Est-ce une analyse des milieux de vie de Carolus, un homo politicus comme il y en a de plus en plus en Belgique ? Quelque part oui. Charles de Broqueville est né dans une modeste maison sise dans l’enceinte de l’abbaye de Postel à la place de l’actuel « Kontact centrum ». Cette maison était occupée par Stanislas et Marie-Claire de Briey qui attendaient la fin de la construction du château de Postel.
Cette dernière demeure a été construite à partir d’éléments épars d’une ancienne auberge servant de relais pour les diligences. Tant que le nouveau château n’était pas habitable, Stanislas vivait dans le village de Postel situé à l’intérieur de l’enceinte de l’abbaye. L’abbaye de Postel avait été rendue aux Norbertins par la volonté de sa mère, Elisabeth de Robiano qui, en son temps, avait acquis l’abbaye et 4.000 ha aux alentours à travers une opération financière très bien expliquée, dans le livre de Soeur Lutgardis Pirson (1)
S’il est né dans une modeste demeure, Charles a hérité du château de Postel en 1919 au moment du décès de son père qui convenait mieux à ses activités politiques, ce qui lui permet de recevoir les grands de ce monde. C’est en 1921, qu’il transforma le château de l’époque en la demeure que nous connaissons actuellement. Il rajouta deux tours à l’arrière du château qui selon certaines sources était la partie la plus disgracieuse au point où l’on n’en a aucune trace iconographique !
Avant la première guerre mondiale, Charles se partageait entre la demeure familiale et le château de Laclaireau fief des comtes de Briey depuis quelques générations. C’est d’ailleurs à cet endroit qu’il appris les bonnes manières et la diplomatie probablement auprès de son beau-père le comte Camille de Briey. Il était d’ailleurs baigné dans la politique puisque sa femme, Berthe d’Huart était la fille d’Alfred, sénateur et de Mathilde Malou, elle-même fille de Jules Malou, Président du conseil des ministres et ministre des finances. Il passa ainsi du château d’Onthaine (Alfred d’Huart) au château Malou (Jules Malou) de nombreuses fois durant sa vie. Henri Haag dans le premier tome de sa biographie de Charles de Broqueville (2) explique bien la différence entre la vie rurale du domaine de Postel où la vie d’homme des bois et de chasseur est imposée par son père et le raffinement de la vie de Laclaireau.
Durant la guerre 14-18, Charles s’exila avec le gouvernement vers la France pour réorganiser l’armée puisqu’il était, en plus de Président du Conseil (premier ministre), ministre de la Guerre. Son premier lieu d’exil fût la mairie de Dunkerque, mais cette position se révéla vite inconfortable à cause des incessants bombardements. Il fallait un havre de paix pour réorganiser l’armée valablement.
Charles de Broqueville quitta Dunkerque et trouva refuge au château du Weez, situé à Steene, en avril 1915. Le Weez appartenait au baron Cochin. Les services du ministère de la guerre se casaient dans le tout nouveau bureau de poste de Saint-Pierrebrouck. De ces moment passés au Weez, le baron Cochin relate dans ses souvenirs : « Je garde et j’ai fait mettre dans un petit cadre une mauvaise photographie parue dans un journal illustré, où je me reconnais moi-même sur le pont de bois avec mon hôte illustre, et son petit chien chiffon. Cela me rappelle des jours dont la mémoire n’est pas mauvaise. Broqueville était bon à voir ; vaincu, chassé de son pays, il gardait et il inspirait une confiance sereine. Je lui reste reconnaissant de bien des choses, d’une entre toutes : le 23 juillet 1916 il m’a procuré la joie d’aller à la Panne avec l’un de ses officiers, pour y saluer, superbe de calme, l’admirable roi Albert« . (3) Le Château du Weez était une élégante demeure bâtie en 1718. Actuellement, Le château du Weez n’est plus qu’un champ de ruine et n’est plus accessible.
Sans concertation aucune avec Charles de Broqueville, l’Etat-major anglais a décidé d’installer un vaste dépôt de munitions au Weez et dans les environs immédiats car les canaux et la jonction avec l’Aa leur offrait protection et vitesse de transfert des munitions. Ce camp anglais englobait 40 Km2 de terres et de canaux. Le ministre belge de la guerre fut bien obligé de déménager pour s’installer plus au nord au château de Steenebourg près de Bergues tandis que ses bureaux étaient organisés à Socx.
