Lorsque Dunkerque commença, à la fin avril 1915, à subir les bombardements d’une pièce de canon tirant, pour l’époque, à grande distance, l’ont reconnut qu’il serait inutile d’exposer aux obus ennemis les services et le cabinet du ministre de la Guerre. Celui-ci dut chercher un autre cantonnement. Le commissaire régulateur français de Dunkerque en chercha un qui soit près d’un nœud de communication. C’est ainsi que le ministère émigra à Saint-Pierrebroucq, à mi-chemin entre le front et la base retranchée de Calais-Gravelines, à proximité de Bourbourg dont le commandant Méeus devint le commandant d’armes.
A Saint-Pierrebroucq, M. de Broqueville fut l’hôte du baron Henri Cochin et les bureaux s’installèrent dans le village aux maisons basses groupées autour de la vieille église. Son cabinet s’installa même dans des baraquements en bois. M. de Broqueville estima, dès le début de la guerre, que son ministère devait être l’instrument du ravitaillement, en hommes, en matériel et en matières premières. Tous les autres services passaient au second plan, étaient réduits en effectifs et étaient envoyés au Havre.
Au QG du ministre, le travail est intense. L’ordre est d’éviter la paperasserie inutile. Ce qu’il faut, c’est un esprit clair et net pour l’étude des affaires et celles-ci ne manquent pas. Peu nombreux mais choisis avec un soin particulier, les collaborateurs du ministre purent ainsi faire une ample et sûre besogne. Loin des intrigues et des discussions stériles, leur activité rivalisait avec les autres services qui au Havre donnaient une impulsion incroyable à toutes les organisations de base. . Maurice des Ombiaux disait : « La vie de ces hommes sur qui pèsent les plus graves problèmes…est quasi monastique, avec les repas pris en commun, les promenades à heures fixes, la bonne humeur et le travail jusqu’à fort avant dans la nuit. C’est une sorte de béguinage militaire ».
Une liaison journalière existait entre le G.Q.G. et La Panne devenue résidence royale, si bien que le ministre était constamment tenu au courant des événements et des besoins qui se révélaient nécessaires à l’armée pendant les opérations. Les questions de personnel étaient réglées séance tenante, sur place. Celles concernant le matériel étaient d’abord résolues en principe puis, pour exécution, envoyées aux services du ministère au Havre, qui avaient sous leur dépendance immédiate tous les ateliers de construction, de fabrication et de réparation. Et de même, un courrier spécial quotidien reliait Saint-Pierrebroucq au Havre, chaque jour.
Entre Dunkerque et Paris, il n’y avait plus qu’un seul train de voyageurs par jour dans les deux sens. Le courrier du roi qui était aussi celui du ministre de la Guerre avait un compartiment réservé. A Abbeville, il arborait à la fenêtre de son compartiment un petit drapeau belge comme signe de ralliement pour les motocyclistes belges faisant la navette entre Abbeville, Eu, Criel, Dieppe, Le Havre et retour. Au passage de chaque train, l’échange de courrier se faisait.
Les postes de T.S.F. de Baerle-Duc et Saint-Pierrebroucq
Pendant la guerre, tout le monde se doutait bien que la Hollande, par sa position géographique était devenue un « centre de renseignements » de la plus haute importance pour les alliés. Pays frontière avec l’Allemagne et avec la Belgique occupée, nos agents pouvaient y faire parvenir aisément leurs renseignements provenant de l’arrière du front ennemi. Mais une fois en Hollande, il restait qu’il fallait transmettre l’information en Angleterre et en France. Or la rapidité dans le transport de l’information a une valeur considérable. Le seul moyen était l’utilisation des messages télégraphiques chiffrés. Trois câbles reliaient la Hollande à l’Angleterre. Nos communications étaient à leur merci. Un premier câble rompu en 1915, sans qu’il fût possible de le réparer, donna l’éveil à M. de Broqueville. Il fallait absolument trouver une solution. Le G.Q.G. belge et le général Putz, commandant alors le détachement de l’armée française de Belgique, y attachaient également une très grande importance en raison d’une offensive commune que les Etats-majors prévoyaient pour septembre 1915.
