Le 18 mars 1918, André de Broqueville, le fils du ministre est gravement blessé à Oud-Stuyvenskerke. Un moment, on a cru ses jours en danger. Ce fut une épreuve personnelle difficile d’autant qu’en juin 1917, il avait assisté à l’enterrement de son filleul Freddy d’Huart.
Au moment le plus fort de l’attaque de Ludendorff en Picardie dans un premier temps (21 mars) puis en Flandre (9 avril), Broqueville devait paré à toute éventualité comme d’éventuellement évacué la base de Calais plus au Sud. Cela nécessitait alors plus de 2.200 wagons et 720 camions. Le moment était très grave puisque les Allemands ont réussit à enfoncer l’armée anglaise qui préfigurait l’encerclement de l’armée française d’une part et belge d’autre part.
Le Roi était toujours plus sollicité par le commandement allié de faire passer le sien en leur sein, ce qu’il refusa une fois de plus. Le Roi avait démis de ses fonctions le général Rucquoy pour une raison encore inconnue et avait nommé, le 10 avril, le général Gillain, sans prévenir personne. Le gouvernement du Havre a décidé de faire une lettre de protestation qui est plus une attaque contre le Roi qu’envers son ministre de la Guerre de Ceuninck qui avait été nommé en août 1917 : « Le conseil décide que la désignation du chef de l’état-major est une mesure d’ordre gouvernementale, qui doit être soumise à son avis » (Haag 653)
Le 24 avril, Broqueville était chez le Roi, toujours en pleine offensive allemande. A la fin de la réunion, Broqueville glissa dans sa main une note rédigée par son secrétaire « mais qu’il n’a pas eu le temps de lire très attentivement ». Ce texte tentait de prouver, par des arguments juridiques, que le Roi n’avait pas le droit de commander personnellement l’armée : Le commandant de l’armée, disait en substance Louis de Lichtervelde, est une prérogative d’ordre gouvernemental, soumise comme toute les autres au contreseing ministériel.
Le Roi faillit s’étrangler de fureur. Léopold III dira plus tard qu’il n’avait jamais vu son père avec une telle fureur concentrée. Le Roi somma Broqueville de lui dire s’il était d’accord avec cette note. Dans une lettre du 26 avril, le Roi, ne décolérant pas, justifia sa prise de commandement depuis le 4 août 1914. (Haag 654)
Comment se fait-il que Broqueville qui avait été si habile jusqu’à cette date, se tirait à ce point une balle dans le pied. C’était cousu de fil blanc que cette note n’allait pas être acceptée par le Roi ! Broqueville devait probablement être pressé par le commandement français pour que le roi accepte, enfin, de se mettre sous les ordres du commandement allié. Le 29 avril, Broqueville écrivit au Roi pour débattre de la question. Le Roi ne lui répondit pas et ne le reçu pas. Le 1er mai, il écrivit au Roi pour s’excuser de sa maladresse. Dans sa colère, le Roi avait dit de Broqueville qu’il était un fourbe. Haag conclu que Broqueville n’était pas un fourbe mais un mauvais calculateur.
Le secrétaire du Roi, Jehay prétend que l’erreur de Broqueville était de l’ordre de l’imprudence et de l’étourderie. Il est vrai que l’usure du pouvoir, mais aussi l’habitude, entraine un relâchement de la surveillance du premier mouvement de l’un par rapport à l’autre. N’oublions pas que si le Roi et Broqueville se sont très bien entendu maintes fois, il n’empêche qu’ils se sont pas amis. Chacun porte un masque continuel qui met une pression parfois terrible sur les épaules de l’autre. Il arrive au meilleur de commettre des impairs.
Broqueville avait toujours avancé à pas feutré face au Roi. Il n’abordait jamais les questions de face. Ici, les demandes pressantes de Foch face à un front en pleine dislocation aurait valu que le Roi lâche du lest. Sachant que le Roi est totalement opposé à cette idée, Broqueville a voulu transmettre, par la bande, une idée que le Roi aurait refusé de toute manière. Broqueville avait déjà maintes fois usé de cette manière, comme une sorte de message codé, de faire comprendre au Roi qu’il fallait aborder la demande de Foch d’une autre façon. La réaction du Roi montrait à Broqueville que le Roi n’avait pas compris le message, ce qui montre combien cette question lancinante touche le Roi au plus profond de son être. Le sort de Broqueville était déjà scellé.
Le 24 mai 1918, le Roi reçut la démission de Broqueville. Il prit sa décision le 29 mai car il voulait prendre le temps nécessaire pour nommer Cooreman. Le Roi écrivit à Broqueville : « Les raisons qui motivent votre démission me convainquent de l’inutilité de toute tentative pour la modifier. C’est avec regret que je l’accepte. Personne, plus que moi, ne connaît les services éminents que vous avez rendus à la Belgique » (Haag 665)
Géry de Broqueville