Charles de Broqueville ayant décidé de renoncer définitivement au pouvoir, a accepté, étrangement, le poste de sénateur de Namur, lors des élections de novembre 1919. Malgré son renoncement voulait-il garder un pied dans la politique ? Il fut sensible à l’octroi du titre de Comte par le Roi en janvier 1920. Le peuple avait beaucoup souffert durant la guerre et dans l’immédiate après guerre, une fièvre de dénonciations a commencé, les uns qui avaient tout arrêté pour ne pas collaborer avec l’occupant contre les autres qui avaient travaillés au service du peuple même si leur production avaient été ponctionnée par les Allemands. L’heure du règlement des comptes avait sonné. Tout le monde y passe et chacun dénonce l’autre.
Emile Vandervelde, ministre de la justice, aurait voulu maintenir celle-ci dans de justes limites. « Selon lui, le fait d’avoir conservé en état de marche son usine, dans un intérêt à la fois privé et national, quitte à livrer une partie de la production aux Allemands, n’était pas répréhensible en soi ; il fallait pour qu’on inculpât la direction, que le but de trahison fut prouvé. » (Haag 701) Lemonnier critiqua cette interprétation et Vandervelde dut faire marche arrière : une nouvelle circulaire du 14 février 1919 incita les parquets à poursuivre les suspects avec la plus grande rigueur.
Dans la recherche du coupable l’attention est tombée très vite sure le baron Coppée. La rumeur l’accusait d’avoir collaboré avec l’Allemand, d’avoir fait bombance, de s’être enrichi durant la guerre. Peu de temps après l’armistice il avait déjà la Sureté de l’État à ses trousses. Un enquête judiciaire fut ouverte à son encontre le 14 avril 1919. Pendant plus d’un an les interrogatoires succèdent aux perquisitions. Coppée qui cherchait des appuis a écrit à Broqueville qui avait discuté, en 1916, de la question charbonnière et avait servi d’intermédiaire pour les sondages de paix en 1917. La situation était périlleuse pour tout le monde et ce y compris pour Broqueville, bien que son aura était grande. Broqueville répondit par une lettre qui était en fait une fin de non-recevoir. Le 4 juin 1920, Coppée père et fils sont arrêté et interné à la prison de Forest. Le Soir et la presse de gauche triomphaient.
C’est au fils Coppée d’appeler au secours. Broqueville répondit en ces termes, le 8 juin 1920 : « Mon cher Coppée, Voici textuellement ce que je retrouve dans mes notes au sujet de la recommandation faite à votre père en matière de charbon. En accord avec le conseil, je recommandai au baron Coppée de faire l’impossible pour que nos populations aient du charbon à suffisance, dut-on même pour cela en fournir beaucoup de charbon aux Allemands. Je remuai ciel et terre pour qu’on ne laisse pas mourir nos populations de faim ; il fallait qu’on fasse la même chose pour qu’elle ne meure pas de froid. Le baron Coppée m’assura qu’il s’efforcerait de faire de son mieux. Tout cordial souvenir. Broqueville » (Haag 705)
Le 23 juin 1920, le juge d’instruction Devos qui avait eu connaissance par Coppée fils de la lettre ci-dessus sonna au 32 rue Joseph II, domicile de Charles de Broqueville. Ce dernier lui confirma ses dires. A la question des sous-produits, Broqueville ne se souvenait plus des recommandations qu’il avait faites. Un mois plus tard Jules Renkin, ancien ministre, était devenu l’avocat de Coppée demanda des précisions à Broqueville.
« Si j’ai déclaré que je n’étais sûr que de mes paroles au sujets des charbons et des cokes, c’est que je ne voulais affirmer que ce dont j’étais absolument sûr. D’ailleurs entre un homme compétent comme le baron Coppée et un homme informé et au courant comme moi, la questions des sous-produits ne pouvait se poser du moment où on autorisait la fourniture des charbons et cokes. Pour tout homme averti ce dérivé découlait du principal et, pas plus que moi, le baron Coppée ne pouvait s’y méprendre… Au surplus, je n’oserais nullement affirmer que je n’ai pas parlé des sous-produits comme des charbons et cokes ; ce qui me fait croire que je ne l’ai pas fait, c’est que dans ma pensée cela ne pouvait que se confondre« .
En août 1920, Broqueville partit à Châtelguyon pour se reposer avant le grand combat de la rentrée. Les accusateurs faisaient tout pour que Broqueville s’en tienne à son témoignage sans rien rajouter de plus pour faire chuter définitivement les Coppée qui allait ainsi droit vers la Cour d’assises. Broqueville allait probablement aussi vers une chute définitive ce que voulaient aussi les accusateurs et tous ses ennemis politiques. Ou bien il abandonnait ses amis à leur sort, ou bien il plongeait dans la tempête. Broqueville en connut d’autres comme la réponse à l’ultimatum, la retraite d’Anvers, la poursuite de la résistance sur l’Yser, le sondage de paix von der Lancken. Il décida de faire le saut non pas vers l’inconnu mais dans le trop bien connu des passions et de la haine.
Devos fut appelé le 7 octobre. En compulsant ses dossiers, lui déclara-t-il, il était tombé sur des carnets aide-mémoires, où, autrefois, il avait noté ses actes et ses conversations. Ces documents prouvaient qu’il avait donné la permission, non seulement d’extraire du charbon mais aussi des sous-produits. Il fallait qu’aucun belges ne souffrent du froid. C’était très explicite.
Le procureur général, contrarié au plus au degré par ce témoignage se résolut à libérer les deux Coppée avec la remarque « attendu que provisoirement ne sont plus seuls à supporter la responsabilité des faits incriminés« . Cette phrase montre clairement qu’aux yeux de la justice, la responsabilité de Broqueville était engagée. L’affaire devenait l’affaire Coppée-Broqueville.
Géry de Broqueville