Ludovic Mazeret est un brillant historien, membre de la société archéologique, historique, littéraire et scientifique du gers, basée depuis sa création à Auch. En 1915, il a écrit un essai généalogique dur la famille Broqueville.   des Broqueville sont cités ça et là au travers des textes prouvant l’existence de la famille dans des temps reculés.

Le premier Broqueville cité est Robert qui est mentionné « au nombre des chevaliers placés sous les ordres de Raymond-Roger, comte de Foix, lorsqu’il fit bénir sa bannière dans l’église Saint-Sernin, à Toulouse, au moment de partir pour la croisade entreprise par Philippe-Auguste, roi de France, en 1191 ».(1)

Heureusement, Ludovic Mazeret cite quelques unes de ses sources. Il va puiser son inspiration chez Dom Vaissete (2) et chez J.J. Monlezun (3) dont j’ai acquis les 10 tomes de l’un et les 6 tomes de l’autre pour vérifier les dires de ces grands historiens du XIXe siècle.

Tout d’abord j’ai parcouru les chroniques datant de 1191. Dans l’index des noms on ne trouve pas de Robert de Broqueville, ni à la lettre « d », ni à la lettre « b », ni même à la lettre « R » qui est celle du prénom comme on peut trouver du reste Raymond-Roger de Foix. Je me suis penché alors à la date de 1191. Là il y a effectivement des références à la page 15 colonne 2 et la page 26 colonne 2.  Dans les deux cas, l’on ne découvre pas de Broqueville. Il y a bien une référence au départ du comte de Foix en croisade accompagnant Philippe-Auguste et le roi d’Angleterre, mais aucune référence à la bannière bénite à Saint-Sernin. En 1191, il y a bien un serment des chevaliers des vicomtés de Béziers et de Carcassonne en faveur de de Raymond-Roger comte de Foix (4), mais là aussi, point de Broqueville. Exit donc ce Robert de Broqueville. sauf preuve probante !

Je reprend Ludocic Mazeret et je lis : « En 1213, Stephen de Broqueville, homme d’armes de Verle d’Encontre, gouverneur de Castel-Sarrazin est tué à la bataille de Muret, gagnée par Simon de Montfort sur Raymond, comte de Toulouse« .   Dans le texte de Dom Vaisette, l’on cite bien non pas Verle d’Encontre mais bien Guillaume, gouverneur de Castel-Sarrazin. Mais dans tout le texte, on cite ça et là des chevaliers qui sont restés sur le carreaux mais aucun ne portent le nom Broqueville.(5)

Le paragraphe suivant, Mazeret nous conte, que « Raymond de Broqueville figure dans une monstre d’hommes d’armes faite par Gaston de Foix, au Mont-de-Marsan, le 8 septembre 1339 ». Dans le livre de Ludovic Mazeret, il y a une référence en bas de page qui indique ceci : Dam Vaissete, t. IV. Puisque Mazeret me renvoie chez Dom Vaissete, c’est là que ma recherche s’est portée (5). J’ai retrouvé le texte de ce dernier. « Ce Sénéchal, qui remplaça le Galois de La Baume, détacha (*) peu de temps après le comte de Foix, pour faire une course du coté de S. Severcap ; et étant à Toulouse le 8 septembre, il lui donna commission de se mettre en campagne pendant huit jours à la têtes de deux cent hommes d’armes et de deux mille sergents, outre ses troupes ordinaires, et d’aller ravager le pays ennemi. Parmi ces deux cent hommes d’armes, dont nous avons la montre, il y avait cinq barons chevaliers, un baron damoiseau, et quinze chevaliers non barons. Jean Jourdain, damoiseau se qualifiait alors de maréchal (*) de l’armée du roi dans les parties de la Languedoc. » Les astérisques entre parenthèse signifient qu’il y a des notes en bas de page.

La première est celle-ci : « Thr. des ch. de Foix n°19 » et la deuxième : « C. du dom. de la sén. de Toulouse. 1946 ». (Compte du domaine de la sénéchaussée de Toulouse).  La montre se trouve dans les preuves de ce livre XXX à la page 463-464. A la page 464, on voit apparaître D. Raymundus de Rocovilla. Voici donc notre Broqueville qui n’en est pas un. D’ailleurs, il est étonnant que Mazeret ne cite pas « Stephanus de Rocovilla » frère du précédent qui s’y trouve quelques lignes plus bas. (Cliquez ici pour charger les deux pages de Dom Vaisette). Ci-dessous, on verra apparaître un autre membre de cette famille Roqueville que Mazeret identifie comme étant la même que les Broqueville.

