Le gouvernement Poullet-Vandervelde a tenu un an. Jaspar a été chargé de former un nouveau gouvernement. Il a de suite proposé à Charles de Broqueville le poste de ministre de la Défense nationale qu’il a accepté avec joie. Il retournait à ses premiers amours en 1912 où il pouvait enfin travailler à la remise en place d’une armée solide face à la revanche qui se prépare en Allemagne. Sans hésitation il nomma comme chef de son cabinet militaire le général Nuyten, disciple de Galet Ce dernier qui était autrefois honni par Broqueville était devenu son favori. L’histoire n’a pas retenu la raison de cette nomination. Etait-ce le résultat d’un accord politique pour revenir à la politique ? En tout cas, il y a la certitude que le Souverain ne voulait plus aucune tension vives et dangereuses comme il y en avait eu dans le passé entre l’entourage du ministre et celui du Roi.
L’état de l’armée laissait à désirer mais il n’était pas encore temps d’équiper à nouveau l’armée puisque le gouvernement Jaspar-Francqui devait s’atteler au redressement des finances publiques. L’administration centrale fut réorganisée de manière à diminuer les tensions lors des nominations. Les rouages de l’armée furent adaptés au régime des 10 mois de services ; les divisions sur pied de guerre réduite de 18 à 12 et parmi ces 12, les 6 divisions d’actives ont reçu le maximum de soins. Partout donc, les maîtres-mots étaient initiatives et activités.
Le Roi et Galet imaginait une armée de métier active et très solide, véritable armée de métier qui ne devait plus faire appel à des innombrables hommes qui ne seraient jamais qu’une foule armée, incapable même de conserver un matériel considérable acquis à grand frais. Au début de 1927, Vandervelde avertit Broqueville que sans le service de 6 mois, lui-même et ses collègues socialistes seraient obligés de quitter le gouvernement. Broqueville fit une déclaration au Conseil le 28 février demanda du temps pour travailler sur la diminution du service au environ de 6 mois en se donnant jusqu’au congé parlementaire de juillet pour analyser toutes les possibilités et faire ainsi des propositions solides au moment de la rentrée parlementaire de septembre. Broqueville s’attela à la tâche. L’enjeu était de réduire de 10 mois à 6 mois le service militaire aux yeux des socialistes. Le général Galet voulait une armée de métier. Les français voyait d’un mauvais oeil une armée belge de métier qui serait alimentée en cas d’attaque par des réservistes n’ayant eu que 6 mois de formation autant dire rien du tout. L’armée belge serait alors balayée rapidement par l’ennemi. Le général Galet finit par consentir une diminution de 10 mois à 8 mois. Les socialistes furent déçu de l’opiniâtreté des militaires qui voulaient à tout prix conserver les 10 mois. Arriverait-on à s’entendre juste avant la rentrée des chambres ?
Jaspar et Broqueville proposèrent la création d’une commission mixte militaire et civile. Ce serait pour l’extrême gauche de pouvoir discuter avec les militaires. Déjà trop engagé sur les 6 mois de service, il ne fallait pas que les socialistes perdent la face ! Le gouvernement démissionna et fut reformé aussitôt, le 22 novembre 1927, sous la forme d’un cabinet mixte catholique-libéral. Broqueville conserva son portefeuille.
La commission mixte (29/12/1927-3/05/1928)
Les ponts étaient coupés avec les socialistes, Broqueville avait les coudées franches. La commission se réunit plus de 33 fois pour permettre aux deux partis de gauche mais aussi au démocrate-chrétiens de comprendre les réticences de l’état-major à propos de la diminution du temps de service militaire.
Galet a été le premier des généraux a s’exprimer lors de la première rencontre. La clarté de sa présentation a été telle qu’il a fait forte impression. Six mois plus tard la commission a rejeté la proposition de 6 mois à l’unanimité moins une voix. Cette commision proposa des services différents :8 mois pour la troupe, de 12 à 14 mois pour des corps particuliers comme la cavalerie ou les cadres des forteresses.
