Deux généraux étaient chargés depuis 1912 de travailler sur des lignes de défense dans le cas où la Belgique allait être attaquée que ce soit par les Français ou par les Allemands. Dès le 31 juillet, Broqueville se rend compte que ni l’un ni l’autre n’on réellement travaillé à ces questions. Quand la mobilisation générale sonne, aucun plan de répartition des divisions n’est effectué. Ce sera donc dans une sorte de cacophonie que l’armée va devoir parer au plus pressé dès le début de la guerre. Cette impréparation a rendu tant le Roi que le Chef de cabinet furieux de cet état de fait, alors que tous les deux avaient obtenu de haute lutte le vote de la loi militaire de 1912.
Au moment de la déclaration de guerre de l’Allemagne, le Roi et son Chef de Cabinet ont fait simultanément un discours au parlement montrant bien leur unité de vue sur les jours sombres que les Belges allaient vivre. Le Roi parlant de « résistance opiniâtre » et « un pays qui se défend s’impose au respect de tous ». Broqueville « Au nom de la nation, toute entière, groupée en un même cœur, en une même âme, ce peuple même s’il était vaincu, ne sera jamais soumis » (Haag, p. 220)
Broqueville dès le 2 août savait que sa responsabilité était engagée en tant que chef de cabinet. De nature optimiste, Broqueville sous des dehors souriant, restait anxieux quant à la durée de la guerre. Ses propres ministres pensaient qu’en 5 mois la guerre allait être terminée. Broqueville pensait que la guerre allait durer plus longtemps. En effet, Lorsqu’il a appelé à l’aide les trois puissance garantes de la neutralité : la France, l’Angleterre et la Russie il pressentait que cette dernière était un colosse au pied d’argile. Il sentait qu’une révolution pouvait être possible dans ce pays.
Quelle prescience ! Celle-là même qui le poussa à faire voter les lois militaires en 1912 sentant qu’une guerre était inéluctable, comme du reste aussi en 1932-1934 où il restaient inquiet du réarmement de l’Allemagne et de la montée du Nazisme et de Hitler !
Ce qui préoccupait aussi Broqueville était que s’il devait y avoir des batailles de grande ampleur sur le sol belge, entre la France et l’Allemagne, ce serait la Belgique qui en ferait les frais en ce qui concerne les destructions de villes et de villages. Broqueville écrivit deux lettres à Asquith, premier ministre et Grey qui était le ministre des Affaires étrangères d’Angleterre. Il dit en substance : « Dans la nuit du 2 au 3 août, c’est moi qui, d’accord avec le chef d’Etat, ai assumé le fardeau de la décision prise » Celle-ci « imposera au pays la perte de la fleur de sa jeunesse comme les plus redoutables sacrifice matériels. L’acquiescement aux propositions allemandes faites avant, et même depuis l’entrée en campagne, c’était pour nous la paix et la vie facile… » (Haag, p. 233)
Broqueville se doutait donc que sa responsabilité était importante et que la guerre serait longue. Il écrivit plusieurs lettres à son ministre des Affaires étrangères Davignon allant dans ce sens. Il devait aussi prendre une décision fondamentale par rapport au parlement. En cas d’occupation totale du pays, fallait-il que les membres du parlement suivent le gouvernement en exil ? N’était-il pas mieux qu’il reste auprès d’elle comme représentant de l’Etat ? Pour guider la population durant des moments qui devaient certainement être pénible ? N’allait-on pas l’accuser d’autocratie voulant se débarrasser d’un parlement encombrant ? Et en même temps, se disait-il, le parlement ne lui a jamais été hostile, bien au contraire. Il a, pour finir, pris la décision de demander aux parlementaires de rester en Belgique. Il a écrit cette à Davignon le 8 août 1914 : « Si nous sommes rejetés du pays, comme il est permis de le redouter, mon rôle sera de servir l’armée, de grandir par mes efforts personnels notre position vis-à-vis de l’étranger, en vue d’une paix heureuse : le rôle des parlementaires sera d’être les appuis moraux et matériels des opprimés ; tandis que nous, nous les assisterons dans tous les domaines où notre action sera possible. Et ainsi notre Belgique s’affirmera grande par son armée et par son peuple » (Haag p.235)
Un autre point inquiétait sérieusement Broqueville : ses relations avec le Roi. Cette question avait déjà été abordée dès le mois de mars 1912. Broqueville avait fait passer des arrêtés sur la position de l’Etat-major, le 8 mars, par rapport au Roi. Mais le général Jungbluth montra peu d’entrain a exécuter cette loi puisqu’il ne démordait pas d’être le porte-parole directe du Roi et son adjoint refusait de répondre au question du ministre. Broqueville a donc du recadrer les deux généraux récalcitrant : « En temps de paix, ll n’y a dans ce domaine qu’une responsabilité, c’est la responsabilité ministérielle, et toute notre organisation doit être réalisée en conséquence, sinon elle sera balayée demain par le parlement lui-même. Les attributions de l’état-major général sont certainement très étendues ; Elle sont d’ailleurs nettement précisées par les arrêtés ; mais il convient de ne pas perdre de vue que, sauf délégation spéciale, le pouvoir de décision appartient exclusivement au ministre investi de la confiance royale en la matière. Parlant ici plus spécialement comme chef de gouvernement je vous affirme que le gouvernement ne tolèrera jamais qu’il en soit autrement, tant qu’il aura à sa tête un homme dévoué à la royauté et connaissant nos institutions. Il s’agit ici d’une question de la plus haute gravité pour l’Etat » (Haag p.81)
Les mots « en temps de paix » doivent être souligné. Le ministre imaginait-il qu’en tant de guerre les choses allaient être différentes ? Il savait aussi qu’en s’attaquant à Jungbluth, il s’attaquait à Albert !
