Comprenons-nous bien. En 1731, la famille Broqueville est en pleine ascension sociale dans la bastide de Monfort. Les membres de la famille sont qualifiés de bourgeois et sont de gros propriétaires terriens. Ils rajoutent la particule puisqu’il se disent noble depuis le début du XVIIIe siècle, à l’instar de la branche aînée, les Broqueville-Empiroy. A cette date ne subsiste que Vital de la branche aînée et qui décédera après 1735 à l’âge de 83 ans, sans descendance mais en léguant toute sa fortune à ses cousins Endardé tandis que la branche bourgeoise s’est déjà éteinte dans la deuxième moitié du XVIIe siècle.

Broqueville père est Louis fils de Jean et de Brigitte de Cotignon. Louis est marié à Marie de Solaville. Son épouse donnera naissance à 13 enfants dont Jean-Baptiste de Broqueville-Colomé (1689-1771), Bernard (1690-1780), Jeanne (1692-1755), Dominique (1693-1693), Alexis de Broqueville-Garros (1694-1766), Roze (1695-1700), Cécilia (1696-1700), Catherine (1697- ?), Louis-Dominique (1698- ?), Françoise (1700-1784), Joseph de Broqueville-Larroque (1701- ?), Isabeau (1703- ?) et Marie-Anne (1704- avant 1771).

En 1731, au moins 5 enfants subsistent mais dans l’histoire qui va suivre trois seulement nous intéressent. Il s’agit de Alexis de Broqueville-Garros, Françoise de Broqueville et Joseph de Broqueville-Larroque.
Les documents retrouvés aux archives départementales du Gers sont intéressants à plus d’un titre. Ces pièces de procès nous montrent les mœurs de l’époque, les coutumes et la façon aussi dont la justice était rendue. (1) Nous allons voir le type de réactions à des injures qui nous semblent très anodines mais qui, visiblement sont graves, surtout dans le cadre de l’ascension sociale d’une famille. Les textes ne retiennent que deux injures :  laquais et marmiton. La réaction va être brutale.

Nous nous trouvons le dimanche 18 février à la sortie des vêpres qui se déroulent vers midi puisque la scène ci-dessous se déroule aux environs de 4 heures. Lisons le texte retranscrit de la plainte de Catherine Druilhet contre le sieur Joseph de Broqueville d’Endardé (2) :

« A vous monsieur le juge royal du pays de Fezensaguet monsieur votre lieutenant en la cour, supplie humblement Demoiselle Catherine Druilhet fille à feu Henry Druilhet Bourgeois et de demoiselle Claire Dupin habitante la dite ville de Monfort disant que le jour février 18e du courant fut l’heure de 4 d’après midi la suppliante était assise devant sa porte en compagnie de messire François du Bouzet, baron de Labizan, de demoiselle Marie du Bouzet et Bivès, du sieur Jean-Blaise Solirène bourgeois. Le sieur Joseph Broqueville d’Endardé serait venu en les abordant avait honnêtement dit à la suppliante qu’il la priait de vouloir se séparer de la dite compagnie pour un instant, ayant quelque chose à lui dire, ce que la suppliante aurait gracieusement fait. Le dit Broqueville l’ayant attirée à 5 ou 6 pas de ladite compagnie sous prétexte d’avoir quelque chose à lui dire, lui avait pris les deux mains de l’une des siennes dans le même temps d’un propos délibéré et prémédité lui avait donné deux ou trois soufflets et trois et quatre coups de pieds dans les fesses sans que la suppliante croie lui avoir donné aucun sujet de la traiter de la sorte. Ledit Broqueville l’aurait sans doute plus maltraitée s’il n’y eu des personnes assez charitable qui fussent venus pour empêcher ledit Broqueville de pousser plus avant sa brutalité sur quoi ce soit encore parvenue demoiselle Françoise Broqueville d’Endardé soeur dudit Broqueville qui avait crié à son frère qu’il avait très bien fait de traiter une drôle comme la suite de la manière qu’il avait fait lui ayant dit des injures qui ne veut pas ternir son honneur ce qui ne peut sans doute avoir été occasionné qu’à l’instigation de la demoiselle Françoise Broqueville. (…) »

Le décor est planté. La scène se déroule entre la porte de Sainte-Gemme et la porte de Toulouse, pas loin de la promenade des remparts de la bastide. La justice royale de Mauvezin va demander à quelques témoins de la scène de s’exprimer sur les fait en plaçant « les mains sur les saints évangiles de notre seigneur à promis et juré de dire la vérité ». Chacun doit dire s’ils ont des liens de parentés, sont alliés, servantes ou domestique et connaître les parties » C’est ainsi que l’on découvre une nouvelle parentée entre Marianne d’Entraygue Lauzéro (16 ans) avec Joseph de Broqueville au troisième ou quatrième degré. De même Marie-Anne Ponsin (50 ans environ) est parente aussi mais ne sait plus à quelle degré (3).

Tous les témoignages sont intéressants et varient aussi selon les angles de vue et les intérêts de chacun. Les témoins apparentés ont une forte tendance à décrire la situation mais avec des nuances en faveur de leur lointain cousin. Le lien du sang, cela compte quand même.

On découvre aussi que Louis, le père d’Alexis de Broqueville-Garros a été très mécontent des fréquentations de son fils avec demoiselle Sentis qui visiblement attirent les commentaires de tous, certes à propos d’une très belle robe de chambre mais aussi du fait qu’elle soit avec Monsieur Ponsin. L’on sait aussi par les témoignages qu’une altercation a même eu lieu, quelques temps auparavant, entre le père et le fils en pleine rue, ce qui a alimenté les commérages spécialement de Catherine Druilhet et ses copines.