Je continue avec « Augier de Broqueville qui est présent à une revue faite en 1352, par Arnault de Carmain, Ecuyer ». La référence chez Mazeret est le livre de Montezun, t. VI, page 138. Effectivement, Monlezun donne une liste de 9 chevaliers dont Auger de Broqueville. Deux pages précédentes, Monlezun écrit ceci : « Cette montre et presque toutes celles qui vont suivre ont été copiée sur l’original gardé dans le chartrier du séminaire. Il s’agit de celui d’Auch qui se trouve actuellement aux archives départementales du Gers sise à Auch. Il est évident que je suis allé aux archives.

Extrait du livre de Monlezun, tome VI, page 138.

Extrait du livre de Monlezun, tome VI, page 138.

J’ai cherché, en vain, dans le cartulaire d’Auch ce personnage. On cherchant sous le nom « de Carmain », on trouve effectivement deux documents sur les Carmain, mais point de monstre de l’Écuyer Arnaud de Carmain. Il y a bien une vente d’une terre par le Comte de Montesquiou à Jean de Carmain en 1330 (cote 5581 – I 2515) et un prêt entre Isabelle de Castelreau et Jean de Carmain en 1464 (cote 5582 – I 705). Dans les deux cas, il n’y a pas de liste d’hommes d’armes…

Parchemin de l’acte d’achat d’une terre du comte de Montesquiou à Jean de Carmain

Parchemin de l’acte d’achat d’une terre du comte de Montesquiou à Jean de Carmain

Mazeret nous indique ensuite un « En 1373, N. de Broqueville qui est fait prisonnier avec Du Guesclin à la bataille de Najéra, près de Logrono, gagnée par Pierre le Cruel, roi de Castille, sur le parti d’Henri de Transtamare. Racheté avec les siens par le roi de France, Duguesclin reprit aux anglais toutes leurs places en Gascogne. Il vint mettre le siège devant Monfort, et dans une attaque N. de Broqueville fut tué. C’est pour venger sa mort que son frère Bernard de Broqueville, premier consul, souleva les habitants, qui ouvrirent leurs portes à Du Guesclin. » Il y a une note en bas de page qui fait référence à « Dom Vaissete, loco cit. » C’est très maigre comme renseignement.

N’ayant rien trouvé chez Dom Vaisette, en 1373, je me suis posé une question toute simple : la bataille de Najéra s’est-elle bien déroulée cette année-là ? Et bien non, elle s’est déroulée en 1364. Comme quoi, il faut tout vérifier ! Donc je suis reparti à la recherche de notre N. de Broqueville en 1364. Notez bien que certaine date donne le 3 avril 1367 où Du Guesclin est fait prisonnier par Pierre le Cruel. Bref, le « loco cit. » de Dom Vaissete, noie le poisson. Donc jusqu’à preuve du contraire, ce personnage n’existe pas !

Continuons notre quête, toujours dans le livre de Mazeret on y voit, le 28 août 1490, Pierre-Arnauld de Broqueville, archer, est présent à Montaut, dans le comté d’Ast, à une montre de cinquante hommes d’armes et de cent archers, formant cinquante lances, sous les ordres du comte de Foix. La note en bas de page renvoie à Monlezun tome IV page 451.

Ludovic Mazeret cite l’abbé J-J Monlezun, dans son Histoire du Languedoc, comme étant celui qui a relevé dans le cartulaire du Grand séminaire d’Auch un document prouvant l’existence d’un Pierre Arn. de Broqueville. Je me suis procuré une réédition de ce livre et effectivement Monlezun cite Pierre-Arnauld (Arn.) de Broqueville dans une note du tome III, chapitre IV page 233, ainsi qu’une partie de la liste de ces 50 hommes d’armes dans une annexe de la page 451.

Jusqu’ici, notre Pierre Arnauld (Arn.) existe toujours. Mais pourquoi, il est parfois écrit Pierre Arn. ? C’est ce que donne comme nom, Monlezun à la fin de la liste qu’il a recopiée. C’est d’ailleurs sous cette forme que j’ai retrouvé ce nom dans le cartulaire du Grand séminaire d’Auch. Ce dernier peut être consulté aux Archives départementales du Gers situées à Auch.

première copie de la montre conservée aux archives départementales du Gers à Auch

Première copie de la montre conservée aux archives départementales du Gers à Auch

Pour s’y retrouver dans ce cartulaire, il faut d’abord se pencher sur l’index de l’abbé Cazauran qui a rangé minutieusement toutes les pièces de ce cartulaire. Cette montre existe bien réellement dans le chartrier du Grand Séminaire d’Auch sous la référence 8570, répertorié aux archives départementales du Gers à Auch sous la côte I 1408. Sous la même référence (I 1408) on trouve aussi une autre copie (8600) de cette même montre copiée directement de l’original en parchemin se trouvant dans le cabinet des manuscrits du prieuré de St-Martin-des-champs à Paris dans le carton « monstre n°187 » sous le nom « Comte de Foix ».(7)

