Le Parlement dissous, les élections générales eurent lieu en juin 1912. M. de Broqueville n’avait rien laissé au hasard ; il avait si bien manœuvré et si bien ramené la confiance dans son parti que la droite, au lieu de 6 voix de majorité, en obtenait 16 à la Chambre et 25 au Sénat. La fulgurante carrière politique de Charles de Broqueville commençait.
Vivement impressionné par les dangers de la situation internationale, il résolut, d’une part, d’entreprendre la réorganisation de l’armée et l’élargissement de la base de recrutement, fixée à un fils par famille depuis 1909 ; d’autre part, il conçut le plan de provoquer un apaisement dans la lutte des partis par une réforme constitutionnelle touchant entre autres la question du suffrage. Il en avait fixé l’échéance à 1916. Il exposa ces vues lointaines au roi dans une lettre mémorable dont il donna connaissance en 1913 à Emile Vandervelde. Il recueillit l’adhésion entière du souverain qui considérait à juste titre qu’un régime électoral qui n’avait plus le soutien que d’un seul parti était pratiquement condamné.
Devenu ministre de la guerre en novembre 1912, le Baron de Broqueville parvint à faire voter en 1913 la loi militaire généralisant le service militaire. Le contingent fut porté dès cette année à 30.000 hommes et l’armée de campagne passa de 70.000 en 1912 à 117.000, chiffre qui devait aller croissant. En même temps il réorganisait le commandement, augmentait l’armement, créait de nouvelles grandes unités ; toute l’armée se sentit animée d’un esprit nouveau. Le travail, mené fiévreusement, permis à la Belgique de supporter le choc d’août 1914 dans des conditions qu’on n’aurait pu espérer quelques années plus tôt.
Le printemps 1914 vient à peine de s’achever qu’un événement dramatique se déroule en Bosnie, un jeune Serbe abat d’un coup de pistolet le prince héritier du trône d’Autriche et sa femme. L’empereur Guillaume II de Prusse et le général von Molke n’attendait que ce signe pour attaquer la France. Les quelques semaines avant la déclaration de guerre, le ministre de Broqueville travaille sans relâche pour appeler à la mobilisation générale.
Dès le commencement des jours tragiques, le ministre de la guerre fut pleinement à la hauteur du péril. Le 4 août 1914, après le discours du roi devant les chambres réunies, il fit appel à son tour au courage de la nation. « Un peuple qui ne s’abandonne pas, s’écrira-t-il, peut être vaincu, mais il est certain qu’il ne sera pas abattu, et moi, je le déclare, au nom de la Nation tout entière, groupé en un même cœur, en une même âme, ce peuple, même s’il était vaincu, ne sera jamais soumis. »
Dès le 4 août au matin, l’ennemi envahi la Belgique par la Meuse à Visé pour s’attaquer ensuite à Liège. Le 5 août, il fit appel à la France pour l’aider à contenir les troupes ennemies. La propagande allemande se servit de cette intervention militaire pour retourner des alliances notamment celle du Vatican qui pris position contre la Belgique. Le 6 août, il déclare Bruxelles « ville ouverte ». En accord avec le roi, il se replie avec le gouvernement sur Anvers. Dans le même temps, il créa un journal « Le courrier de l’armée – Legerbode » pour contrer les rumeurs les plus folles qui circulaient tant à Anvers qu’ailleurs.
Quand le gouvernement s’installa à Anvers, il fut un des premiers à comprendre le nécessité de ne pas se laisser enfermer dans le camp retranché, malgré les insistances de Winston Churchill, voué à la destruction par la supériorité de l’artillerie ennemie. Il assuma la responsabilité des changements dans le Haut Commandement quand le roi Albert se rallia à la politique audacieuse de sauver l’armée de campagne par l’Ouest. Il organisa l’évacuation d’Anvers jusqu’à la base arrière d’Ostende comme première étape pour se baser sur l’Yser, sur Dunkerque et sur Le Havre.
Il se fixa à Dunkerque pendant la bataille de l’Yser pour couvrir constitutionnellement les décisions du souverain et combattre au Grand quartier général toute idée de retraite. Il dirigea la réorganisation des services de l’arrière au niveau des services de santé, de l’accueil des réfugiés, de l’instruction des jeunes recrues, du ravitaillement en munitions d’abord dans la base de Calais puis celle du Havre avec un sang-froid, une sagesse, une prévoyance exemplaires à partir de ses différents QG à Dunkerque, Saint-Pierrebroucq et enfin à Steen en Flandre française. Il était constamment en liaison avec le roi qu’il soit à son G.Q.G. ou à la résidence royale de La Panne. Il noua d’utiles relations personnelles avec Lord Asquith, Lord Kitchener dont il désamorça une crise en 1916 et avec les généraux Joffre et Foch.
Le ministre de la Guerre se rendait périodiquement au Havre où il organisa une formidable base arrière de ravitaillement et plus particulièrement à Sainte-Adresse où le gouvernement avait trouvé refuge. Répondant aux vues du roi, il se décida à la fin de l’année 1915 à élargir le cabinet en demandant aux chefs de l’opposition Paul Hymans, le Comte Goblet d’Alviella et Emile Vandervelde d’entrer dans le gouvernement, inaugurant ainsi la formule tripartite qui allait connaître une longue faveur. Au Havre, le gouvernement avait pour mission de gérer la guerre mais aussi de préparer la paix. Des idées comme la création d’une union douanière avec la France vit le jour mais ne furent pas forcément réalisées. Fin 1915, Il s’opposa à une intervention militaire par la Hollande, idée lancée par les Anglais. De plus, le Premier ministre négocia âprement avec l’Angleterre et la France la possibilité de ravitailler la Belgique envahie malgré l’existence d’un blocus économique de l’Allemagne.
Géry de Broqueville