« Deux Jean pour une même femme » n’est peut-être pas le meilleur titre, mais c’est probablement le plus juste. Le texte qui va suivre n’est pas évident du tout à écrire pour bien se faire comprendre. Il faut reconnaître que je suis tombé des nues en lisant ce texte, qui fort heureusement, n’est pas trop compliqué à lire à quelques exceptions près.
D’entrée de jeu, je peux déjà mettre dans le dico un nouveau mot : le « trépoir« . Au XVIIe siècle, trépoir est le palier d’un escalier se trouvant devant une porte donnant accès au premier étage de la maison par l’extérieur. La rencontre entre deux protagonistes et le notaire se déroule sur le trépoir de la place publique. Je suppose qu’il s’agit du palier qui donne accès à la salle commune située au-dessus de la halle de Monfort.
Les deux protagonistes de l’affaire sont : Françoise de Souffarès (1), requérante et Gratienne de Pujos (2) face au notaire royal Mazars. (3) Pour comprendre ce qui se passe dans ce texte, il est plus simple de vous soumettre la retranscription.
« Le 30 août 1634 avant midi dans la ville de Monfort et au trépoir de la place publique en Fezensaguet, Sénéchaussée d’Armagnac régnant Louis par la grâce de Dieu roi de France et de Navarre par devant moi notaire royal soussigné avec les témoins bas nommés a comparu Françoise de Souffares veuve à feu Jean Broqueville (Pouxé) marchand laquelle désigne sa parole à demoiselle Gratienne de Pujos laquelle lui a raconté qu’il a 11 ans ou environ qu’elle a été mariée avec jean Broqueville quand vivait marchand dudit Monfort fils à maître Jean Broqueville substitut de monsieur le procureur du Roy de ladite ville et tant que ladite Pujos a fait autre mariage avec ledit Broqueville substitut susdit père du feu mari de la requérante et qu’elle est prête à présenter quelques sommes d’argent ou cadeau sur les biens dudit Broqueville au ?? de la requérante lui délaisse ?? ?? comme elle a reconnu la somme de 1000 livres et joyaux nuptiaux mentionner au pacte de mariage reçu par feu Lauzéro notaire et reconnaissance reçu par Sabathier aussi notaire dudit Monfort avec ?? ?? de ladite somme raisonnablement les joyaux nuptiaux si besoin est et lui de l’avant qui aurait ?? ?? sur les biens dudit Broqueville après préparation qu’elle possède qu’il lui donnerait la priorité de son
(2 lignes illisibles à traduire) Laquelle de Pujos a répondu que ?? ?? sur les biens dudit son mari qu’elle s’en remet aux actes et aux ?? et profits aux mêmes protestations que dessus de quoi à la réquisition ?? ?? présent maître Guillaume Labaule notaire, François Labaule marchand et Dominique Saubat aussi marchand de Monfort, les dites parties ont dit ne savoir et moi. »
Contrôle avec les dates en ma possession
Il y a donc un élément nouveau fondamental. Gratienne de Pujos a été mariée à Jean Broqueville dit Pouxé (4) et ensuite à Jean Broqueville « Substitut » (5), père du premier Jean ! Cette information est énorme ! Cela m’amène donc à vérifier toutes les informations concernant ces deux générations de Jean. J’aurais écrit cela un premier avril que tout le monde aurait manger le poisson !
Prenons d’abord le père, Jean Broqueville, substitut du procureur du roi, dont nous avons beaucoup d’informations mais je ne retiens que ce qui est primordial.
- 23 mai 1599 : pacte de mariage entre Jean et Guillemette Donat. Le père de Jean se prénomme Jean « Vieux » et non pas Pierre comme le prétend Ludovic Mazeret. (14765-14767)
- 30 août 1634 : Gratienne de Pujos déclare qu’elle est mariée avec Jean Broqueville substitut. (Acte présent)
- 1635 : Pacte de mariage de maître Jean B. avec Gratienne de Pujos. (21832)
- 14 janvier 1636 : Naissance d’Estienne Broqueville fils de Gratienne. (1153)
- 7 mai 1637 : Naissance de Bernard (Hérard) Broqueville fils de Gratienne. (1164)
Prenons maintenant les informations que nous avons sur le fils, Jean Broqueville dit Pouxé :
- 12 avril 1618 : Pacte de mariage de Jean Pouxé et de Françoise de Bordes (18347-18351).
