Le 1er juillet 2008, j’ai réalisé une biographie de mon grand-père, Jacques de Broqueville. J’ai réalisé trois paragraphes assez courts. Je suis en train de moderniser le site Internet et je retombe sur ce petit texte. J’ai eu envie de parler beaucoup plus de ce grand-père que j’ai peu connu. Jacques est mort en 1968. J’avais 11 ans. Jacques (1895-1968) était le cinquième fils de Charles de Broqueville (1860-1940), le ministre, et de Berthe d’Huart (1864-1937). Il est né à Achêne. De sa prime jeunesse, je ne connais pas grand-chose parce qu’à 11 ans, l’on ne prend pas la peine d’interroger ses aïeux. Tout simplement, parce que ce n’est pas le moment de le faire et que l’on croit qu’ils sont éternels.
Engagé volontaire avec le numéro d’ordre d/2848 et le grade de Brigadier, dès le lendemain de la déclaration de guerre, le 5 août 1914 jusqu’au 31 octobre 1914 au C.T. 1DA. Du 1er novembre 1914 au 23 juin 1916, il est apprenti pilote et puis pilote d’avion. Du 24 juin 1916 au 5 mai 1917 au 6e régiment d’Artillerie. Du 6 mai 1917 au 4 février 1918 au 2e régiment d’Artillerie. Du 5 février 1918 au 11 novembre 1918 au 1er régiment d’Artillerie lourde. Tout en étant pilote d’avion, il ne quitte pas l’artillerie. Il a une mission d’observation. Il n’a pas pu continuer à piloter parce qu’il a attrapé la jaunisse. Après sa maladie il a été muté de nouveau dans l’artillerie mettant à profit ses connaissances de l’aviation pour former les artilleurs en vue d’abattre les avions ennemis.
Les souvenirs de Jacques en photos
Jacques le photographe nous a transmis quelques albums photos des moments où il était caserné en attendant de retourner dans les tranchées ou derrière ses affûts d’artillerie. Il semble qu’il avait toujours un appareil photo à portée de main. Il a même fait des photos du sol lorsqu’il était dans les airs. C’est ainsi que nous avons des photos d’une visite de son père, Charles, en tant que ministre lorsqu’il était en cantonnement. C’est aussi grâce à ses photos que l’on peut découvrir la longue attente à Aix-les-Bains pour rencontrer von der Lancken. Jacques était aussi présent. Si l’Allemand n’est pas venu, il a eu la joie de retrouver sa mère et sa sœur qui ont pu traverser la frontière suisse. Les photos de Jacques sont parlantes. Elles nous disent ce qu’était la guerre. Ce sont des longues heures d’attente parce que le choix du roi Albert et de son ministre de la guerre étaient de ne pas sacrifier ses soldats.1
Voici les médailles gagnées lors de la grande guerre : Distinction honorifique : Croix de guerre avec palme, Croix de l’Yser, Croix du Feu, Médaille de la Victoire, Médaille commémorative de la guerre 1914-1918. Huit chevrons de front. Chevalier de l’Ordre de la Couronne avec Glaive, Chevalier de l’ordre de Léopold avec glaives.
Le père de Jacques part en exil
A la fin de la guerre, le 28 octobre 1919, il épouse Alix de Cressac dans la maison de maître des Cressac, à Poitiers. Il n’est pas impossible que Jacques connaissait Alix depuis au moins 1918, si pas avant. En effet, son père, Charles, et le père d’Alix, Henri de Cressac, se connaissaient depuis quelques années.2 Fin mai 1918, Charles commet un faux pas vis-à-vis du roi Albert Ier. Il doit quitter toutes ses fonctions gouvernementales. Ce n’est pas un hasard si Charles choisit Henri de Cressac pour commencer son exil loin du front, jusqu’en novembre 1918. Il semble évident que lorsque Jacques avait une permission pour aller voir ses parents, il venait à Poitiers ou au château de La Touche situé à Marnay.
Il faut reconnaître que le délai entre la fin de la guerre et le mariage n’est que d’une année. C’est un peu court pour mettre en place un tel événement. Après leur voyage de noce, Jacques et Alix habiteront au 32 rue Joseph II à Etterbeek 3. C’est le lieu de rencontre de la tribu du ministre. A la mort de ce dernier, il s’installe avenue des Deux Tilleuls à Woluwe-Saint-Lambert. Ils déménagent ensuite avenue Paul Hymans dans la même commune, jusqu’à leur mort respective.
