Le 21 mars 1918, à 2 heures du matin, se déclenchait la fameuse offensive ennemie. Les armées allemandes, sur le front Amiens-Montdidier, poussaient vers la mer, voulant éventrer le front allié, séparé les armées britanniques et belges des armées françaises. La bataille de la Somme est entendue distinctement au Havre, où les fugitifs de la Picardie ne tardent pas à refluer.

Trois jours après, Sainte-Adresse apprend avec stupéfaction chargée d’incrédulité que Paris est bombardé à plus de 120 kilomètres de distance. Bientôt la grande voie ferrée Paris-Boulogne est brisée par les bombardements d’Amiens. Les rares trains qui peuvent encore circuler doivent passer par Eu et Le Tréport, avec des retards invraisemblables. Abbeville est à son tour régulièrement bombardée par les avions allemands qui s’efforcent de détruire les installations ferroviaires et les ponts sur la Somme. Au Havre-Sainte-Adresse les gens pessimistes qui pullulent se regardent avec inquiétude, mais le gouvernement belge suit d’heure en heure les événements avec un grand sang-froid.

La base militaire du Havre va-t-elle être coupée de ses bases de Calais-Gravelines ? Le ravitaillement de l’armée en campagne n’est-il pas compromis ? Immédiatement, on entreprend de ravitailler les camps de Calais et de Gravelines par la mer malgré la guerre sous-marine. Le 3 avril le « Clara » effectue la jonction entre Le Havre et Calais en 24 heures. Enfin si l’offensive se poursuit, va-t-on devoir évacuer le Havre ?

Dès le 21 mars au soir le président du Conseil demande au G.Q.G. de le renseigner très exactement de la situation. Dans une note personnelle net confidentielle, le général Rucquoy, chef d’état-major général, lui fait connaître la situation. À la date du 24 mars, elle n’est pas rassurante. La progression allemande continue. Le 27 Montdidier est tombé aux mains ennemies mais la bataille se poursuit. des renforts commencent à arriver de toute part. La veille, Foch a pris le commandement suprême des forces alliées.

Le 28 mars, M. de Broqueville part pour le G.Q.G. belge de Houthem pour y conférer avec le roi et prendre l’avis de l’état-major général. Il informe ses collègues du gouvernement qu’une réunion importante du Conseil des ministres est imminente et il leur recommande de faire parvenir leur adresse à son Q.G. de Steenebourg en cas de déplacement. Il ajoute cette phrase qui en dit long : « Bien que les nouvelles soient devenues plus favorables, il est cependant prudent d’envisager l’éventualité où il serait opportun d’avoir l’avis du Conseil… ». À peine est-il arrivé à Steenebourg qu’il rédige pour le « comité de guerre » et le Conseil des ministres un long mémorandum de cinq pages où il envisage la situation. Dans ce mémorandum, M. de Broqueville prévoit le pire comme la disparition du roi et du Premier ministre.