C’est en cherchant l’origine du nom de « Colomé » (1) porté par Jean-Baptiste et son fils Jean-Joseph-Bernard de Broqueville que j’ai découvert dans les profondeurs du Net, un document qui a vachement bien éclairé ma lanterne. J’ai enfin découvert pourquoi les Broqueville français n’ont jamais été reconnus nobles, par la royauté !

Les derniers Broqueville subsistant encore à la fin du XVIIIe siècle, après la disparition des branches originelles, bourgeoises et des Empiroy, se disent nobles. Il faut reconnaître que la branche des Empiroy s’est autoproclamée noble dès le mariage entre Blaise Broqueville qui avait épousé Catherine de Manas, des seigneurs d’Homps. Dès ce moment, la famille s’est sentie propulsée vers le haut, alors que les Endardé, branche cadette, n’osait prétendre a aucun titre si ce n’est « Bourgeois de Monfort ».

Qui décide de la noblesse ?

Tout simplement, le Roi. Bien sûr ce n’est pas lui directement. C’est son administration qui va effectuer les recherches pour admettre une personne ou une famille dans le Second État (2), un nouveau membre ou le rejeter dans les oubliettes de la fausse noblesse.

Quels sont les critères en vigueur au XVIIIe siècle. Il y en a beaucoup. Nous allons les passer en revue en les appliquant à la famille Broqueville. Il semblerait que Jean Joseph Bernard, notre ancêtre, ait fait une demande d’agrégation à la noblesse, l’année de son mariage en 1778. Car tel est le nom donné aux familles qui demandent une reconnaissance officielle de noblesse. Voici les critères du XVIIIe siècle. Mes commentaires sont en italique dans le texte.

Achat de charges

  • Les familles en cours d’agrégation suite à l’achat de charges anoblissantes. Il n’y a aucune trace d’achat de ce type dans les documents trouvés jusqu’alors. L’achat d’une terre noble ne rentre pas dans cette catégorie.

Noblesse personnelle

  • Les personnes occupant des charges conférant une noblesse personnelle mais pas encore héréditaire (comme les commensaux du Roi ou certaines fonctions juridiques subalternes). Habituellement, ces personnes portent des qualifications nobiliaires « écuyer » et adopte un mode de vie noble. Jean-Baptiste (1689-1771), dans l’acte de baptême de son fils Jean Joseph Bernard, le 27 août 1755, est déclaré comme écuyer. (21138)

Les institutions nobles

  • 197 institutions demandaient des preuves de noblesse pour en devenir membre (Écoles Royales Militaires, pages de la Grande Écurie ou de la Petite Écurie, Sous-lieutenance, Saint-Cyr, l’école préparatoire de La Flèche, Ordre de Malte, etc.). A l’heure actuelle, il existe 79 familles subsistantes qui entrent dans cette catégorie. Les Broqueville n’y sont pas sauf un des fils de JJB qui est élève à l’école de la Flèche.

Les assemblées de noblesse

  • Les familles dont les membres ont comparu aux assemblées de la Noblesse de leurs provinces tenues en 1789. Ce critère a été retiré au XXe siècle par l’ANF (3) tant il y avait des personnes qui avaient des titres personnels non vérifiés à l’époque. Il ne semble pas qu’il y ait des Broqueville qui s’y soit présenté.

Édit de Louis V

  • Depuis l’édit de Louis XV de 1750 sur la noblesse militaire, il était possible pour une famille d’être anoblie avec trois générations consécutives de chevaliers de Saint-Louis. Ce processus s’arrêta à la révolution française. (4) Jean-Baptiste est retenu comme écuyer, Il est chevalier de Saint-Louis et pensionné du Roi pour ses blessures. Il a fait 22 ans de service au roi. Son frère Bernard est lui aussi qualifié plusieurs fois d’écuyer dans différents actes de 1758-1759 chez le notaire Dabrin. Il est aussi pensionnaire du Roi et chevalier de l’ordre militaire de Saint-Louis. Le fils de Jean-Baptiste, Louis, mousquetaire gris est, lui aussi, Chevalier de Saint-Louis. Son frère, JJB est chevalier de Saint-Louis. Même s’il y a quatre chevaliers de Saint-Louis au XVIIIe siècle, la famille ne rentre pas dans le critère de prouver la qualité de chevalier de Saint-Louis sur trois générations.

Une vie noble. Quid ?

Enfin, les dernières familles peuvent être identifiées par leur seule vie noble (depuis le XVIIe siècle). Voir ci-dessous. Qu’est-ce que la vie noble ? La définition donnée lors des recherches de noblesse du XVIIe siècle restait toujours valable et reposait sur plusieurs critères :

Qualification noble

  • L’arrêt du Conseil d’État servant de règlement du 15 mai 1703 et notamment son article IV, a définitivement établi ces qualifications : chevalier et écuyer dans tout le royaume, noble notamment dans la provinces de Languedoc et Roussillon et dans l’étendue du Parlements de Toulouse. Les Broqueville d’Empiroy ont fait valoir leur état de noble dans les actes des notaires ou les pactes de mariage au XVIIe siècle. Les Endardé ont suivi durant le XVIIIe siècle. Ils mènes une vie de noble.