C’est alors que l’on songea à employer l’enclave belge, de Baerle-Duc, en Hollande pour y installer un poste de T.S.F. La solution était parfaite. Mais le ministre des Affaires étrangères de Belgique opposa un refus catégorique. Il craignait, avec la Hollande, un grave conflit dont l’issue aurait été désastreuse si les Allemands bombardaient le village belge et par contrecoup le territoire hollandais avec les batteries qu’il pouvait installer à loisir en Campine et dans le Limbourg belge. Par ailleurs la Hollande s’opposerait sans doute au passage des appareils spéciaux. Avec des pourparlers avec le roi, la France et l’Angleterre, M. de Broqueville résolut de se passer de l’approbation de son ministre des Affaires étrangères. En mai 1915 l’on acheva, malgré la surveillance hollando-allemande et avec les plus grandes précautions, les premiers travaux d’installation d’un poste secret d’écoute et d’un poste de radiométrie.
A Saint-Pierrebroucq même, Charles de Broqueville fait construire un poste complet à grande puissance et le commandant Wibier, chef de la T.S.F. de l’armée en assure le fonctionnement. Enfin, en juillet, l’on décide que le poste de Baerle-Duc sera émetteur de telle façon qu’il puisse « parler » directement avec le Q.G. du ministère de la Guerre. L’armée française donna tout le matériel nécessaire. le personnel belge fit un stage au poste d’écoute de la 10e armée près du Q.G. du général Foch à Cassel.
Puis, un beau jour, le 11 juillet 1915, le colonel Génie, chef de la mission française près du roi, est prié d’avertir discrètement M. de Broqueville que « l’équipe spéciale pourrait quitter Calais incessamment ». Certaines pièces délicates furent parfois transportées de manière inédite, mais le 17 octobre 1915 à 22h40 le poste de Baerle-Duc commença son service d’écoute permanent en relation directe avec Saint-Pierrebroucq et le G.Q.G. français. Il est à signaler que, M. de Paeuw, chef du cabinet civil de M. de Broqueville, originaire de Baerle-Duc, rendit les plus grands services à la réalisation de ce projet.
La création de ce poste rendit des services extraordinaires aux armées alliées et au contre-espionnage. Il se justifia d’autant plus qu’en janvier 1916, le second câble reliant la Hollande et l’Angleterre fut rompu. Enfin le dernier câble se rompit le 29 mars 1916 et ne put être remis en service que le 31. Sans le double poste de Baerle-Duc-Saint-Pierrebroucq les alliés seraient restés trois jours sans communication avec leurs agents en Hollande.
Départ pour Steene
En juillet 1916, l’armée anglaise fut autorisée à installer des réserves de munitions à Saint-Pierrebroucq. Comme la place de Gravelines fut, elle aussi, submergée de réserves de munitions en vue d’une offensive, de vastes entrepôts belges s’installèrent non loin de là, à Bourbourg. Vu l’incessant charroi et les montagnes de munitions de toutes sortes, Charles de Broqueville décida de changer d’endroit pour son Q.G. Il s’installa en avant de Bergues, à Steene, au château de Steenebourg. Le commandant Méeus devenait ainsi commandant des places d’armes des trois places de Dunkerque, Bourbourg et Bergues.
Le quartier général du ministre de la Guerre va rester à Steene jusqu’au début d’août 1917, date à laquelle le général de Ceuninck devint ministre de la Guerre, tandis que M. de Broqueville devint ministre des Affaires étrangères. Le général de Ceuninck crut devoir placer son Q.G. près de Furnes. Il y emmena les archives du ministère. Malheureusement, en 1918, une batterie allemande prit pour cible le Q.G. et le bâtiment des archives brûla. Tous les précieux documents qui auraient pu donner plus d’indications sur le travail de son prédécesseur, sont ainsi partis en fumée.