Dur, dur, d’imaginer la vie de nos ancêtres. On les imagine comme nous, vivant avec les mêmes principe moraux… Alors que la femme a enfin, et ce n’est pas toujours le cas, toute la considération qu’elle mérite à juste titre… Brigitte de Cotignon, notre ancêtre, épouse de Jean II Broqueville de la branche des seigneurs d’Endardé vivaient-elle comme nous ? Ou était-elle traitée, par son mari, comme dit le dicton : « la femelle doit estre bien vêtue, mal nourrie, bien battue » ! Je n’imagine pas cela de mes ancêtres. Et pourtant ce qui va suivre est édifiant ! Les Broqueville du XVIIe siècle ne devaient pas différer de ce qui est rapporté dans les rares documents de l’époque. Notre inconscient collectif moderne ne peut admettre cela et pourtant, c’est bien ce qui s’est passé chez nos ascendants…
Dans le sud-ouest de la France, l’image classique des coutumes successorales souligne le fait de « faire un aîné » qui recevra les deux-tiers des biens de son père. La dot de l’épouse que l’on arrondi parfois « pour service rendu » assure sa subsistance en cas de veuvage. Or avec l’étude réalisée par C. Chêne sur les testaments gascons, on constate que cette vision doit être affinée. (1)
A Layrac (arrondissement de Toulouse) l’on constate que l’héritage paternel était partagé quasiment de manière égale entre les enfants avec toutefois, un plus pour les enfants habitant dans le voisinage. Aucun texte ne mentionne la valeur des héritages si bien que l’on a du mal à connaître la part réservée aux filles, mais C. Chène pense qu’elle était considérable. Selon le droit coutumier de l’époque, les parents avaient un droits d’élection des enfants en déterminant quel est leur enfant de prédilection mais pouvant changer du tout au tout en l’accordant au plus « offrant ».
Le pouvoir masculin s’étend aussi sur la dot de l’épouse. Une coutume d’Agen montre que le mari a un droit absolu sur la dot de sa femme et sur leurs revenus en ayant toutefois l’interdiction de l’aliénation. Les pères de famille sachant écrire n’arrêtent pas de justifier leurs pratiques absolutistes qui peut être résumée en une seule phrase : « La femme est sujet de l’homme même si elle est plus noble que lui ». Ainsi on attend du mari doté d’une grande maturité, une activité de gagne-pain et une protection à l’égard de la femme, avec un droit de correction modéré. Le père a une autorité totale sur sa femme et sa progéniture mais doit composer avec le voisinage. Ainsi l’homme responsable doit ménager l’amour-propre et l’autonomie du voisin, son égal, mais non les sentiments de ceux qui lui sont soumis. Il a le devoir d’être accommodant avec ses pairs, de prôner la conciliation même si d’autres membres de la famille sans responsabilité manifestent bruyamment en faveur de l’agression et de la riposte. (2) Les pouvoirs publics participent à cet ordre moral et font pression non pas sur celui dont on redoute un méfait mais sur le patriarche qui doit faire respecter sa loi.
Mais il est probable que la doctrine va plus loin que la pratique. En effet, un dicton existait en France « la femelle doit estre bien vêtue, mal nourrie, bien battue ». Cette pratique est plus en vogue dans le sud de la France que dans le Nord. Mais en Agenais, d’après les textes de procès retrouvés, cela semble une pratique courante. Ainsi un soir de 1669, Marie Bernet trouve refuge chez une amie mariée pour fuir les coups de son mari. Elle avait déjà avorté deux à trois fois à cause des coups de son mari. Son mari arrive dans la maison et l’infortunée se réfugie avec les femmes à l’arrière de la maison. Seuls les injures, les blasphèmes et les pierres lancées furent le motif des poursuites judiciaires, et non le traitement subi par l’épouse. La contrepartie de la violence est la solidarité des femmes qui s’attroupent et interviennent en nombre dans des disputes de ménage.