Armes timbrées

  • Ce sont celles qui sont surmontées d’un ornement, c’est-à-dire d’une couronne ou d’un casque plus ou moins riche suivant le titre dont est revêtu le possesseur. Les armes timbrées n’ont toujours été propres qu’à la noblesse ; et des amendes étaient prononcées contre ceux qui se permettaient de les porter sans être noble. (Ordonnance de Blois Art 157, Déclaration du 23 août 1598, Édit de janvier 1694 et novembre 1696). Or les Broqueville n’ont eu des armes timbrée qu’à partir du XVIIIe siècle.

Les actes notariés ou non

  • La déclaration royale du 16 janvier 1714 limitait la preuve de la noblesse à cent ans soit janvier 1614. Les actes (mariage, testament, partages…) permettaient d’établir la filiation et la continuité pour la prise de qualification noble comme chevalier ou écuyer … établissant la filiation. Les Empiroy auraient pût faire valoir leur titre de noble dans les actes depuis le mariage de Blaise avec Catherine de Manas.

Franc-fiefs

  • C’était un droit payé par un roturier qui possède un fief noble avec concession et dispense du Roi. Les Broqueville payaient ces droits, donc ils étaient des roturiers. Voir les terres tenues en fief par la famille en cliquant ici.

La taille

  • Taille : On vérifiait les inscriptions sur les rôles des tailles des paroisses. On pouvait être certain qu’une personne qui payait la taille était roturière mais on ne pouvait pas être certain qu’une personne qui ne la payait pas était noble. Les Broqueville payaient la taille.

Des demandes non abouties ?

Dans le livre préparatoire de Arnaud Clément (5) sur la noblesse française, il a retenu le nom Broqueville comme potentiellement noble :

« BROQUEVILLE (de) D’azur au sautoir d’or accompagné en chef d’une molette de même. Gascogne ; Jean-Joseph (1755-1834), chevalier de Saint-Louis, seigneur de Colomé, lieutenant de Bourbon infanterie. Fils de Jean-Baptiste de Broqueville-Endardé (16891768/71), seigneur d’Endardé. Petit-fils de Louis Broqueville-Endardé (1655-1745), seigneur de Maut. Famille anoblie en Belgique en 1857 et subsistante. [GAF n°6941] »

Cette assertion inscrite dans la version préparatoire du document a disparu dans la version définitive de ce dernier. Clément ne pouvait pas inclure la famille Broqueville dans l’ancienne noblesse de France. Les héros d’armes chargés de la vérification des écrits des prétendants pouvaient-ils vérifier si les noms des prétendues seigneuries l’étaient réellement ? Ce n’est pas sûr. En tout cas, nous n’avons toujours pas de traces de Colomé, nous savons qu’Endardé est tenu en fief et que Maut est une simple métairie.

Des armoiries inexactes ?

Par contre la description des armories portent à confusion puisque celles qui sont décrites ci-dessus sont attribuée à la famille Cotignon. Or il est impossible d’avoir deux armoiries similaires. Les Broqueville ne pouvaient pas reprendre les armoiries d’une famille existante. Les Cotignon d’extraction noble en 1599 se sont éteints en 1981. Or Les Broqueville français mettaient en avant leurs armoiries inspirées de celles des Cotignon, « d’azur au sautoir d’argent, accompagné en chef d’une molette d’or« . Ici l’on se trouve devant une erreur héraldique, il aurait fallu mettre la molette en argent. Voir l’article sur l’évolution des armoiries.

Un terme définitif aux anoblissements

Si effectivement, JJB a déposé un dossier après son mariage en 1778, avec Ursule Delherm de Larcène, le résultat n’arrive que bien des années plus tard, tant la procédure est longue. Or, la Révolution française démarre en 1789. Celle-ci a marqué un coup d’arrêt définitif aux demandes.

