Durant toute la bataille, la ville avait conservé un calme étonnant et donnait même une sentiment de sécurité alors que le front était à quelques kilomètres. M. Churchill circulant dans les rue avec son chapeau haut de forme sur la tête et sa badine en main, notait que les hôtels les plus luxueux et les plus soignés étaient ouverts aux portes de la fournaise. On savait qu’Anvers n’échapperait pas aux bombardements.

M. Woeste, ministre d’Etat, resté à Bruxelles avait profité de la venue du secrétaire de la légation des Etats- U nis à Anvers pour l’accompagner. il savait de source sûr e que les Allemands avaient décidé de bombarder Anvers. Il l’a communiqué le 9 septembre. M. Woeste ne resta que quatre jours au cours desquels il rencontra et déjeuna plusieurs fois avec le ministre de Broqueville ainsi que le ministre des Affaires étrangères M. Davignon. Il rentra à Bruxelles avec maintes difficultés en passant par Gand.

Dès le 29 septembre, il a été décidé que tous les navires marchands qui ne pouvaient pas servir seraient mis hors d’état de nuire. Parmi ces navires, il y avait 35 navires allemands. Plus tard la presse allemande reprocha amèrement à M. Churchill de n’avoir pas envoyé des marins anglais pour ramener dans les ports anglais ou alliés leurs navires qui s’y trouvaient internés.

La situation s’aggravait. Les autorités des trente communes que composaient l’agglomération se sont unies sous la présidence de M. Franck qui devint plus tard, ministre des Colonies, pour assurer la défense de leur territoire… Le 7 octobre le général Deguise faisait avertir par l’intermédiaire des journaux que le bombardement de l’agglomération d’Anvers était imminent. Les populations étaient prévenues qu’elle s pouvaient encore se retirer dans la direction Nord -Nord-Est. Ce matin-là, les ministres et les représentants des puissances étrangères embarquèrent à bord du steamer « Amsterdam » pour rejoindre Ostende. Depuis deux jours, toutes les archives officielles, les oeuvres d’art, les bagages du personnel du gouvernement avaient été embarqués. Alors, à travers toute la ville ce f u t la grande panique qui redoubla lorsque le bombardement de la ville commença au cours de la nuit. En quelques heures, Anvers se vida de sa population. Une partie s’enfuit dans la nuit à la lueur des explosions, franchissant les ponts de l’Escaut et se répandit en pleins champs. Toutes les couches de la population d’Anvers, du plus riche au plus pauvre, se mélangeaient dans une cohue sans nom.

Au lieu de se replier intact e sur l’Escaut, l’armée belge, fatiguée par 5 jours de combats démoralisants, est obligée de partir en hâte par la seule route qui reste. Termonde vient de tomber au x main s des Allemands, la route vers le sud de Gand est coupée. Le commandement belge s’était bien gardé de suivre intégralement les dangereuses directives de M. Winston Churchill. Sans se préoccuper outre mesure de l’intervention anglaise et persuadé que ses secours promis arriveraient trop tard, le colonel Wielemans, d’accord avec le ministre de la Guerre, avait silencieusement continué de faire exécuter l’ordre d’évacuation des immenses approvisionnements de guerre que l’Intendance militaire et les services de l’artillerie avaient rassemblés dans le camp retranché pour subvenir au ravitaillement des troupes pendant un siège de 6 mois et même d’un an. Aux heures critiques, l’on avait enfin rassemblé sur toute l’étendue des pâturages de la position fortifiée plus de 50.000 têtes de bétail de la Campine anversoise. L’on s’efforça de les sauver. Sur 2 vapeurs et 12 chalands, l’on réussit à sauver 9 millions de kilos de blé, 240.000 kg de farine et d’autres quantités importantes de denrées. Le sauvetage commencé dès la nuit du 30 septembre se fit par la seule ligne de chemin de fer encore utilisable. Les trains lourdement chargés défilaient en longue cohorte sur la ligne de Tamise, non loin des lignes ennemies, pour rejoindre Bruges-Ostende-Zeebrugge. Différents ordres et contre-ordres donnés par l’Anglais retardèrent ces départs. L’ordre officiel n’est intervenu que le 2 octobre pour installer une base arrière de l’intendance à Ostende. Les approvisionnements restaient dans les wagons en gare d’Ostende. Les boulangeries commencèrent à produire 50.000 rations de pain chaque jour. De la farine a été achetée massivement en Angleterre aussi. Les transports civils furent supprimés et les trains partaient toutes les 5 minutes, circulant dans un seul sens utilisant les deux voies. En 48 heures, plus de 150 trains sont mis en route avec 3 ou 4.000 wagons de matériel de guerre. Le 5 octobre, on évacue les blessés et du matériel sanitaire. Enfin, le 6 la décision est prise de faire partir l’armée le lendemain. Seule la deuxième division doit rester dans la place avec ce qui subsistera des troupes de forteresse, mais lors de la reddition, une grande partie de ces troupes réussira à s’échapper et suivra l’armée de campagne en route vers l’Yser.

