Les avantages d’une union douanière entre la France, la Belgique et les pays alliés n’avaient pas échappé à M. de Broqueville qui tout en continuant sa « tâche de guerre » ne cessait pas de songer à l’après-guerre. Dès 1916, le président du conseil signalait qu’il lui semblait nécessaire que la Belgique puisse s’assurer une place dans un des grands groupements économiques qui, croyait-on, allait se constituer après la guerre : elle ne pouvait pas songer à faire cavalier seul.
Au début de cette année 1916, M. de Broqueville rencontre à différentes reprises M. Clémentel, ministre du commerce. Dans des conversations préliminaires, ils envisagent les rapports économiques qui s’établiront entre nos deux pays après la guerre. M. de Broqueville préconisait déjà une grande entente douanière entre tous les alliés et surtout entre la Belgique et la France.
Le 4 avril 1916, M. Clémentel signale à ses collègues et au président de la République le contenu des discussions qu’il vient d’avoir. Tout de suite, MM. Poincaré, Briand, Doumergue et Freycinet déclarèrent que la France ne devait pas laisser échapper l’occasion de s’unir étroitement sur le terrain commercial avec la Belgique et M. Poincaré fit même remarquer que les intérêts privés devaient s’effacer devant ce projet politique. Le Conseil des ministres décida de ne pas écarter la proposition de M. de Broqueville et d’essayer de conclure une entente avant la paix sur ce point essentiel. Fort de cette approbation, M. Clémentel (2) rencontra, le 28 mai 1916, M. de Broqueville pour lui confirmer l’enthousiasme du gouvernement français.
M. de Broqueville mis au courant ses collègues du gouvernement et tout le monde se mit au travail pour essayer de voir comment il était possible de réaliser cela. Le 6 septembre, sur demande de MM. de Broqueville et du ministre des Affaires étrangères, M. Clémentel reçut M. van de Vyvère, ministre des Finances et représentant du gouvernement belge. Les premières paroles de M. van de Vyvère étaient d’informer M. Clémentel que le gouvernement belge, après mure réflexion, avait décidé, contrairement aux suggestions de M. de Broqueville de ne pas s’engager dans la voie d’un accord douanier. Ce serait aux yeux des Belges une catastrophe, une sorte d’absorption de l’économie belge par la France. M. Clémentel, malgré un étonnement profond essaya de faire comprendre que la Belgique composée de 7-8 millions d’habitants devra d’une manière ou d’un autre s’allier à une puissance comme la France avec ses 40 millions d’habitants sans compter les colonies qui constituent un empire colonial de 60 millions d’habitants. Vainement, M. Clémentel essaya à plusieurs reprises de montrer les liens cordiaux et fraternels et que les intentions de la France n’étaient aucunement mauvaises à l’intention de la Belgique. M. van de Vyvère resta intraitable. Le gouvernement belge venait de commettre une grande faute. L’entente douanière aurait facilité la renaissance économique des industries belges pendant les crises de l’après-guerre.
Géry de Broqueville
(1) George Grantham Bain Collection (Library of Congress) [Public domain], via Wikimedia Commons
(2) Voir les archives d’Etienne Clémentel aux Archives départementales du Puy-de-Dôme sous la côte 5J32 qui aborde les relations entre les gouvernements belge et français sur cette question..