Les conflits à l’intérieur du mariage sont d’autant plus vifs qu’il fallait être marié pour survivre. Vivre seul est
extrêmement rare. La protection sociale de la famille contre l’extérieur était très forte et est un des devoirs du mari à l’égard de sa femme et de ses enfants. Plus encore, la famille sert de cellule de base à tout le système économique, quel que soit le métier de l’homme. Dans le cas des notables, l’épouse apporte la dot qui propulse le couple dans le processus d’accumulation de biens, généralement fonciers, mais parfois commerciaux. On considère que la femme ménage et gère la richesse : elle ne la crée pas. Cette complémentarité des tâches est essentielle, car elle délimite deux domaines, deux espaces et peut-être deux cultures. Il n’est pas question pour l’homme de s’occuper des tâches ménagères : A chaque curé, sa servante et à chaque union rompue par la mort de l’épouse, on fait appel à une soeur, à une belle-soeur ou à une servante pour faire le nécessaire. D’après les proverbes du Midi, l’assiduité au ménage prime sur la beauté, définit la bonne épouse. L’espace féminin se constitue donc autour des lieux où s’effectuent son travail : la maison, centre de l’univers féminin, le lavoir, le marché. La maison est tacitement interdit à l’homme s’il y a une femme seule à l’intérieur. La sociabilité pousse l’homme hors du foyer vers la place publique, vers les halles. Les deux espaces se complètent, ils caractérisent un foyer ouvert et sans grande vie privée.
Les textes écrits par les hommes lettrés ne parlent jamais de l’épouse. On saura qu’un tel a acheté une terre pour sa mère à Marmande, que le même s’applique a donner une bonne éducation à ses enfants, etc. On ne voit apparaître l’épouse qu’au moment de son décès.
La dot était un élément important d’un mariage. Bien entendu, la notion de dot a beaucoup évolué au court des siècles. Mais imaginons le mariage de Catherine Broqueville-Empiroy fille de Jehan Ier et de Marie de Busquet. Catherine épouse le 30 janvier 1649 François Carrette qui est docteur en droit et avocat au parlement de Toulouse. Voici un exemple de dot de cette époque :
« 120 livres de dot (3), plus une couette et coussin neuf suffisamment emplumé, une couverture blanche de Gimont de la grande sorte, six linceuls poil de lin, deux douzaines de serviettes poil de lin, une dizaine de longerons (4), de coutilhon (5), de raze (6) telle couleur que la dite mariée voudra, quatre toillons (7) en toile de Laval (8), deux nappes en poil de lin longue de 12 pans et 7 de large. Une garniture de lit complet de fillet taint et deux plats, deux assiettes et deux écuelles d’étain et une cassette de laiton, un coffre de coural (9) en noyé ferré fermant à clef.
Géry de Broqueville
(1) Grégory Hanlon, L’univers des gens de bien : culture et comportements des élites urbaines en France…. page 97.
(2) C’est probablement ce qui s’est passé entre ?? et son père ?? qui a donné une grande altercation entre père et fils au point où le fils a été déshérité par son père.
(3) 120 livres de dot cela donne de 120 pièces de monnaie représentant Louis XIII à la mèche courte/longue qui symbolise le changement de règne. Cette pièce de monnaie était en or et avait 0,619 gr d’or pur. de Calculer en francs (euro) constants, la somme nous paraît incroyable : 10.949 euro. Or, à cette époque, il est évident que 120 livres représentent nettement moins d’argent qu’actuellement. Il faudrait calculer cette somme en fonction du coût de la vie de l’époque.
(4) Longeron : ce nom n’est pas identifié. Il pourrait s’agir de grande pièce de bois, mais ce n’est pas sûr.
(5) Coutilhon : jupe de dessus, très ample, tombant à mi-mollets portée essentiellement en hiver.
(6) Raze : sorte de velours.
(7) Toillon : Ce serait une pièce de toile dont la grandeur est non identifiée.
(8) La toile de Laval. Production de toile au XVIIe siècle à Laval près d’Anger et qui était exporté en Espagne par la route.
(9) Coural est un mot dérivé de l’anglais qui veut dire courrier.