En août 1914, nous sommes dans un état de guerre. La réponse était claire pour Broqueville d’autant qu’il a eu un engagement solennel dans une lettre adressée au Roi le 11 août en signalant « qu »il contresignerait ce que le Roi jugerait devoir faire sur le terrain« . Le ministre visait les opérations militaires tout en réservant ses droits sur les questions politiques. Mais la frontière est floue entre les uns et les autres. Broqueville confirme au Roi ses intentions, le 1er septembre, par une lettre stipulant qu’il est prêt à remplacer les généraux incompétents et de rajouter : « En temps de guerre et en matière et en matière d’opération militaires, le ministre de la guerre n’étant pas tenu au courant de celles-ci, n’a qu’un moyen d’être éclairé, et ce moyen c’est l’avis du Haut Commandement. Cet avis étant donné, je suis prêt à assumer toute la responsabilité de la décision… Nul autre que moi n’en connaîtra l’origine. J’ai une fois inébranlable dans l’avenir. » (Haag p.235)
Mais les choses ne se sont pas passées ainsi. Durant les premiers jours de la guerre Broqueville était de moins en moins prévenu de ce qui se déroulait. Le Roi arrivait au G.Q.G. dès 5 heures du matin et se plongeaient dans l’étude des actions à mener n’ayant plus aucune relation avec son ministre alors que c’est ce dernier qui portait la responsabilité devant la nation. Broqueville souffrait de cette situation. Il s’inquiétait des conséquences de décisions dans lesquels il n’avait aucune part et qu’il devait endosser. Il écrit une lettre au Roi allant dans ce sens le 11 août en y incluant la question du limogeage du chef d’Etat-major de l’armée de Sellier, par le Roi, à la demande de Jungluth et de Ryckel. Broqueville écrivit ceci : Sire, (…) J’avais promis au Roi de contresigner ce qu’il jugeait devoir faire su le terrain. Connaissant depuis 15 ans le général et celui qui le remplace, j’ai le devoir de dire au Roi que, quel que soit mon dévouement à sa personne, ce que je crois être dans l’intérêt du pays ne me permet pas de contresigner ce changement ; c’est pour moi une question de confiance. Je suis d’ailleurs prêt à me retirer, soit immédiatement, soit de suite après la guerre, selon la préférence du Roi » (Haag p.238). Mais l’on voit ici la difficulté des relations entre le Roi et son ministre ne faisait que commencer. L’unité entre le Roi et son ministre décrite au début de ce texte n’est en réalité qu’une façade, d’autant que les cabinets militaires tant du roi que du ministre voulaient chacun de leur coté avoir leur mot à dire dans la direction des opérations.
Ce n’est que le 17 août que le Roi reçut Broqueville au G.Q.G. A la fin de l’entretien, Selliers fut réintégré dans ses fonctions. Dès le lendemain, le gouvernement quitta Bruxelles pour Anvers. Le lendemain, le Roi ordonna un repli de l’armée au-delà de la Dyle et ensuite sur Anvers contredisant le Général Joffre qui prétendait que les Allemands avaient tout intérêt à descendre directement vers la France. Ce fut une grosse erreur de Joffre de croire cela d’autant que le Roi était remarquablement renseigné par les éclaireurs de la cavalerie, son aviation et par la population qui se trouvaient derrière les lignes et qui utilisaient le télégraphe qui n’était pas coupé. Quatre divisions allemandes fonçaient droit sur l’armée belge au centre du pays. Ce fut la première mésentente d’importance avec les Français et mettait en avant la volonté du Roi et de son gouvernement de rester maître de l’armée et ne pas la mettre sous le commandement de la France, ceci toujours dans le but de préserver les questions de neutralité. Les événements comme la bataille de Charleroi perdue par Joffre donna raison au Roi et à son gouvernement quant à la présence des quatre divisions d’élites amenée par le général Molke. L’armée française a du se replier suite aux mauvais calculs de ses chefs !
Le 24 août. A peine arrivée à Anvers, le Roi ordonne une attaque qui s’est avérée inutile. Trois mille hommes furent sacrifiés pour permettre au Roi de tenir sa promesse d’offensive faite à l’ambassadeur de France à Bruxelles mais aussi de redonner confiance aux Français. Broqueville a entériné cette décision. Mais un autre point de friction apparu entre les deux hommes. Broqueville avait décidé de réactiver les Gardes civiques qui avaient été créé en 1931. C’était un groupement hétéroclites de volontaires et de gendarmes, qui ont rendu des services importants surtout à l’arrière des lignes allemandes. (Haag 251)
Le 6 septembre eut lieu une révolution de palais. Il s’agissait de résoudre le problème du haut commandement composé d’une multiplicité de petits chefs. Une réunion secrète eut lieu entre le Roi, Broqueville, Jungbluth, Hanoteau, Galet et Ingenbleek (secrétaire du Roi). Ils ont décidé de la création du Conseil supérieur de la Guerre, lequel servit de prétexte et de couverture à des changements importants dans le haut commandement. Selliers, Dufour (gouverneur militaire d’Anvers) et Ryckel furent disgraciés. Le Roi aurait bien voulut donner le rôle de chef d’état-major à Jungbluth mais Broqueville s’y opposa. Le général Wielemans, chef du cabinet militaire de Broqueville devient le sous-chef. Dans cette révolution de palais, Broqueville a été assez habile pour se remettre en selle et peser sur les décisions et non plus en être le simple acteur tout en portant la responsabilité. Il est vrai aussi que la nomination de Wielemans était intéressante car il avait déjà travaillé sous les ordres de Jungbluth. Il avait assez d’expérience pour essayer de ramener l’entente entre le Roi et son ministre. (Haag, p. 251)
Géry de Broqueville