Jacques de Broqueville, Ludovic Moncheur et Charles de Broqueville en voiture sur le Mont Revard en juin 1917

Jacques de Broqueville, Ludovic Moncheur et Charles de Broqueville en voiture sur le Mont Revard en juin 1917

Quelques photos éparses dans un des albums photos de mon grand-père m’ont étonné plus d’une fois (voir album ci-dessous). Mais que faisait donc Charles de Broqueville en juin 1917 à Aix-les-Bains. En relisant l’excellent travail de Henri Haag sur mon arrière-grand-père, tout s’éclaire entre les pages 589 et 596. (1) Le baron Coppée (2) est un industriel belge, président de la Fédération des associations  de charbonnages en Belgique et est membre du Comité se secours en Belgique occupée. le 27 janvier 1917, Il contacte Broqueville discrètement qui est à Steenbourg à ce moment-là, en signalant que von der Lancken,  serait susceptible de pouvoir s’entretenir avec lui pour lui parler des attitudes conciliantes de l’empereur et du chancelier allemands. Coppée fut reçut le 28 janvier par le Roi et de nouveau par Broqueville. Ce dernier temporisa Coppée car il savait que le général Nivelle, remplaçant de Joffre, allait lancer une grande offensive. Coppée patienta et parti à Rome où il fut reçu par le Pape. De retour en France, Coppée retrouve Broqueville dès le mois d’avril. Le général Nivelle n’avait pas ménagé ses troupes et plus de 270.000 soldats français sont morts pour quelques kilomètres gagnés durant deux offensives, dans la seconde moitié du mois d’avril.

Face à ces trop nombreux morts, la révolte gronde dans l’armée française. Nivelle est remplacé par Pétain. Devant les échecs militaires, Broqueville et Coppée conviennent d’essayer d’entrer en contact avec le diplomate allemand von der Lancken. Le faire traverser les lignes est beaucoup trop dangereux d’autant que les uns et les autres veulent que cette rencontre soit strictement confidentielle.

Il fut décidé que Mme de Broqueville allait jouer un rôle, bien malgré elle, dans cet essai de rencontre. En effet, l’épouse du chef de gouvernement était toujours en Belgique occupée avec sa fille Myriam. Les archives familiales possèdent d’ailleurs du courrier entre Myriam et son père et ses frères daté de 1916. Dans ces lettres, on sent bien que les deux femmes rêvent de revoir « leurs hommes » tous engagés ans la lutte contre l’occupant allemands. (3)

De retour à Bruxelles, fin mai, Coppée rencontra le diplomate allemand le 4 ou le 5 juin pour voir s’il avait toujours des dispositions pacifiques. La seconde rencontre eut lieu le 14 juin car, de retour de Berlin, le diplomate Lancken avait reçut les assurances du chancelier Bethmann-Hollweg que l’Allemagne serait disposée de discuter à propos d’une paix, non pas séparée, mais générale.

Il ne voyageait pas seul

Le point de rencontre envisagé serait Berne en Suisse, van der Lancken arriverait en Suisse par train. Au même moment,  Mme de Broqueville et sa fille accompagnées par Coppée aurait pu rencontrer, pour la première fois leur mari et père, séparé depuis le 4 août 1914. Ainsi, les deux femmes quittent la Belgique le 25 juin en compagnie de Coppée. Le chef de cabinet est prévenu, on ne sait pas comment, et est déjà arrivé à Aix-les-Bains, sous prétexte de cure (4).

Une information très intéressante que les historiens, dont Henri Haag, ne pouvaient pas connaître est ce qui est indiqué dans le dossier militaire de Jacques de Broqueville. On y découvre que du 4 juin au 6 juillet 1917, il est mis à la disposition du ministre de la guerre, à Aix-les-Bains, Savoie (France).

L’on sait aussi que Charles de Broqueville assiste à l’enterrement de Frédéric d’Huart, le 9 juin, à la base de Calais, son filleul mort à la guerre. C’est donc après cette date que le ministre Broqueville est arrivé en Savoie probablement pour le repos, car des photos montrent qu’il fait une excursion sur le Mont Revard. De manière étonnante, les photos révèlent qu’il voyage, non seulement avec son fils Jacques mais aussi avec le baron Moncheur (5) accompagné de l’un ou l’autre militaire et un chauffeur.

A la lumière de ce que nous dit Haag, il y avait bien autre chose qui se tramait. Excellent diplomate, la présence de Moncheur durant un voyage d’agrément aurait pu éveiller les soupçons Ce ne fut pas le cas. La preuve, aucun historien ne note la présence du diplomate au coté de Broqueville durant la seconde moitié du mois de juin. Les discussions devaient être passionnantes d’autant que le baron Moncheur revenait d’une mission aux Etats-Unis envoyés par le ministre de la Justice M. Beyens.

