Verhaegen, membre de la chambre des Représentants, mort en Belgique de retour d’un camp de concentration.
14 janvier 1918 : René Bazin et sa fille, en route pour l’Angleterre viennent loger à l’hostellerie, trop de sous-marins et pas de bateaux pour l’Angleterre aujourd’hui.
15 janvier : Les Bazin sont toujours avec nous : il nous lit la conférence qu’il fera à Londres : « Français et Anglais, les raisons de nous aimer ». Le soir on apprend qu’un bateau part pour Southampton. Les Bazin le prennent.
10 février vers 11h30, un dirigeable français heurte la falaise derrière l’hostellerie et flambe. Des hommes meurent dans les flammes, un autre s’est jeté par dessus bord, juste à temps. Je l’aide comme je peux en roulant ma veste en polochon sous sa tête ; il commence à râler mais garde assez de conscience pour crier « Allez-vous-en ! Vite ! Les bombes vont exploser ».
« L’une explose, puis une autre ; des membres carbonisés sont projetés ; des ferrailles incandescantes blessent une vingtaine de personnes accourues ; toutes les vitres de l’hostellerie éclatent ; on amène les blessés dans le hall ; les ambulances arrivent à 12h45.
La dernière victime est partie. « Les 5 ans de ma sœur se souviennent du bras dans la gouttière de sa chambre.
Ce dirigeable de construction anglaise était de la série Water baby. Plusieurs d’entre eux survolaient la rade et étaient spécialisés dans le repérage des sous-marins ennemis ».
(extrait de la page consacrée à Sainte-Adresse dans La libre Belgique des 21-22-23 mai 1988)
Géry de Broqueville
(1) Au dos de cette photo est noté « Au petit cousin Jacques en souvenir d’une partie de tennis à Sainte-adresse avec une petite cousine, mai 1916 ». On voit Jacques à droite. Le tennis est situé à gauche, c’est-à-dire à l’arrière de l’Hostellerie de sainte-Adresse.