Voici une nouvelle série de textes écrit dans des journaux de diverses époques qui abordent des actions politiques ou une description de Charles de Broqueville. Ce texte est alors recopié d’un article avec des commentaires éventuels de ma part qui se retrouvent dans les notes. Ici je commence par un texte publié dans la revue parisienne Excelsior datée du 5 août 1915 et signé par Firmin Vanden Bosch. (1)
Il y a deux ans, nous étions quelques belges, conduits par M. Henry Carton de Wiart qui allâmes assister; à Bergues, à l’inauguration du buste de Lamartine… Dans ce cadre délicieusement archaïque de vieux murs, d’eaux dormantes, de hautes tours dressées, en symboles d’histoire, au-dessus des plaines de Flandre, la grande éloquence de M. Paul Deschanel et de M. Denis Cochin magnifia le poète et le politique; et l’éloquence familière de M. Henri Cochin (2) restitua, au député de Bergues, la plus vivant et amusante ambiance électorale…
J’ai revu l’autre jour Bergues : les obus allemands ont tragiquement troublé sa paisible vie provinciale, fait clore en hâte les portes et les fenêtres de ces vétustes demeures, obligé à la fuite une partie de ses habitants et, sacrilège semblable à tant d’autres sacrilèges, blessé cruellement les merveilles séculaires de sa grande place. Mais l’image de Lamartine est toujours là, intacte et inviolée ! Et le regard de l’aigle domine, souverain et vengeur, l’œuvre des vautours ! Et, dans le silence tragique de la petite ville meurtrie; il me semblait que flottaient épars – saisissante adaptation actuelle- des fragments de cette réponse à Némésis, écrite par Lamartine à Bergues même , dans une chambre de l’Hôtel de la Tête d’Or.
C’est l’heure de combattre avec l’arme qui reste, C’est l’heure de monter au rostre ensanglanté Et de défendre au moins de la voix et du gesre Rome, les dieux, la liberté !Le lendemain, je retrouvais la grande ombre de Lamartine apaisée et rêveuse, sous les calmes ombrages de S… (3) La délicieuse oasis de paix, à quelques lieues de l’infernale bataille ! Dans ce manoir familial des Cochin enfoui dans la verdure, Lamartine souvent promena ses grands songes de poète et ses hautes visions de politique. Et cette même demeure, illustrée par le souvenir du génie, abrite aujourd’hui par intervalles, l’Homme d’État, qui au coté du Roi Albert, incarne de nos jours de douleur et de vaillance, l’âme de la Belgique combattante et souffrante ; Là le baron de Broqueville vient faire halte entre la vie politique de Sainte-Adresse et la vie militaire du quartier général – chercher comme il me le disait avec une si jolie simplicité, « les heures de solitude, de silence et de réflexion, nécessaire en son métier« …
Redoutable « métier » ! Il voue cette homme à faire face aux besoins renouvelés d’une petite armée que la guerre éprouva durement, mais qui ne prétend pas abdiquer : il l’oblige à veiller de loin, avec un souci qui change chaque jour d’objet, sur un pays enchaîné et martyrisé ; Il l’astreint à supporter les graves problèmes d’ordre moral et matériel dont la libération et la reconstitution de la Belgique requerront la prompte et impérieuse solution !…
Heureusement que cet homme est taillé à la mesure d’une telle tâche ; par ses idées et par ses actes, il a créé, entre le passé, le présent et l’avenir, cet eurythmie qui désigne les vrais homme d’État !
Aussi en voyant dans ces sentiers de recueillement où erra Lamartine, passer la haute et fière silhouette du baron de Broqueville, un rapprochement s’imposa à moi entre le premier ministre de Belgique et l’écrivain de cette Politique rationnelle, qui fut le dédoublement du poète des Méditations.
Dans le cadre restreint d’histoire, si soudainement glorieux, que Dieu assigna à son activité, les « premier » de Belgique – Comme Lamartine – osa regarder en avant de son temps ; Il sut prévoir et il sut vouloir, et par là il dota d’une armée son pays, lui ré-enseigna la discipline du patriotisme, trop oubliée dans une longue prospérité, et lui permit au moment du danger, de garder l’honneur ! Et comme Lamartine encore, lors de son premier échec à Bergues, M. de Broqueville, pour cette œuvre d’avenir, connut l’assaut coalisé des routines et des égoïsmes ; Il en triompha par son obstination et son talent – servis d’ailleurs par des dons incomparables de séduction personnelle.
Et l’on pourrait appliquer à l’Homme d’État belge, l’éloge de M. Paul Deschanel (4)- lors des Solennités de Bergues- adressait à l’auteur de la Politique rationnelle : « Il eut toutes les ambitions que puisse concevoir une grande âme : gouverner un pays libre par la raison, le sauver par le courage, le laisser intact par le territoire« .
Et enfin, rapprochant les deux drapeaux aujourd’hui alliés, n’est-il pas permis d’affirmer- comme le disait, de son coté, M. Carton de Wiart en parlant de Lamartine, à Bergues – que M. de Broqueville rendit au drapeau belge le même service immortel que Lamartine au drapeau français : il l’a glorifié, il l’a défendu, et, dans une heure tragique, il l’a sauvé !
Firmin Vanden Bosch (avocat général)
Texte en pdf, cliquez sur la référence : Presse291-Excelsior.
(1) Firmin Vanden Bosch signe son texte en tant qu’avocat général. Mais a aussi un plume qui le fera entrer en 1936 à l’académie à Bruxelles. Sa biographie peut être découverte ici. (2) Le baron Henri Cochin est avocat au parlement de Paris. Il est aussi écrivain. Il est le propriétaire du château de saint-Pierrebroeck. (3) Il s’agit de Saint-Pierrebroeck (4) Paul Deschanel est un homme politique français et écrivain. Il a été pendant quelques mois Président de la République française mais a du démissionner pour des raison de santé. Lire sa biographie.