Le G.Q.G. belge s’est transporté dans la soirée du 13 octobre de Nieuport à Furnes ; le ministre de la Guerre, voulant rester à proximité de l’armée et de ses bases de ravitaillement où tout était à créer ,allait, le même jour installer son quartier général à l’hôtel de ville de Dunkerque. M. Augagneur, ministre de la Marine, vint le saluer au nom du gouvernement de la République. La photo nous montre M. Terquem s’entretenant avec Charles de Broqueville sur le balcon de l’Hôtel de ville de Dunkerque.
Dunkerque avait déjà reçu dans ses murs une dizaine de milliers de jeunes belges en provenance de Furnes pour y suivre une instruction militaire dans le sud-ouest de la France. Les Dunkerquois ont vu ensuite défiler un grand nombre de voitures belges encombrées de bagages et de passagers. Jamais ils n’en avaient vu autant. Elle restaient là pour la nuit et repartaient le lendemain vers des destinations inconnues.
Le 13 octobre, ce fut le tour de soldats hagards, épuisés par une longue marche. C’étaient les soldats des forts d’Anvers qui avaient réussi à s’échapper pour ne pas tomber entre les mains des Allemands. Ils arrivaient en ordre dispersé ayant abandonné leurs équipements à l’exception de leur fusil et de quelques cartouches. En 48h, ils furent 20.000 dans les rues de Dunkerque. Pour les ravitailler, l’intendant militaire français Laurent, avec l’accord de M. de Broqueville, prit l’initiative de les ravitailler avec les approvisionnements de la place de Dunkerque.
Le 15 octobre ce fut le tour des réfugiés qui arrivaient de toutes parts, les dunes, la plage. Les routes de Calais et de Furnes étaient couvertes de milliers d’hommes, de femmes, d’enfants, les uns à pied, les autres en charrettes, en vélos, d’autres avec des voitures à bras chargées de meubles, surmontées parfois d’objets les plus inattendus comme des cages, des poupées… Toutes les classes de la société fraternisaient dans la misère. Tous essayaient de grappiller du pain ou un gîte pour la nuit.
Le major Méeus qui devait devenir le commandant de belge de la place de Dunkerque, a fait la route de La Panne à Dunkerque à pied. Il donna un témoignage poignant de cette débâcle vers une terre qui semblait hospitalière. Le maire de Dunkerque, M. Henri Terquem fit aménager tous les lieux publics, les églises, les hôpitaux, pour accueillir des familles entières. Toutes les maisons de Dunkerque accueillirent des familles belges. La municipalité improvisa des distributions de pain,de soupe, de pommes de terre cuites, de lait et de boissons chaudes. Pour éviter toute contestation entre réfugiés et commerçants, le gouverneur n’hésita pas à prendre un arrêté -d’ailleurs parfaitement illégal- instituant le cours forcé des monnaies belges et anglaises dans toute l’étendue du camp retranché. En arrivant à Dunkerque, M. de Broqueville s’en alla saluer le gouverneur militaire et il en profita pour lui demander son opinion sur la situation militaire de Dunkerque. Le général Bidon lui déclara sans ambages : « Si vous ne tenez pas sur l’Yser, Dunkerque ne tiendra pas 48h ». et il donna au ministre belge ce conseil inattendu : « Ne déballez pas vos malles ! »
M. de Broqueville avait confiance dans ses soldats ; il « déballa » ses malles et s’installa. Le maire de la ville, M. Terquem, avait mis à disposition des services du ministère de la Guerre, le premier étage de l’hôtel de ville. A dater de ce jour, un drapeau belge flotta en permanence sur l’édifice communal et un poste de garde de gendarme belge prit faction devant la porte.
Avec le roi et les états-majors, M. de Broqueville va prendre une part décisive à l’organisation de la résistance sur l’Yser. Plus tard, il dira : « Nous vécûmes un an en dix jours… »
En même temps, les services du ministère de la Guerre avec l’accord de la municipalité s’emploient à dégager la ville de tous les réfugiés. Quatre services se mettent en place avec à leur tête le major Méeus?. Le général Mélis? s’occupe du service de santé (ici entouré par ses collaborateurs en 1918 à Dunkerque). L’installation de la prévôté et de la gendarmerie est confiée au général Leclercq , enfin, à la caserne Jean-Bart, le colonel Trembloy crée un service de récupération du matériel abandonné le long des routes ou dans la ville. Le général Mélis entouré de ses collaborateurs en 1918 à Dunkerque Melis Bientôt, les murs de la ville furent couverts d’affiches adressées soit à la population françaises (pdf) en ce qui concerne les armes, soit aux réfugiés, soit aux soldats (pdf), soit encore aux officiers (pdf), avec les dernières décisions pour mettre en route ces quatre services. L’amirauté britannique mit à la disposition du ministre de la Guerre 6 transports de troupes pour amener plus 20.000 hommes à destination de Calais, Le Havre ou Cherbourg pour permettre aux hommes de se reposer et de parfaire leur formation militaire et de retourner vers l’Yser ensuite.
Le 16 octobre, le gouverneur prend un arrêté par lequel tous les réfugiés belges, français, etc… doivent évacuer le camp retranché dans les 36 heures. Ils s’en iront ainsi par chemin de fer,ou par bateau, vers Calais,vers Le Havre ou d’autres ports encore En une seule journée plus de 10.000 personnes quittent la ville. Leur bonne volonté est encouragée par l’apparition d’un avion allemand dans le ciel dunkerquois. Ce jour-là, le ministre belge adressa dès le matin, les remerciements de la Belgique au maire de la ville pour le fraternel accueil que les Dunkerquois avaient manifesté aux soldats et aux réfugiés. Longtemps après M. de Broqueville dira encore avec émotion : « La ville de Dunkerque tout entière, nous a accueillis en 1914 comme on accueille des frères malheureux. L’on ne saura jamais assez redire la générosité inépuisable qui a été réservée à mes infortunés compatriotes. Même aux pires heures d’épreuves, les Dunkerquois ont été admirables de calme et de sang-froid. Dunkerque est une belle et courageuse cité. Son maire a été un véritable chef ; il a géré sa ville comme un père courageux, c’est un homme qui a bien mérité de sa ville et de sa patrie ».
En fin de matinée Charles de Broqueville rencontre le futur maréchal Foch. Ils s’en iront ensemble vers Furnes pour rejoindre le roi Albert Ier qui venait de s’installer dans son nouveau G.Q.G.
Cette journée marqua le début d’une longue amitié entre le futur maréchal de France et M. de Broqueville. Leurs relations furent constantes, ils vécurent ensemble des minutes tragiques pour la destinée de la France et de la Belgique. Un jour Foch dira : « Broqueville et moi, nous avions fini par nous tutoyer« .
Presse : Pendant l’interview de M. de Broqueville in Le Matin, 29 octobre 1914, n° 11202, 31e année. Paris. http://www.broqueville.be/documents/charles/photos/3870.jpg (lien pas en fonction)