Postel, le lieu de ressourcement
Jacques aimait plus que tout Postel. Il s’était installé, avec Alix, après le partage des biens du ministre, en 1942, dans une petite fermette qu’ils ont nommée Wigwam. Ce lieu a été le théâtre de deux générations d’enfants qui se sont partagés les lieux de jeux dont la grande prairie située devant la terrasse de Wigwam mais aussi les bois à l’arrière avec la construction de la mythique cabane Wigwam II !.
Devant Wigwam, s’étale une immense prairie. Elle était le lieu du château rêvé par Jacques et Alix. Cet immense espace ne sera jamais colonisé par une bâtisse.4 Il était bordé en arc de cercle par des mélèzes, lieux de nos escalades. Le fonds de ce cercle était habité par les lutins se partageant les immenses rhododendrons de toutes couleurs et juste encore, derrière, le Vesse coulant doucement vers la mer… et un peu plus loin, la maison de Jos Moors et de son épouse Maria. Jacques était très casanier. Il aimait tant Postel. Il a voyagé en Tunisie avec son épouse et sa sœur Myriam. De temps en temps, il allait en France voir sa belle-famille. En 1960, il s’est promené du coté de Monfort. Il avait l’esprit de famille et Postel chevillés au corps.
Le tennis, un peu en contrebas, était le lieu de rendez-vous des grands comme des petits pour des matchs de tennis endiablés. Sans oublier le mur ! Le mur presqu’aveugle avec sa ligne noire figurant la hauteur du filet. Et ce rectangle de même couleur qui nous fascinait. C’était le rectangle d’ajustement du coup droit ou revers gagnant. Il fallait que la balle passe par ce rectangle pour atteindre le point tant désiré. Bon papa s’arrêtait quelques mètres avant notre position pour regarder ou admirer nos entraînements quotidiens. Je le sentais admiratif de notre persévérance à essayer de rentrer notre balle dans ce maudit rectangle.
Plus loin au-delà des deux étangs, se trouvait son potager. Chaque matin, il choisissait une magnifique rose parfumée pour l’accrocher à sa boutonnière. C’était cela aussi, l’élégant Jacques.
La plus petite des parts !
Lors du partage des biens de son père, en 1942, il reçut la plus petite des parts qui avait le plus grand nombre de maisons situées presque majoritairement autour de l’abbaye. C’était la part, normalement, la plus rémunératrice de toutes les parts du gâteau. 5 La petitesse de cette partie représentait quand même près de 300 ha de terres essentiellement composées de bois et d’une terre agricole.
Il a fallu attendre des années, bien après la mort de Norbert, mon père, pour commencer un travail de rénovation, en profondeur, de ces maisons qui, pour certaines étaient sur le point de s’effondrer. Les derniers serviteurs des générations d’avant continuaient à payer leur maigre dû annuel. Il a fallu attendre leur mort pour entamer les travaux sous peine de révolution du village. Quand on sait cela, la plus petite des parts n’a pas apporté la fortune à son propriétaire !
Ces rénovations lourdes ont été réalisées sous les auspices de ma mère Huguette de Broqueville. S’il faut garder d’elle un nom, ce sera la rénovatrice. Outre bien sûr ses qualités d’écrivaine. Ainsi donc, nous avons gardé les souvenirs les plus importants de la vie d’un grand-père.
Géry de Broqueville
- Contrairement aux généraux français qui envoyaient à la boucherie leurs hommes de troupe. Edouard de Cressac, frère d’Alix en fit les frais à l’âge de 19 ans ! ↩︎
- Selon la fille de Jacques, Brigitte, ils se seraient rencontrés à Châtel-Guyon en prenant les eaux avant la guerre. ↩︎
- Cette maison de maître était un endroit stratégique pour Charles. Il était à 400 m du Parlement et à 1 km du Palais royal. Le bâtiment a été détruit il y a bien longtemps. Actuellement c’est l’hôtel Courtyard by Marriott Brussels qui y est installé. ↩︎
- Les frères de Jacques ont aussi rêvé de leur château jamais construit, parce qu’au XXe siècle, on en construit plus ! ↩︎
- Je me souviens que le loyer de l’une de ces maisons était de 1000 BEF par an. Il était impossible, moralement d’indexer ces loyers au vu de l’ancienneté des habitants. Ces prix sont restés inchangés depuis une trentaine d’années. Les autres loyers étaient à peu près pareil. ↩︎