Le 14 octobre 1914, le G.Q.G. se trouve à Nieuport-Bain et le colonel Wielemans signe au nom du roi, l’arrêté prescrivant le transfert de la base de ravitaillement à Calais. Le même jour le G.Q.G. français déclare le port de Calais au service de l’armée belge. Ce jour-là l’intendant militaire en chef de l’armée belge, le colonel Henry, et le commandant du génie Van Deurens arrivent à Calais pour prendre les premières dispositions pour accueillir les services d’intendance de l’armée belge.
Des officiers sont nommés commissaires militaires à la gare de Calais-Ville et de Calais-maritime. Leur première besogne sera de classer les milliers de wagons éparpillés, sur toutes les voies et dans les gares entre Bourbourg et Watten jusqu’à Saint-Omer et Marquise. Le major Cornelie prend la direction de la base navale qui va comprendre jusqu’à 40 navires et allèges chargés en tout hâte, comme nous l’avons vu dans les ports belges. Un grand parc automobile s’installe sur les quais aux hangars Devos et le quartier général s’installe au théâtre municipal. Le 14 octobre, les premiers groupes de soldats commencent à arriver par la route de Dunkerque en même temps que des bandes de fugitifs. Deux transports, le « Celte » et « Euphrate » entrait en rade de Calais avec des cargaisons de matériel et des fugitifs.
Pour la réorganisation des troupes belges, le camp retranché de Calais était divisé en trois secteurs. Chaque régiment ou bataillon cantonne dans une commune ou district distincte en vue de faciliter les opérations de regroupement des troupes. Des patrouilles de gendarmes belges circulent en vile pour aiguiller les soldats sur la bonne route. Les jeunes recrues sont orientée vers les navires qui les attendent pour aller à Cherbourg.
Le 17 octobre, le ministre de la guerre, M. de Broqueville arrive à Calais avec le général Clooten qu’il vient de nommer « inspecteur général des troupes belges stationnés dans la zone de Calais » ; son premier soin est de visiter ses troupes et stimuler les énergies. A tous il exprime sa confiance dans l’issue finale et prescrit toutes les mesures nécessaires à la réorganisation de l’armée. Pour y collaborer le G.Q.G. français envoie, sous la haute direction de l’intendant militaire Laurent, dix officiers parmi lesquels se trouve le lieutenant Francis de Croisset, écrivain. La tâche est immense pour le général Clooten qui devra trouver des milliers de chaussures, des chemises, des caleçons, chaussettes, etc. L’intendance française va faire un immense effort pour commencer à fournir tout cet équipement. Ce qui importe aussi, c’est la restauration de la discipline et de recommencer l’entraînement des troupes. Le jour de son passage à Calais, M. de Broqueville donne des instructions pour la création d’un conseil de guerre, ayant sous sa juridiction toute la zone de l’armée (Un tribunal similaire sera constitué à Rouen pour juger les actes commis ailleurs en France). « Il faut, dit-il, le composer de juges énergiques ». Ce tribunal se compose tout d’abord des commandants Tombeur et Verstraeten et du lieutenant Clooten (le fils du commandant de la place). Un incident se produisit puisque le gouverneur militaire français déclare illégal le fonctionnement d’un conseil de guerre belge sur le territoire français. M. de Broqueville écrivit aussitôt au gouvernement français : « A Dunkerque, où la situation était autrement difficile, tout était parfait. Il est temps que cela finisse à Calais ». Il va sans dire que le gouvernement français va prendre les mesures nécessaires pour l’instauration de ce conseil de guerre.
En même temps, M. de Broqueville demande au général Clooten de ne pas hésiter à proposer toutes les mesures utiles pour mettre fin à l’incurie, au gaspillage, à la force d’inertie chez ceux qui sont responsables. Et de sa large écriture le ministre balafre la marge de ces instructions par cette note impérative : « Il faut être de la dernière sévérité pour tout manquement… » Les ordres du ministre sont impératif. Comme il était interdit pour un militaire de conserver sa famille dans Calais au vu de l’encombrement de la ville, un général-major a été mis à la retraite pour ne pas l’avoir compris. Et le ministre de la Guerre écrit au général Clooten : « J »espère que ces mesures feront comprendre au personnel sous vos ordres la ferme volonté de l’autorité supérieure de maintenir dans votre commandement l’unité de vue et d’action qui s’impose là où se trouve un chef ».
