Une fois n’est pas coutume, je parlerai de l’engagement de mon père à la fin de la guerre 40-45. Trop jeune pour être engagé au début de la guerre, il avait tout juste 18 ans lorsque l’armée allemande a quitté définitivement Bruxelles. Le Ministère de la défense appelle les jeunes à s’engager dans des régiments belges en recomposition.

Norbert, mon père, était élève au Collège Saint-Louis de Bruxelles et partageait son temps entre l’étude et le scoutisme durant la guerre. Ses cahiers de dessins sont parsemés de dessins d’actrices et d’acteurs de cinéma. Norbert ne se sentait probablement pas à sa place rêvant de cinéma qu’il développera d’ailleurs à son retour de la guerre. L’ennui devait certainement prévaloir pour que ce jeune homme arrive à se faire enrôler, via la caserne Panquin, dans le 4e bataillon de fusiliers de la 9e armée américaine ! (1)

Norbert lors d’un camp scout avec le Collège Saint-Louis

Quelques moments de guerre

La 9e armée américaine a été fondée le 22 mai 1944. Pour mémoire, Bruxelles est libérée le 3 septembre 1944. L’offensive von Rundsteds commencent le 16 décembre et stoppe l’avancée des Alliés. La Bataille des Ardennes coûtera la vie à 75.000 américains. Au début du mois de mars se prépare la prochaine grande offensive des Alliés qui doit se faire sur le Rhin. Des éléments de la 9e armée américaine découvrent qu’à Remagen, il existe un unique pont en bon état ! Les américains établissent une tête de pont avec 20.000 hommes. Une légende assure que c’est la 3e compagnie du 4e bataillon qui a été la première a franchir le Rhin. Il n’en est rien.

Norbert était engagé, le 17 octobre 1944, dans le 2e régiment du 4e bataillon de fusiliers (4 Bon de Fus) sous les ordres du colonel Marcel de Posch. Il faisait partie de la 2e compagnie sous le matricule F4-592 et plus précisément de la 3e section du 3e peloton. Il a été démobilisé le 24 octobre 1945. Il a été congédié officiellement de l’armée le 31 décembre 1958. Dans une attestation de 1952 trouvé dans son dossier militaire (voir dossier militaire ci-dessous), il est effectivement considéré comme ancien combattant ayant été en contact avec les forces ennemies. Il a obtenu les médailles suivantes :

  • médaille commémorative de la guerre 40-45
  • médaille du volontaire 40-45 avec barrette argent de combattant.
  • médaille du volontaire de guerre combattant.
  • médaille du militaire combattant de la guerre 40-45.
  • Norbert avait d’autres médailles américaines qui n’ont pas été reconnues par l’armée belge.

Un parcours en zig-zag

Le parcours de la deuxième compagnie peut être reconstitué ainsi. Sortie de la Belgique par Rutten-Koninksem (en Belgique et à 20 km de Visé). La 2e compagnie est chargée de protéger des ponts au moment de la bataille des Ardennes. Comme certains Allemands son déguisés en américain, la deuxième compagnie est chargée de les arrêter en renforçant les Military Police (MP) et ce, le 18 décembre. Deux pelotons dont celui de Norbert est envoyé, le 20 décembre, au pont de Veldwezelt sur le canal Albert et à, l’écluse d’Eben-Emael, au nord de Visé. Apparemment, la 2e compagnie passe Noël à Koninksem. Le 28 décembre, Norbert se retrouve devant le pont de Kanne, sur le canal Albert qui est fondamental pour le Commandement allié. les compagnies présentes dont la 2e doit tenir à tous prix. Le Provost Marshall Andrews adresse ses félicitations au 4 Bon de Fus pour son travail dans des conditions particulièrement difficiles.

Le 3 janvier 1945 Les 1ère et 2e compagnies sont chargés d’une mission d’occupation dans une zone située au nord et à l’est d’Aix-la-Chapelle. Le cantonnement est situé à Kohlscheid. Le 9 janvier, une patrouille de la 2e compagnie capture un espion allemand portant l’uniforme américain et muni de précieux renseignements. Visiblement il y avait des “attentats” qui visaient la troupe. La 2e compagnie exécute une mission de police en représaille d’un de ces attentats. C’est le village de Horbach qui est passé au crible, maison par maison. Tout est fouillé, pour retrouver des armes. Le 7 février la 2e compagnie est relevée par des Hollandais et son cantonné à…Diepenbeek à coté de Hasselt. Grosse déception de la part de la compagnie qui voulait en découdre alors que l’attaque de la Ruhr se préparait. Le 26 février, la 2e compagnie fait mouvement vers Terwiselen, Hoensbroek et Speckelzerheide, trois villages des Pays-Bas.

