Ce dimanche matin j’avais décidé de visiter deux lieux que je connaissais déjà mais qui m’attiraient, l’un pour son silence religieux, l’autre pour la représentation du silence total. Le premier silence a été, sous ce ciel gris si peu typique du Gers, l’abbaye de Flaran. Celle-ci est blottie au pied de Valence-sur-Baïse et a subi une remarquable restauration qui l’a sauvée définitivement de la destruction commencée à la Révolution française. En ce mois de novembre, ce monument est peu fréquenté et c’est un bien pour celui qui recherche le silence monacal de son cloître et de son église romane. La photo ci-dessus est la salle où l’on a droit au chapitre de l’abbaye de Flaran.
Les amoureux de la peinture ou de la sculpture pourront admirer des Picasso, Corot, Cézanne, Renoir, Valadon, Vlaeminck dans les anciens dortoirs des moines. Vraiment c’est un très beau lieu à visiter dans le Gers.
Mes pas se sont portés ensuite vers Lectoure dont le prétexte était la visite d’un haut-lieu du silence : le couvent des Carmélites qui a été fondé le 8 septembre 1620. Pourquoi la visite de ce lieu ? Tout simplement parce qu’une Broqueville y a passé sa vie dans le silence de la prière. Elle est née le 20 mai 1635 de Louis et de Marie de Solaville. Elle est la marraine de Jean-Baptiste Broqueville fils de Jean-Baptiste (1689-1711) et de Marguerite de Fraissé. Je voulais voir ce bâtiment dont les fondations datent bien du XVIIe siècle avec une chapelle remaniée au XVIIIe siècle. Ce dimanche gris apporte aussi son lot de silence dans la ville de Lectoure. Pas grand monde dans cette charmante petite ville où le clocher de la cathédrale Saint-Gervais-Saint-Protais se perd dans le brouillard. J’ai eu du mal à le trouver, ce couvent carmélite !
Je commence à désespérer. Je visite tout et point de Carmes en vue. Je me décide d’aller manger un bout tout en relisant mon vieux Guide bleu qui est une véritable mine de renseignements (1). Je cherche une petite gargote pas bruyante (2) pour manger une salade alors que je n’avais pas faim. Après moultes hésitations je repère une « épicerie fine/bar à vins/cave/salon de thé » où j’entre-aperçois trois tables hautes et deux tables normales. L’intérieur me semble sympa. J’entre. Un monsieur longiforme m’accueille avec son sourire et son tablier blanc brodé d’un « Atelier gourmand ». Je suis le seul client. Il ne faut pas 5 minutes pour rencontrer la dame que je venais de voir monter la rue voisine d’un pas lent mais sûr avec son gros toutou à poil brun. Je m’étais dit que, décidément, Lectoure est vraiment construite sur un éperon rocheux où seule la rue principale est plate (3) et les rues adjacentes fortement descendantes de part et d’autres.
Voilà donc un restaurateur tout surpris d’avoir quatre clients en deux fournées à 13h30 par un dimanche de novembre gris. Le patron me cause un peu. D’où venez-vous ? De Bruxelles. Vous êtes ici pour longtemps ? Non. A Lectoure pour quelques heures. Vous faites du tourisme ? Je lui explique alors que je fais des recherches généalogique et historiques à Auch et plus particulièrement à Monfort.
Un des trois clients assis à la table basse alors que j’avais choisi une table haute se retourne d’un coup sec et me fixe du regard en me disant : « Vous êtes un Broqueville » Je reste bouche bée ! Coup de théâtre. Je le fixe aussi du regard me demandant si je ne le connaissais pas. Que nenni ! Nous ne nous connaissons pas. Je balbutie, je suis tellement interloqué. Voyant mon interrogation complète, il me dit qu’il est un ami d’un de mes oncles qui passent une à deux fois par an dans le Gers. Il situe très bien la famille, il connaît aussi Bruxelles. Il y va pour des salons du tourisme au Heyzel. Normal, ce monsieur n’est autre que José-Louis Pereira, directeur du Comité départemental du tourisme et des loisirs du Gers en Gascogne. Il envoie du reste un sms à François pour lui signaler cette rencontre fortuite et amusante.
La dame qui est en face de lui me parle d’un Broqueville qu’elle a rencontré dans les recherches qu’elle effectue à propos d’une famille gersoise. Dans les documents d’archives qu’elle a découverte dans une malle dans la cave de sa maison, elle a trouvé quelques traces de ma famille dans des vieux papiers. Elle me dit aussi qu’un Broqueville était capitaine de gendarmerie et avait fait du très bon travail avec félicitation du préfet du Gers au XIXe siècle. Elle se souvenait d’un prénom : Henri ! Je lui signale que je suis septique quant au prénom car ce n’était pas un prénom familial à cette époque. Je lui propose d’aller chercher mon ordinateur qui se trouve dans ma voiture. C’est bizarre quand même. Ce matin au moment de partir, je suis revenu dans ma chambre en me disant : « Je le prends, on ne sait jamais ». Le destin, il est étonnant, non ?