Le 24 octobre, M. de Broqueville renouvèle encore ses instructions. Elles sont lues en français et en flamand à deux reprise dans tous les cantonnements : « Dans les nombreuses visites et dans les inspections que j’ai passées ces jours derniers, dit-il, il m’a été de constater que nos soldats sont beaucoup plus atteint moralement que physiquement. L’officier doit tout mettre en œuvre pour obtenir de sa troupe son rendement maximum. Dans les cantonnements la vie rapprochera autant que possible de celle que l’on mène en face de l’ennemi. La discipline y sera ferme et sévère, sans rigueur superflue, mais sans faiblesse coupable. L’officier séjournera en permanence au milieu du groupement dont il fait partie… Il servira de trait d’union naturel entre la patrie absente et la grande nation qui nous a ouvert ses bras hospitaliers au moment du danger… Il s’efforcera d’exalter devant sa troupe le souvenir et l’image de ceux que nous avons laissés là-bas, qui souffrent aussi et qui ont le droit de compter sur nous. »
Le même jour on donne lecture d’une lettre du roi à ses troupes : « Je compte que les troupes de forteresse et les services de base seront imprégnés du meilleur esprit militaire… ». La situation ne tarde pas à se rétablir. Le général Clooten fit connaître les effectifs du camp retranché : 664 officiers et 38.000 hommes de troupe et l’entraînement se faisait régulièrement. Le camp retranché de Calais travailla d’arrache-pied puisque deu 16 octobre 1914 au 3 septembre 1915, en moins d’un an, 776 officiers et 80.000 hommes ont été rééquipés et envoyés en Flandre à l’armée en campagne ; en même temps 375 officiers rejoignaient Furnes. En décembre, les régiments dit de forteresse furent supprimés ainsi que l’organisation des trois secteurs mais l’on créa autour de Calais des centres d’entraînement pour la cavalerie, l’artillerie, les sections de mitrailleuses, les pontonniers et les section de D.C.A. et de projecteurs.
Dès les premières semaines, un dépôt de munitions françaises fut établi à Calais sous la direction du commandant belge Daubresse. En moins de quinze jours, il recevra plus de 50.000 obus de 75 qu’il redistribuera au fur et à mesure à l’armée belge au front. A la fin de novembre 1914, le QG de Joffre fait envoyer à Furnes 360.000 sacs à terre pour l’armée belge et ordonne en outre la confection de 200.000 autres sacs.
Suivant les instructions du général Foch désireux de dégager Calais des nombreuses troupes qui y séjournaient, un conférence avait lieu le 18 décembre 1914 entre le ministre de la guerre M. de Broqueville, le chef de la mission française près du roi, le général Clooten, le médecin inspecteur Mélis, etc. A ce moment l’effectif belge, dans la base, possède encore, sans compter les blessés, les malades et le personnel hospitalier 20.000 hommes dont 5000 répartis en 20 compagnies de travailleurs que l’on utilise dans les trois armées belge, française et anglaise, notamment pour l’entretien des routes. 14.000 hommes s’entraînent pour partir en renfort ou travaillent dans les services de base. C’est alors que l’on décide de créer le camp de Ruchard qui peut contenir 6000 hommes.
Lorsqu’ils fut définitivement évident que la route de Calais était définitivement barrée aux Allemands, la base belge se préoccupa de décharger les innombrables trains de ravitaillement « tenus en réserve » et les navires qui dans le port formaient les « annexes flottantes » . Au 29 octobre, cette flotte comportait 40 navires de tout tonnage. La compagnies des pontonniers d’Anvers fut mise à disposition du colonel Cornellie pour le déchargement des navires. Elle y démontra un dévouement et un courage remarquables, travaillant de 10 à 12 heures par jour par tous les temps pour opérer le reclassement du matériel.