Deuxième copie de la montre conservée aux archives départementales du Gers à Auch

Deuxième copie de la montre conservée aux archives départementales du Gers à Auch

Dans les deux cas, il semble très clair que le nom de Pierre Arnaud n’est pas celui d’un Broqueville mais bien d’un Roqueville. En comparant la manière d’écrire des deux copistes de deux périodes différentes, on voit nettement que la première lettre n’est pas un B mais bien un R. Par ailleurs, dans les deux copies, la lettre  « r » qui devrait suivre la première lettre est inexistante. On passe directement à la lettre « o ».

Dans l’index de l’abbé Cazauran, j’ai cherché Roqueville pour voir si cette famille existait bien. J’ai trouvé une référence (cotée 108) qui correspond à un contrat de mariage de Noble Raymond de Roqueville avec Noble Géralde d’Albiac en 1313 et qui ne correspond en rien avec notre famille.

Puisque Mazeret fait plusieurs fois références à Monlezun pour les anciens Broqueville, autant chercher les différentes montres citées par ce dernier et se trouvant dans ce même cartulaire. Il est évident que j’ai cherché aussi le nom Broqueville dans l’index de l’abbé Cazauran mais n’y figure point. Le fief de Roqueville est cité (près de la ville de Montguiscard au sud de Toulouse et est citée dès le XIIème siècle. Cette puissante famille adhère à l’hérésie cathare, ce qui précipite sa ruine et sa spoliation.

Et enfin, nous arrivons au supposé membre de la famille Broqueville dont les archives de Monfort font mention qui est Pey de Broqueville cité avec sa femme Agne de Sibada les opposant aux consul de Monfort pour un pré inondé, le 15 juin 1530. Les archives de Monfort ne remontant jusqu’en 1591, malheureusement, les premières générations seraient perdues à moins que certaines parties des archives de Monfort soient déposées ailleurs. En tout cas, elles ne se trouvent pas aux archives départementales du Gers à Auch !

Voilà donc, un pan de notre histoire qui disparaît dans les oubliettes. Nous ne descendons pas de deux compagnons de Guillaume le Conquérant, nous ne sommes pas les héritiers des archers et autres soldats apparaissant dans des parchemins datant du Moyen-âge. il ne s’agit pas de notre famille et il est trop facile de dire que la famille de Roqueville est la même que la nôtre. C’est une affirmation gratuite que je refuse de faire.

Pourquoi Mazeret a volontairement mal recopié les archives ? Je pense qu’il faut replacer cela dans le contexte de l’époque, c’est-à-dire 1915. Ludovic Mazeret fait une introduction remarquable à son essai généalogique : « Au moment où les enfants de la sublime et héroïque Belgique, unis aux fils de notre chère France, combattent la main dans la main, avec honneur et intrépidité, les hordes barbares du kaiser allemand, nous sommes fier de rappeler que le président du conseil et ministre de la Guerre belge, le baron de Broqueville, est un peu notre compatriote et que sa famille habite la Gascogne depuis la Haute antiquité. »

M. Mazeret a besoin de nous ramener à la plus haute antiquité pour montrer à quel point, les Broqueville de 1915 sont encore proches de la région, d’autant qu’ils ont encore quelques biens dans la région (8).

S’il y a lieu d’écrire l’histoire de la famille Broqueville à Monfort au de-là de 1591, il faudra retrouver les archives qui semblent perdues. Ou bien certains membres de la famille en possèdent, ce qui serait évidemment formidable si elles étaient accessibles…

Géry de Broqueville

  1. Mazeret Ludovic, Essai généalogique sur la famille de Broqueville (branche de Monfort), in Société archéologique du Gers, 1914, page 262.
  2. Dom Claude de Vic et Dom Joseph Vaissete, Histoire générale du Languedoc, des origines à 1830, 10 tomes, Réédition Lacour, Nîmes, 1994.
  3. Abbé J.J. Monlezun, Histoire de la Gascogne, 6 tômes, réédition de Lacour, Nîmes, 2002.
  4. Ce serait une preuve issues du cartulaire château de Foix, caisse 13.
  5. Dom Vaissete, Histoire du Languedoc, livre XXII page 213-220.
  6. Dom Vaissete, Histoire du Languedoc, livre XXX page 125.
  7. Cette cotation est ancienne et ne correspond probablement plus à la cotation actuelle. Pour le moment, je n’ai pas retrouvé l’original de cette montre.
  8. Cela fera l’objet d’un article futur.