Altercation de Louis avec Alexis son fils cadet

Altercation de Louis avec Alexis son fils cadet à propos de ses fréquentations avec demoiselle Sentis

Visiblement ces commérages exaspèrent Alexis (sieur de Garros) (4) mais surtout son frère cadet, Joseph (sieur de Larroque) qui veut laver l’honneur de la famille en donnant une leçon à celle qui lance ainsi les rumeurs et des propos injurieux.  Ainsi lors de son audition par le procureur du roi siégeant à Mauvezin, Joseph Broqueville dit ceci en substance :

« Il est véritable que dudit jour 18 du mois de février on rapporta a lui qui répond à la sortie des vêpres que ladite demoiselle Catherine Druilhet avait dit sur le compte de lui qui répond et de sa famille plusieurs choses très grave et disgracieuse, il cru qu’il était de son honneur d’avoir des explications avec cette demoiselle qu’il la joignit dans cette intention étant en compagnie des susnommés qu’il l’a pria avec beaucoup de politesse de lui expliquer le motif qui l’avait obligé de tenir pareil discours et qu’au lieu pour cette demoiselle de rétracter ce qu’elle avait dit elle soutin au contraire d’un air hautain et méprisant qu’elle avait dit que, lui qui répond, était un laquais, un marmiton et autres injures très atroces. La vérité de cette situation, lui qui répond, se trouvant fort piqué en n’étant point maître de sa colère, il avoue qu’il donna un coup de pied à la demoiselle Druilhet laquelle l’ayant pris à la cravate qu’elle du tirer, lui qui répond, se trouva si troublé voulant se dégager qu’il repoussa de sa main ladite Druilhet ne se tournant point qu’il l’a toucha avec sa main qu’il était très fâché de ce comportement.(…) »

Langage qui nous paraît très cru

Langage qui nous paraît très cru

La soeur de Joseph, Françoise de Broqueville (5) a quand même ajouté de l’huile sur le feu en encourageant son frère dans ses agissements en injuriant aussi Catherine Druilhet et la traitant de drôlesse. Cette dernière n’est pas condamnée car le juge considère qu’elle n’a pas fait qu’injurier mais n’a pas participé aux coups.

Ce qui est intéressant dans le jugement, c’est que la violence utilisée par Joseph n’est pas condamnée parce qu’il semblerait qu’il soit en légitime défense. En mai 1731 il est relaxé parce qu’il a sauvé l’honneur de sa famille. Cela passe avant toute chose. Catherine Druilhet a même du se rétracter dans un document où elle reconnaît qu’elle retire sa plainte. Ce qui doit jouer aussi probablement c’est que c’est une femme qui porte plainte contre un homme. Ce dernier a plus de droit que la femme. Il peut la battre mais la femme ne peut pas colporter des rumeurs. Le jugement du 17 mai 1731 est irrévocable. Le témoignage de Joseph de Broqueville, sieur d’Endardé a plus de valeur que celui de la plaignante. Il est possible que le statut social ait eu aussi du poids dans la balance de la justice. Le juge écoute Joseph et renvoie les deux protagonistes dos-à-dos en imposant à Joseph de s’expliquer calmement au domicile de la demoiselle Druilhet tout en lui remettant la copie du jugement.

Innocence de Joseph rien qu'au travers de son témoignage

Preuve de l'innocence de Joseph rien qu'au travers de son témoignage

Géry

(1) Les sept pièces de ce procès clasée aux Archives départementales du Gers (ADG) à Auch sous la cote 2B93 ont été photographiées (ref photo de 8820 à 8860), sont disponnible au format pdf sous les références suivantes :

1- la plainte de Catherine Druilhet – 2- la convocation des témoins – 3- L’audition des témoins – 4- Désistement de Catherine Druilhet – 5- jugement – 6- Audition de Joseph Broqueville et relaxe – 7- Inventaire des pièces du procès.

(2) La tournure des phrases n’a pas été corrigée, seuls les mots ont été écrit en langage actuel pour une bonne compréhension.

(3) Marie-Anne Ponsin est née en réalité le 17 juillet 1676 et a donc en réalité 55 ans. Elle est la fille de Louis Ponsin et de Catherine Divat. Sa grand-mère est Mathuio Broqueville-Empiroy (+ 1670). Cette dernière est fille de Jehan Ier et de Marie de Busquet. Il faut encoire remonter une génération pour avoir l’ancêtre commun (Pierre x Marquèze de Pausadé) entre Joseph et Marie-Anne Ponsin. Ils sont donc cousins au quatrième degré.

(4) Il faut reconnaître qu’Alexis, sieur du Garros ne doit pas avoir un comportement exemplaire avec cette demoiselle Sentis. En effet, lors de l’estimation des biens de Louis en 1745 (voir Bulletin n° ??) on a découvert qu’Alexis a eu quatre enfants dont on ne connaît pas la mère. Serait-ce cette demoiselle Sentis qui n’a jamais été acceptée par le père au point de vouloir « tuer » son fils parce qu’il la fréquentait ?

(5) Françoise de Broqueville épouse Jean-François Dabrin, notaire royale. Elle aura une nombreuse descendance existante encore actuellement. Voir article : https://broqueville.be/blog/?p=926