Quel a été le déclencheur de la carrière politique de onze Charles ? La légende retient qu’il est rentré dans les pantoufles de son père Stanislas, déjà député de Turnhout depuis belle lurette, en 1893. La vérité n’est pas là. Certes, il a pris la place de son père vieillissant, mais surtout il a remplacé un autre député catholique de Turnhout, Alphonse Nothomb.

Ce dernier était président de l’Association constitutionnelle et conservatrice de Bruxelles 1 jusqu’au 21 février 1892, date de sa démission.

En fait, Alphonse Nothomb 2, contrairement à ses collègues catholiques, était partisan d’un assouplissement de l’article 47 de la Constitution en permettant à tous les citoyens belges de voter. Entre 1890 et 1893, durant 30 mois de révision de la Constitution, les hommes politiques s’écharpent sur la question de la suppression du vote censitaire qui était garanti par cet article.

Le 21 février 1892, le député catholique de Turnhout et ministre d’État Alphonse Nothomb démissionne. Il ne voulait pas combattre, aux prochaines élections, le libéral Paul Janson. Ils partageaient les mêmes idées généreuses,sur ce point-là.

Paul Janson 3 est effectivement membre radical du parti libéral et est celui qui défend, parfois de manière véhémente, sa revendication datant du 27 novembre 1890, à faire prendre en considération par la Chambre des Représentants à majorité catholique, la nécessité de transformer, dans le sens d’une extension considérable, les bases du régime représentatif belge. Alphonse Nothomb semblait d’accord avec le radical Paul Janson. 

Un faux pas… généreux

Dans son discours prononcé lors de l’Assemblée générale de l’Association, il est très clair : Sur ces points, le premier surtout, je pense comme M. Janson et je l’ai dit bien longtemps avant lui. Je le dis depuis plus de vingt ans. Sans doute, sur beaucoup d’autres questions, un abîme nous sépare; sur ces questions-là, je l’ai énergiquement combattu dans le passé et je le ferai dans l’avenir, que je sois ou non dans la vie politique. Je suis catholique, M. Janson ne l’est pas. C’est tout dire. Mais sur la question électorale, qui les prime toutes, je suis d’accord avec lui. J’ajoute que, quelle que soit l’opinion que l’on ait des vues politiques de M. Janson, on ne peut méconnaître son grand talent, qui doit, à mon sens, lui faire une place au Parlement. 4

La réponse est un tollé général de la part du parti catholique avec Charles Woeste en tête. Nothomb était député catholique de Turnhout. Il a été démis de ses fonctions sans animosité aucune contrairement à ce qui s’est déroulé à Bruxelles. Le successeur de Nothomb en tant que candidat aux futures législatives fut désigné aussitôt. On accorda la palme à Charles de Broqueville qui entra au Parlement en juin 1892, entamant, une brillante carrière politique.

Il fallait un faible…

Depuis 1893, le suffrage universel avec vote plural était d’application. Chaque homme de 25 ans avait une voix, mais certains en avaient deux, voire trois. Une deuxième voix était accordée aux hommes âgés de 35 ans, mariés ou veufs avec enfants, et disposant d’un certain patrimoine. Deux voix supplémentaires étaient octroyées aux hommes possédant un diplôme déterminé ou exerçant une fonction publique ou une profession déterminée. Personne ne pouvait avoir plus de trois voix. Ce système électoral donne à chaque fois une majorité absolue au parti catholique conservateur. 5

Au moment du remplacement de Nothomb, les Catholiques voulaient un homme faible et malléable à souhait. Ils ont choisi Charles pour cela. Ils se sont trompés sur toute la ligne. Charles avait une stature d’Homme d’État, mais ça, personne ne le savait…

Pour le clin d’œil, c’est Charles de Broqueville qui fit voter la loi du suffrage universel réservé aux hommes, en 1919 6. Il faudra attendre 1948 pour que le droit de vote pour les femmes soit accepté par le parlement.

Géry de Broqueville

  1. L’Association Constitutionnelle et Conservatrice de Bruxelles fut fondée en 1857 à l’initiative de Jules Malou et Adolphe Dechamps. Sur les débuts et les statuts de ce cercle, Alphonse Nothomb occupe le fauteuil présidentiel de 1864 à 1872 et à partir de 1884. Ce cercle se comporte comme un centre d’études ou de réflexions pour le parti catholique. ↩︎
  2. Alphonse Nothomb naquit au château de Pétange (Luxembourg) le 12 juillet 1817. Il était le frère cadet du grand Jean-Baptiste Nothomb. Docteur en droit, il fut Substitut du procureur du Roi à Arlon, puis procureur du Roi à Neufchâteau et enfin avocat général à la Cour d’Appel de Bruxelles. Conseiller provincial du Luxembourg à 25 ans, Nothomb va bientôt entamer une longue carrière politique. De 1855 à 1857, il occupe le poste de ministre de la Justice dans le cabinet De Decker. Après avoir été pendant 33 ans le porte parole au Parlement des électeurs catholiques de Turnhout, il représente ceux d’Arlon de 1892 à 1894 pour terminer comme sénateur provincial du Luxembourg jusqu’à sa mort survenue le 14 mai 1898. Nothomb était ministre d’État depuis 1884. ↩︎
  3. Pour découvrir la biographie de Paul Janson, Wikipedia. ↩︎
  4. Hendricks J.P., A propos de la démission d’Alphonse Nothomb de la présidence de l’association Constitutionnelle et conservatrice de Bruxelles, le 21 février 1892, p.53. ↩︎
  5. J’en parle dans un article publié, il y a quelques temps à propos de la tapisserie de Anton Carte, se trouvant au Parlement ↩︎
  6. Bien qu’il faille détailler cette révolution, voici un avant-goût. ↩︎