- 6 juin 1622 : Mariage de Jean Pouxé annulé avec Françoise de Bordes. (4)
- 7 août 1623 : Pacte de mariage de Jean Pouxé avec Françoise de Souffarès.
- 30 août 1634 : Gratienne de Pujos déclare avoir épousé Jean Pouxé, il y a 11 ans environ.
Jean Broqueville dit Pouxé a donc eu un premier mariage en 1618, annulé en 1622, avec Françoise de Bordes. Le pacte de mariage avec Françoise de Souffarès date du 7 août 1623. Rien ne dit que le mariage religieux a eut lieu directement après la date de la signature du pacte, d’autant que le premier fils de Françoise de Souffarès naît en 1627.
Comme Gratienne de Pujos signale qu’elle s’est mariée 11 ans environ, plus tôt, on peut supposer que ce mariage s’est déroulé sur la durée d’un an ! Or Jean Pouxé a été marié avec Françoise de Bordes de 1618 à 1622. . Jean Pouxé a du faire un mariage éclair entre le 7 juin 1622 et le 7 août 1623. Un an pour se marier et divorcer ensuite, est-ce possible à cette époque ?
La seule solution est que Jean Broqueville Pouxé s’est marié secrètement pendant la période d’annulation du mariage par l’évêque de Lectoure. Gratienne de Pujos devait être une très jolie femme pour, à ce point, faire tourner la tête du fils et puis du père.
Être marié avant son mariage ?
Une autre énigme subsiste. Gratienne de Pujos se trouve donc face au notaire Mazars en ce 30 août 1634 et déclare qu’elle est mariée, au moment de parler, au père de Jean Pouxé. Or, le pacte de mariage entre Jean Broqueville, Substitut et Gratienne est daté de 1635. Nous ne connaissons pas le texte si ce n’est son intitulé dans un sommaire du notaire Sabathier. (3)
Pour que le père de Jean Pouxé épouse Gratienne et qu’il en ait au moins deux enfants, il est clair qu’elle était encore assez jeune pour enfanter alors que son nouveau mari a déjà 56 ans.
En tout cas ce texte en dit long sur les mœurs de l’époque. C’est la première fois que je rencontre ce genre de comportement dans la famille Broqueville.
Géry de Broqueville
(1) Françoise de Souffarès est fille d’Arnaud bourgeois de Gimont et de Marguerite de Beaucour.
(2) Gratienne de Poujos est fille de noble Jean, , seigneur de Pujos près de Puycasquier (+av. 29 août 1635) et de Anne de Bouloune. Ce couple s’est marié le 26 février 1584 à Puycasquier.
(3) Notaire Mazars coté 3E8889 aux AD32 (24728-24730)
(4) Jean Broqueville dit Pouxé est né vers 1600 vu que ses parents se soient marié en 1599. Il est le fils de Jean Broqueville et de Guillemette Donat.
(5) Jean Broqueville dit Autre jean (1579-1667), Substitut du procureur du roi, marguillier, consul, syndic… fils de Jean Broqueville dit Vieux (+1615) et de Marie Carrette (+1610). Il s’est marié en 1599 avec Guillemette Donat (+ ap. 1634), fille de Jean et de Jehanne Sibizac.
(6) A cet endroit, je reconnais que j’ai fauté. J’ai écrit cette phrase-ci dans l’histoire de Jean Pouxé sur Hérédis : « Son mariage en 1618 (18347-18351) avec Françoise de Bordes a été déclaré nul par l’officiel de l’évêque de Lectoure du 24 mai 1622 et annulé le 6 juin 1622 dans un acte du notaire Lauzéro (18347) ». Or la référence 18347 renvoie sur le pacte de mariage mais pas sur le registre de 1622 du notaire Lauzéro. J’ai photographié ce registre, mais je ne trouve plus trace de ce texte ! Je vais donc retourner aux AD32 pour le retrouver !
(4) Notaire Sabathier – coté E1468 aux AD32 – 1620-1640 (21832).