L’on s’efforcera de détruire tout ce qui n’a pas été évacué, comme les énormes réservoirs d’essence qui brûleront longtemps. A l’aube du 7 octobre, l’ordre est donné à l’aviation et à la cavalerie de se repli er vers l’Ouest. A midi, le roi donna ses dernières instructions au général Deguise et lui exprima sa volonté qu’Anvers résiste jusqu’à l’épuisement. En même temps, des affiches sont placardées sur les murs d’Anvers. C’est l’adieu du gouvernement belge avec la promesse d’y revenir en libérateur.

Ce jour-là, 200 pièces d’artillerie continuent à pilonner la ville et les forts. Beaucoup de ces derniers vont tomber ce jour-là. Dans l’après-midi, le roi et la reine rejoignirent leurs troupes sur les routes. La reine traversa l’Escaut sur le pont de bateaux qu’on allait détruire. Elle voyageait avec la comtesse de Caraman-Chimay. Elle allait lentement ne voulant pas dépasser les troupes. Elle distribuait des cigarettes et du tabac qui remplissaient son coffre. Le Roi était à cheval avec ses soldats. La reine le retrouva le soir à Saint-Nicolas. La Reine refusa de précéder la troupe et dormit chez de modestes paysans les différentes nuits pour aller au rythme des soldats. Elle n’arriva à Ostende que le 10 en même temps que le Roi.

Pendant ce temps, une partie de la brigade anglaise et de la 2e division de l’armée belge échappée d’Anvers au moment de la reddition fut accueillie pendant trois jours dans des trains préparés d’avance à proximité d’Ekloo. Ces trains étaient bondés d’autant que les civils fuyant l’avancée allemande s’y accrochaient de toutes les manières possibles. Le 10 octobre, des trains étaient affrétés entre Gand et Bruges pour embarquer l’armée de campagne et la transporter jusque Ghistelle et Dixmude. La cavalerie et les convois d’artillerie continuaient par la route. Pour protéger la fuite, des fusiliers marins de l’amiral Ronarc’h sont aux approches de Gand avec trois bataillons de troupes anglaises, un détachement de l’artillerie belge, 4 ou 5000 gardes civiques de la région de Bruxelles et quelques centaines de gendarmes belges. Ces troupes seront suffisantes pour maintenir en respect l’armée allemande et assurer la retraite de l’armée belge vers l’Yser.

Le 9 au matin, alors que les derniers forts d’Anvers résistaient encore, les autorités civiles entrèrent en pourparlers avec les Allemands et la reddition de la ville eut lieu peu après. Ce fut la convention de Contich.

Et la déception fut terrible du côté allemand quand les officiers découvrirent qu’il n’y avait plus un seul soldat à l’intérieur de la ville, ni le Roi ni le gouvernement !  L’armée, le roi et le gouvernement se replia, en partie sur la base arrière d’Ostende.