Les 8 mois de service
Le gouvernement se rallia à ces vues qu’il présenta sous forme de projet de loi, le 24 mai 1928. Il fallait encore passer l’obstacle du parlement où les sociaux-chrétiens flamands étaient favorables aux 6 mois. Préoccupés par la réduction du temps de service à 6 mois les parlementaires flamand l’étaient encore plus par la réforme du régime linguistique de l’armée, problème ancien et grave comme nous l’avons vu durant la guerre de 14-18. Des négociations s’engagèrent en commission et dans les couloirs. Poullet s’avéra un intermédiaire habile et efficace. Les démocrates-chrétiens renoncèrent aux 6 mois pour obtenir des concessions linguistiques à savoir l’instruction complète du soldat dans sa langue maternelle et l’emploi de celle-ci dans les rapports entre les officiers et leurs subordonnés. Une loi consacrait le recrutement régional, déjà en vigueur depuis 1923 ; toutefois les relations entre officiers continuerait à se faire en français.
Assuré de l’appui de sa majorité, Broqueville défendit la loi en faisant 2 discours dont l’un pris plus de 3 heures. Il prit 74 fois la parole. Après 116 heures de débat, il l’emporta de haute lutte. Il recommença les mêmes efforts au Sénat. Cette loi a été laborieuse, mais vu le contexte et l’état des forces en présence, elle a été la moins mauvaise possible. (Haag 741)
Les fortifications
L’état-major avait admis les modifications du temps de service qu’à certaines conditions notamment l’érection de fortifications. A son arrivée dans le ministère de la Défense, Broqueville avait trouvé les forts dans l’état laissé en 1918, à savoir, détruits ou inutilisables. Dès octobre 1926, il avait mis sur pied une commission qui allait travailler sur la nouvelle utilisation des forts. En février 1927, cette commission avait conclu qu’il fallait les restaurer en vue d’abriter la troupe contre une première attaque.
Broqueville demanda un crédit de 300 million mais cela provoqua une tempête de réaction notamment de la part d’Albert Devèze qui préconisait la construction de nouveaux fort en avant de ceux de Liège, plus près de la frontière. Ce fut le début d’une polémique d’autant plus importante que la presse s’en mêla en introduisant des éléments sentimentaux. L’opposition wallonne était tout aussi forte que celle des flamands pour les forts d’Anvers et de Gand. Découragé le Roi suivait l’affaire de près. Broqueville croyait qu’il était capable de faire avaler le morceau mais son aura n’était pas le même qu’en 1913. Ce dernier pensa qu’il valait mieux jeter du lest. Même Galet fit marche arrière. Ces moments de lutte montrait que le pouvoir de Devèze et de ses amis augmentait au point de faire barrage à la droite. Mais l’accord entre Devèze et Galet a été préparé soigneusement et réalisé le 16 avril 1931 lors d’un dîner offert par Broqueville. Galet rajouta à son plan initial une zone de fortification en avant des forts de Liège.
Une fois que catholiques et libéraux d’accord, Broqueville présenta le projet au parlement. ce fut de nouveau une dure lutte mais le vote ne passa pas au vu des oppositions mais aussi à cause d’une erreur tactique de Jaspar en tant que chef de cabinet et de Broqueville. Ces derniers avaient omis de parler aux libéraux des changements de dernière minute. Vandervelde profita de cette faille pour attaquer de front Broqueville tout en fouettant la vanité de Devèze. Celui-ci ne se contint plus, nerveux, la figure congestionnée, il se lança dans un discours improvisé, parla de gestes symboliques, d’honneur bafoué, de défaillances. Certains de ses collègues approuvèrent. Le ministre libéral Bovesse quitta ostensiblement le banc gouvernemental pour reprendre sa place de député. Le cabinet démissionna sur le champ. C’était le bête accident en fin de parcours.
Le dernier gouvernement Jaspar était condamné. Le roi nomma Renkin pour former un nouveau gouvernement dont Broqueville était exclu.
Géry de Broqueville
(1) L’épouse de Charles de Broqueville s’ennuyait durant ces visites officielles. Elle préférait nettement rester à Postel et vivre sa passion pour la tenderie. Mme de Broqueville était donc, Myriam, l’unique fille de Charles et Berthe qui accompagnait la plupart du temps son père dans des visites aux armées et dans des dîners officiels. Elle avait le répondant politique nécessaire pour assumer avec brio ce rôle. Son poste de Chef des Guides Catholiques de Belgique et ses rencontres aux sommets en Europe et aux Etats-Unis lui a donné probablement la diplomatie nécessaire pour tenir ce rôle. (Voir son engagement scout en cliquant ici)