L’installation de Charles au château de Steenebourg s’est fait sans mal. Il a été accueilli par la famille Zylof de Steenbourg qui en étaient propriétaire depuis 1679. Charles et ses services sont restés dans ce lieu jusqu’en 1917, au moment où un remaniement ministériel eut lieu en laissant au lieutenant-général de Ceuninck le poste de ministre de la guerre. C’est le moment choisi par Charles de Broqueville pour se reposer plus au sud, dans le Poitou et plus particulièrement chez le vicomte Henry de Cressac, au château de La Touche. Il passa ensuite à Châtel-Guyon pour prendre les eaux comme à son habitude depuis 1908. Pour la petite histoire c’est à La Touche que mon grand-père rencontre pour la première fois, Alix de Cressac et qu’est née une longue idylle amoureuse.
Rien n’indique que Broqueville ait quitté le château de Steenebourg pour une autre destination car il est resté Président du conseil jusqu’au 2 mai 1918. Il est très probable qu’il devait aller alors plus souvent à Sainte-Adresse.
Le château de Steene apparaît dans un manuscrit datant de 857 sous le nom de « Villa de Steene », appartenant alors à l’abbaye de Saint Bertin. Cette villa dépendait de l’église de Thérouanne qui la céda aux évêques de Saint Omer. Le château actuel fût commencé vers la fin du XVI ème et achevé par le bourgmestre de Bergues : Vigorus De Raepe, Seigneur de Steenbourg. Plusieurs familles se succédèrent. La famille Raepe, puis Vaillant, qui laissa sa place aux Zylof en 1679. Les Zylof de Steenebourg resteront propriétaires jusqu’en 1970, environ. Actuellement, le château fait l’objet d’un projet de restauration en vue de le transformer en hôtel de luxe.
Dès le début de la guerre, le gouvernement belge avait reçu l’autorisation du gouvernement français de s’installer au Havre et plus particulièrement à Sainte-Adresse qui est devenu, provisoirement, la capitale de la Belgique.
La villa Roxane avait été octroyée à Charles pour y loger quand il venait à Sainte-Adresse pour traiter les affaires gouvernementales. La villa Roxane se trouvait juste à coté du ministère de la guerre installé dans la « Villa Louis XV ». Même si cette maison lui avait été octroyée, Charles de Broqueville y fit des courts séjours juste pour les réunion du gouvernement de Saint-Adresse. Il préférait se retrouver à son Quartier général de Steenebourg et bien entendu, partir rapidement pour La Panne, pour s’entretenir avec le roi Albert Ier.
Il a utilisé cette demeure comme moment de retraite et de repos où il accueillait sa famille qui était dispersée en Belgique et sur le front.
A la fin de la guerre, Charles retrouve Postel où son père avait bien vieilli et s’était affaibli à cause des privations de la guerre.
Il s’installe à Bruxelles, au 32 rue Joseph II (bâtiment aujourd’hui disparu). C’est d’ailleurs dans cette maison bruxelloise qu’il s’éteignit le 5 septembre 1940. Le château de Postel et le « 32 » ont ainsi été ses deux lieux de villégiature principaux durant cette deuxième partie de sa vie politique qui le verra encore au rêne du gouvernement de 1932 à 1934.
Il voyage encore, chaque année, vers Châtel-Guyon pour prendre les eaux, jusqu’un an avant son décès où il réside dans l’hôtel du Parc. Il a d’ailleurs marqué la ville au point où celle-ci a baptisé une de ses artères, avenue de Brocqueville » avec la classique faute d’orthographe.
Il voyagea probablement aussi jusque Monfort dans le Gers, jusqu’en 1934 puisque l’on voit dans le livre des mutations des biens de la mairie de Monfort la vente des dernières terres monfortoises encore en sa possession, comme une maison dans la ville, une terre « A la Courrège », un bois « A la Croix de Frie »… C’est lui qui a liquidé ainsi les derniers lambeaux de la terre de ses ancêtres…
Géry de Broqueville
(1) Sœur Lutgardis Pirson, Elisabeth de Robiano, Madame le Candèle, baronne de Ghyseghem (1773-1864), Duculot.
(2) Henri Haag, le comte Charles de Broqueville, ministre d’Etat, et les luttes pour le pouvoir (1910-1940), Collège Erasme, Louvain-la-Neuve, 1990.
(3) Henry Cochin, Les souvenirs de la Grande guerre et les vieux noms du pays flamand, le camp de Zenneghem, in Société historique de Dunkerque, 1924. (ref : ACH122)