La Révolution

L’assemblée constituante, dans sa séance du 19 juin 1790, compléta l’œuvre qu’elle avait commencée dans celle du 4 août 1789, supprimant la noblesse héréditaire et toutes les qualifications qui en dérivent. Cette proposition, faite par un membre obscur, fut aussitôt appuyée par Charles de Lameth, de La Fayette, de Noailles, Mathieu de Montmorency, et chacun d’eux se fit gloire d’en amplifier le sens et l’étendue :

« L’Assemblée nationale décrète que la noblesse héréditaire est pour toujours abolie en France ; qu’en conséquence les titres de marquis, chevalier, écuyer, comte, vicomte, messire, prince, baron, vidame, noble, duc, et tous autres titres semblables, ne seront pris par qui que ce soit, ni donnés à personne ; qu’aucun citoyen français ne pourra prendre que le vrai nom de sa famille ; qu’il ne pourra non plus porter, ni faire porter de livrée, ni avoir d’armoiries ; que l’encens ne sera brûlé dans les temples que pour honorer la Divinité, et ne sera offert à qui que ce soit ; que les titres de monseigneur et messeigneurs ne seront donnés ni à aucun corps, ni à aucun individu, ainsi que les titres d’excellence, d’éminence, de grandeur, etc.  » (6)

Louis XVIII

Lors de l’avènement de Louis XVIII, il rétabli la noblesse en 1814. Tous les espoirs sont permis. Dans un article déjà publié dans ce blog, nous avons expliqué que jean Joseph Bernard avait fait une demande de reconnaissance de noblesse en 1820. Cette demande de reconnaissance a été vaine. Et pour cause, lorsque Louis XVIII rétablit la noblesse en 1814, cette situation ne fut pas clarifiée pour les anciens titulaires. « Il est constant, en effet, que sous la monarchie restaurée, ni les anciens titulaires des offices abolis en 1790- 1791 (ou leur descendants), ni le pouvoir royal ne considèrent ceux-ci comme noble. Aucun d’entre eux, sollicitant anoblissement ou reconnaissance de noblesse, ne se voit opposer la possession d’une noblesse parfaite » (6) La lettre de JJB est accessible en cliquant ici. (7)

Pour clore cette question

La famille n’a jamais obtenu de diplôme assurant la moindre reconnaissance de noblesse quand elle vivait encore en France. Il faudra attendre 1857 pour obtenir une concession de noblesse octroyée par le Royaume de Belgique. Cette reconnaissance est basée sur des témoignages divers qui montrent que notre famille s’était placée de facto dans la qualité de noble par le fait qu’elle était « identifiée par sa seule vie noble, depuis le XVIIe siècle« . Bien qu’elle ait été au service du roi Louis XVI principalement, de l’empereur Napoléon Ier, de la Restauration (Louis XVIII et Charles X), elle n’a jamais été reconnue pour ses mérites.

Les Broqueville avait quasiment toutes les pièces pour être reconnus comme nobles. Mais la Révolution française et les pouvoirs limités de Louis XVIII se sont chargés de bloquer définitivement une reconnaissance de noblesse, en France.

Il est possible que le blocage révolutionnaire ait été un argument pour Stanislas pour se faire reconnaître noble en Belgique, avec le titre de baron. Nous restons fiers de porter ce nom qui a une belle histoire derrière elle et qui a tout encore à donner dans l’avenir.

Géry de Broqueville

  1. Colomé est soit le nom d’une métairie, soit celui d’une seigneurie. Visiblement les Broqueville tenaient à ce nom plus que celui d’Endardé. Jusqu’à présent personne n’a réussi à déterminer si ce nom provient de la bastide de Monfort ou d’une famille alliée. Quant à Esparbès elle est une aquisition du XIXe siècle.
  2. Le Premier État est le clergé. Le Second État est la noblesse. Le Tiers-État reprend toutes les personnes qui ne sont pas dans les précédents. La seule assemblée général de la noblesse a eu lieu dans chaque province, en 1789. Théoriquement, seuls les nobles de souche y avaient accès.
  3. ANF : Association de la Noblesse française qui essaie de dépatouiller les vrais nobles des faux qui grouillent en France actuellement. Les titres de noblesse n’ont plus aucune valeur dans l’État civil français. Ce dernier se doit de vérifier les cas d’usurpation de nom ou d’utilisation frauduleuse de titres en vue de malversation.
  4. Certaines précisions accompagnaient cette définition : Officiers des armées au-dessous du grade de maréchal de camp : Nés en légitime mariage, dont le père et l’aïeul créés chevaliers de Saint-Louis et comptant trente ans de service, en avaient passés soit vingt comme capitaines, soit dix-huit comme lieutenants-colonels, soit seize comme colonels, soit quatorze comme brigadiers, lorsque lui-même avait obtenu la croix de Saint-Louis et servi pendant le même temps avec les mêmes grades depuis l’édit de novembre 1750.
  5. Arnaud Clément, L’Agrégation à la noblesse au XVIIIe siècle, travail en cours, Academia.eu.Visiblement Arnaud Clément fait autorité actuellement tant son travail a été minutieusement réalisé.
  6. Arnaud Clément, la noblesse française au XVIIIe siècle, page 576.
  7. Cette lettre est intéressante car JJB donne moultes détails concernent sa vie et celles de ses aïeux. L’introduction de sa lettre est assez pathétique. Elle montre sans fard, son état de santé financière suite aux pillages qui ont eu lieu dans les maisons lui appartenant.