Je le ramène et j’ouvre mon programme Hérédis qui reprend la généalogie de tous les Broqueville. Point d’Henri au XIXe siècle. Le seul gendarme que je vois c’est Jean Joseph Bernard de Broqueville, l’ancêtre commun à tous les Broqueville de Belgique. Nous convenons d’échanger nos mails et je vois avec surprise qu’elle s’appelle Hanquet ! Je lui signale que c’est le nom d’une famille Belge ! Bien que son père soit né à Toulouse, elle sait que son grand-père était natif du nord de la France pas loin de la frontière belgo-française. Comme le monde est petit !
Les repas respectifs se terminent, la table voisine paie l’addition et s’en va, chacun se promettant de rester en contact les uns avec les autres. Je reste seul avec le patron de l’atelier gourmand. Il me dit alors quelque chose d’incroyable : Je ne voulais pas vous ennuyer avec mon histoire. Je n’ai pas osé en parler avec l’autre table. Mais… Non c’est sans importance ! Je le presse de questions : Allez-y, vous en avez trop dit ! Parlez ! J’étais impatient d’écouter ce qu’il voulait me dire… Allez, je vais vous l’avouer : Je suis descendant, par ma mère, de Guillaume Saluste du Bartas !
Là, les bras m’en tombent et je reste tout autant bouche bée. Je le regarde et lui dit : Je suis votre cousin, très lointain certes, mais nous avons un ancêtre commun car la mère de Guillaume est une Broqueville, elle s’appelait Bertrande. Elle est la fille de Sanson et de Ne Gariépuy et l’arrière petite fille de Jehan Pierre Broqueville qui est l’auteur de toutes les branches Broqueville connues actuellement. C’est fou ! Nous nous échangeons aussi nos cartes de visite. Je lui donne celle de La Mazelle. Au moment de mon départ, il me retient encore et me demande que l’année prochaine, je dois lui apporte une bouteille de Pinot noir histoire de le goûter. S’il en a un coup de cœur, il est prêt à m’en acheter pour le vendre dans son bar à vin. Il pourra expliquer à ses clients que ce vin venant de Belgique est produit par un descendant d’un vigneron de Monfort ! Ce lien à la terre est fort, ici dans le coin. Et le vignoble gascon produit tout de même, un excellent Côte de Gascogne, du Floc et bien sûr, de l’Armagnac.
Et tout cela se déroule dans une épicerie fine dans la rue principale de Lectoure ! Et l’on y mange bien : velouté au potiron et ses languettes de Pata Negra et en plat principal, un curry de bœuf fabuleux. Je recommande cette charmante boutique où l’on y fait de très belles rencontres improbables. (4)
Et je retiens aussi une chose. Les rencontres improbables ne se font aussi que parce qu’on ouvre la bouche, que l’on émet un son, bref que l’on entame le dialogue quand de petits indices se mettent en place. Il faut rester attentif à ces petites choses. J’aurais pu répondre par oui ou par non pour que le patron me laisse en paix. Mais là, je sentais qu’il fallait briser les silences du matin.
Non je n’aurais jamais pu être un Carme déchaussé vivant dans le silence. Je sens que je vais bientôt remonter vers Bruxelles et le bruit délicieux des dialogues… mais pas trop vite, car si, ici dans le Gers il y a encore beaucoup d’espace de silence, on respire beaucoup d’air pur. Je reprend une des phrases du site Internet de l’institution de José-Louis Pereira (5) : « Le Gers est le pays du bonheur et du bien vivre accessibles. Ses paysages vallonnés, sa nature pure et intacte offrent à tous ceux qui le découvrent un grand bol d’air pur et des instants de grande quiétude« .
Géry de Broqueville
PS : Ah oui, j’ai fini par trouver le couvent des carmélites dont vous pouvez voir les quelques photos dans l’album ci-dessous. A ma grande surprise, ce couvent est toujours en activité.
- Guides bleus, Midi-Pyrénées, Edition Hachette, 1989. Depuis qu’Hachette a renouvelé sa gamme, les guides bleus sont devenus de vulgaires guides Michelin, sans fard, sans histoire…
- Normal je suis dans un trip silencieux.
- Plate mais descendante dans le sens de la longueur du nord vers le sud.
- L’atelier Gourmand, épicerie fine/bar à vins/cave/salon de thé, 11 bis rue Nationale – 32700 Lectoure.
- Site Officiel du Comité Départemental du Tourisme et des Loisirs du Gers en Gascogne.