Broqueville a rédigé une note sur lettre à entête du Regina Hotel Bernascon et Villa Regina (Aix-les-Bains) (6), non datée: « Entrevue envisagée. But : Etablir entre l’Allemagne et la Belgique, et si possible avec les alliés, une atmosphère plus calme, plus propice à une intervention du gouvernement belge comme intermédiaire auquel s’adresserait le gouvernement allemand pour amener une conférence entre belligérants. Indiquer dans cette entrevue les modifications que veut le gouvernement belge quant aux procédés d’occupation allemande de la Belgique. Les principaux seraient : 1° Cessation des déportations de civils en Allemagne dans la zone du gouvernement civil et rapatriement de tous les déportés. Cessation des déportations de civil dans la zone dans la zone des étapes pour travailler à des travaux militaires ou autres, et renvoi de ceux qui ont été déportés. 2° Suspension de la séparation administrative de la Belgique. Fonctionnaires envoyés en Allemagne, admis à rentrer en Belgique. 3° Réquisition des cuivres et laines faites avec modération. Coup des forêts… s’ils est impossible de demander leur suspension… » (7)

Quelques autres revendications se trouvent aussi notés dans ce document. En partant de Bruxelles, Coppée ignorait que Lancken était aussi en contact avec Aristide Briand (8), président du conseil français, via la comtesse de Mérode. Celle-ci a rencontré fortuitement Coppée à Paris et s’est doutée de la similitude de la démarche. Coppée a mis Broqueville au courant et celui-ci prétexta la mort de Schollaert le 29 juin pour quitter précipitamment Aix-les-Bains et être présent au Havre pour l’enterrement du président de la Chambre qui a eu lieu le 3 juillet. Dans l’espoir d’arranger une rencontre après l’enterrement de Schollaert, von der Lancken prolongea la durée du visa de la baronne de Broqueville de deux mois en vue d’organiser une rencontre à Berne du ministre Broqueville avec probablement aussi la présence d’Aristide Briand, selon les dires de la comtesse de Mérode.

Rien n’est moins sur de cela. Aucune trace écrite n’existe à ce sujet. La tentative de rencontre a été reportée a une date ultérieure. La preuve que rien n’avait été envisagé comme rencontre après l’enterrement de Schollaert est que Berthe d’Huart était déjà fin juin  en barque sur le lac du Bourget à Aix-les-Bains, avec sa fille Myriam, selon l’album de photo en ma possession. Cette photo doit probablement dater du 30 juin. Cela veut dire aussi que Berthe d’Huart n’a du voir son mari que quelques heures avant de ce dernier ne repartent au Havre.

Ce qui est sûr aussi, c’est que Jacques est remonté vers le front en s’arrêtant à Enghien-les-Bains (Nord-ouest de Paris) puisque nous avons une photo de lui dans le jardin d’une villa daté de juillet 1917. Il a du loger à cet endroit puis est passé au château de Steenbourg où il a pris quelques photos de ses frères pour rejoindre ensuite, le 6 juillet, le 2e régiment d’artillerie lourde.

En août 1917, le Service photographique de l’armée réalise une série de clichés officiels, au château de Steenbourg, montrant la famille à nouveau réunie après la séparation du 4 août 1914. Voilà donc quelques photos anodines qui nous donnent des réponses à des questions posées par des historiens. Cette première tentative de rencontres avec le diplomate allemand von der Lancken a au moins eu une issue heureuse.

Géry de Broqueville

(1) Henri Haag, Le comte Charles de Broqueville, ministre d’Etat, et les luttes pour le pouvoir (1910-1940)

(2) Baron Evance Coppée (1882-1945). Industriel belge.

(3) Ces lettres sont codées. Aucun nom de lieu n’apparaît à quelques exceptions près mais c’est alors du chef de Charles qui connaît les arcanes de la transmission sécurisée du courrier. Les frères signent parfois par des prénoms inventés. Le surnom de Myriam est « Miette ».

(4) On sait que Broqueville était amateur de cure à Châtel-Guyon depuis 1908. Il était dans l’ordre des choses de prendre quelques jours de congé dans une ville thermale, comme Aix-les-Bains.

(5) Ludovic Moncheur (1857-1940). Diplomate. Reconnu comme excellent diplomate tant auprès de l’Angleterre qu’aux Etats-Unis.

(6) Le ministre était descendu à la Villa Regina qui était une annexe du Regina Bernascon Hôtel. Bernascon est le nom de son fondateur. Cet hôtel avait été réquisitionné en 1914 et a servi d’hôpital militaire jusqu’en 1918. Plus d’information en cliquant ici.

(7) Henri Haag, Le comte Charles de Broqueville, ministre d’Etat, et les luttes pour le pouvoir (1910-1940), page 593.

(8) Aristide Briand (1862-1932), homme politique français qui a été 11 fois président du conseil et 20 fois ministre. Il a été Nobel de la paix. NB : Si les premiers pourparler ont été un échec les deuxième ont eu un résultat similaire. Cela a fait l’objet d’un article précédemment écrit en ces pages. Cliquez ici.