En mars 1915, la compagnie des pontonniers alla rejoindre l’armée de campagne et la « base flottante » se vit obligée d’avoir recours à la main d’œuvre civile pour le déchargement des navires qui arrivaient maintenant avec d’énormes cargaisons. Cette solution onéreuse a été arrêtée en juillet 1915 et le colonel Cornellie a obtenu du ministère de la Guerre la création d’une compagnie militaire de marins belges. Cette réforme est d’autant plus utile que désormais presque tous les achats de l’intendance militaire belge débarquent à Calais notamment via la compagnie « South Eastern ». En attendant l’arrivée des grands transports venant d’Amérique, le colonel Cornéllie recrute parmi les pêcheurs belges réfugiés en Angleterre, puis dans les camps d’instruction.
Au 1er mars 1916, les deux compagnies de marins belges comptent 480 hommes dont 300 débardeurs. Les services qu’ils rendent sont tout à fait remarquable. Pour les aider dans leurs rudes tâches on leur adjoint des prisonniers de guerre.
Le bassin ouest de Calais était entièrement affecté à l’armée belge mais l’on ne pouvait déchargé que quatre ou cinq navires en même temps. La base y entreprend de grands travaux. La construction de deux appontements et d’importants dragages sont effectués pour permettre l’accostage de grand navires. Le premier qui arrive (1er septembre 1915) de cette longue série est le « Queen Margaret » avec près de 6000 tonnes d’avoine. Quatre hangars sont construit près des quai pour contenir 20.000 tonnes de marchandise en même temps que des voies ferrées pour les desservir.
Ce sont des chiffres astronomiques qui résultent un travail éreintant mais combien nécessaire comme les 100.000 madriers de bois déchargés de l’un des navires ou les 33.000 tonnes d’avoine destinées à la cavalerie belge.
La base d’aviation belge de Calais
A leur arrivée à Calais, les escadrilles d’avions (16 appareils et un parc de ravitaillement) s’installèrent au camp d’aviation de Beau-Marais à la sortie de la ville sur la route de Dunkerque. L’effectif comprenait un officier, le lieutenant Nélis, ayant sous ses ordres un détachement de 76 hommes. Le camp de Beau-Marais se développe aussitôt dans de grandes proportions et occupent plus de 15 ha.
Le parc de Calais est alors chargé de l’acquisition du matériel pour les escadrilles en campagne et de l’entraînement des pilotes. Les escadrilles assurent par liaison le transport de courrier postal entre le G.Q.G et les services belges installés en Angleterre.
Au lendemain de la prise de Tabora (septembre 1916) les escadrilles d’hydravions du lac Tanganyka rentrent en Europe sous la direction du commandant Debueger et sont affectés à la base de Calais. Les six appareils coopèrent alors avec les hydravions français aux patrouilles au-dessus du détroit. (leur base se situait derrière la gare maritime que l’on voit en arrière plan – photo 2 – photo 3).
La base aérienne de Calais resta en relation constante avec l’école d’aviation d’Etampes (ci-contre), transférée ensuite à Juvisy, et avec les escadrilles de l’armée de campagne.
Les établissements d’artillerie
Parmi les nombreux services qui s’installèrent à Calais, il faut citer aussi les établissements d’artillerie. Vu le manque de main d’œuvre, ce seront surtout des ateliers de réparation notamment dans l’ancienne usine de câbles sous-marin et dans les bâtiment des Aciéries de France. Le matériel ou le l’armement venaient évidemment du front. Au début 1916, un rapport détaillait que 105.000 armes portatives, 880 canons, 300 mitrailleuses, 2.300 voitures et 200 cuisines roulantes y avaient été remise en état.
En avril 1915, une nouvelle convention interalliée provoque de grands changements dans les organisation militaire. Dorénavant le port de Calais sera partagé avec l’armée anglaise. Le 16 août un arrêté signé par le roi, prescrivait la création d’établissement d’artillerie avec mission de fabriquer du matériel neuf. Ces établissements iront s’installer au Havre. Une partie de l’armement est déplacée au Havre tandis que l’on crée le parc de ravitaillement de Gravelines-Bourbourg qui reste sous la haute autorité du général Clooten.
Géry de Broqueville