En mars, la 2e compagnie est stationnée vers Kaldenkirchen, ville allemande située non loin de la frontière hollandaise, en face de Venlo. Le peloton est chargé de “nettoyer” la zone de tous les soldats de la Wehrmacht et les nazis qui s’y cachent. Or cette ville avait été évacuée de la totalité de ses habitants. C’est à Ossenberg-Millingen que la 2e compagnie a traversé le Rhin pour rejoindre Holtrup à 20 km au sud-ouest de Münster. Elle est chargée de canaliser les militaires allemands se rendant aux alliés. Le but est aussi de retrouver des notables locaux nazis. Les trajets se déroulaient dans des camions Ford 15 cwt qui avait la particularité d’avoir été construit au Canada.

Lieu de logement de Norbert à Holtrup.

La 2e compagnies remet à la justice interalliées un soldat allemand qui a participé à un massacre de civil à Bastogne pendant l’offensive von Rundstedt. Il donne le nom des officiers allemands qui lui ont donné l’ordre d’abattre les civils dont un vieillard de 70 ans. La compagnie arrête en même temps 200 VNV (Vlaams Nationaal Verbond). Le 20 avril, le 4 Bon de Fus tient un front étiré sur 125 km. La 2e compagnie est à Babenhausen.

Un témoignage d’un soldat de la 2e compagnie nous montre l’attitude de la population allemande : “Nous nous attendions à de la haine et ne rencontrions qu’une attitude conciliante, une acceptation de notre état de vainqueur par rapport à son état de vaincue. On en arrivait à se demander si c’était bien des gars de ce pays qui nous avait emm… pendant 4 années“. (3) Certains membres du peloton rencontrent des fermiers de Holtrup qui, par habitude, font le salut hitlérien. Il est clair que ces derniers se confondent en excuse de peur d’être traité comme nazi. La deuxième compagnie était aussi chargée de réceptionner les groupes de soldats allemands fait prisonniers par les Américains. Ils arrivaient en colonne bien ordonnée sans armement mais avec leurs véhicules. Ces convoi étaient très disciplinés. Ils arrivaient derrière le front en bon ordre de marche sans aucune surveillance des soldats américains. Ces soldats, peut importe, l’arme (SS, Wehrmacht, Luftwaffe…) étaient trop heureux d’avoir été fait prisonnier par les Américains ou les Anglais et non par les Soviétiques.

L’armée appelle cela les opérations de filtrage. Ce sont celles qui vont permettre de séparer le bon grain de l’ivraie. Pour échapper à la captivité, certains militaires mettent des vêtement civils. Le 4 mai, la 2e compagnie va s’emparer d’un groupe de près de 400 militaires allemands, dont de nombreux SS.

De Holtrup, la compagnie a parcouru les 292 km jusqu’à Brunswick, au QG de la Luftwaffe. C’est à cet endroit qu’ils ont vu arrivé les soldats du père Staline. Il n’y a pas eu de réelle fraternisation. C’est ainsi que la guerre se termina le 8 mai 1945. Il est temps de renter en Belgique bien que quelques missions de filtrage existent encore. Le 8 juin, le 4e bataillon des fusiliers est détaché de la 9e armée américaine. Le 14 juin, le bataillon prend ses quartiers “chez Marie-Henriette”, caserne du même nom à Namur. La 2e compagnie est chargée de garder le camp de prisonnier à Waremme. Le 31 décembre 1945, le bataillon est définitivement dissous.

Des trophées de guerre

Mon père a ramené beaucoup de trophées de guerre. Initialement, le 4e bataillon était programmé pour atteindre les ports de la mer du Nord ou de ceux de la mer Baltique. Tous les soldats voulaient rapporter un drapeau de la marine qui est beaucoup plus beau que celui de l’Allemagne nazie. Mon père ayant un esprit pratique a gagné, lors de l’attaque d’une kommandantur. il nous a laissé bien d’autres objets dans sa malle à souvenirs.

Le 4e bataillon des fusiliers avait même sa propre musique militaire que vous pouvez écouter ici.

Dès qu’il a été démobilisé, Norbert s’est lancé dans le cinéma en participant à la création de films belges. Mais ceci est une autre histoire…

Géry de Broqueville

‘1) Les informations concernant le 4e bataillon provient du livre : Collectif, Le 4e bataillon de fusiliers 1944-1945, Ed. Remember, 1989.