La médecine du XVIIe siècle.

A Monfort, lorsque l’on se sent malade, à un certain âge, non défini, il est de bon ton d’écrire son testament pour essayer de régler les différents  éventuels qui pourraient exister entre enfants, voire beaux-enfants. Le testament ne règle pas tout, puisque l’on voit de nombreuses contestations suite au décès de la personne. La convoitise entraîne hélas parfois bien des problèmes qui durent parfois des années durant. Mais cet article n’est pas consacré à ces problèmes.

Je m’arrêterai à la notion du corps malade. L’expression. Dans le testament de Anne Lannelongue, femme de Jean Saliné, daté du 21 mars 1689 (1) elle est dite « allongée dans son lit, malade de certaines maladies corporelles toutefois seine de son bon sens, mémoire et entendement bien voyant, ayant connaissant et parfaitement parlant de son bon gré et volonté a fait et ordonné son dernier et valable testament en la forme et manière qui s’en suit (…) » Le notaire note bien qu’Anne est malade dans son corps, sans pour autant préciser la nature des maladies. Le sait-il d’ailleurs. Ce n’est du reste pas son rôle de l’écrire.

En tout cas, le notaire a besoin de savoir si elle est seine de bon sens, de mémoire, elle entend, voit correctement et a même la connaissance, elle parle parfaitement. Ce sont les éléments fondamentaux pour que le testament soit reconnu comme valable. Il est du devoir du notaire d’attester cela.

Quoiqu’il en soit le texte continue par la phrase : « Primo comme une bonne chrétienne est munie du signe de la sainte Croix disant au nom du père et du fils et du Saint-Esprit ainsi soit-il a recommandé son âme à dieu le père tout puissant et à Jésus son fils, à la glorieuse vierge Maris, à Sainte-Anne sa bonne patronne à tous les saints et saintes du paradis devant intercéder à l’heure de sa mort (…)« .  L’église catholique n’est jamais loin et est aussi un signe de bon testament.

Dans tous les testaments lus (2), l’on voit que la personne est atteinte de maladie corporelle mais il n’en est jamais donné la nature de la maladie, à l’exception des périodes de peste, où l’on sait alors que le notaire se tient à distance du ou de la malade, sans nommer la peste, mais l’on se doute bien que c’est cette maladie car, de manière générale, par le registre des décès, on voit que les personnes tombent comme des mouches, très souvent sans avoir eu le temps de, justement, écrire un testament.

J’ai trouvé sur internet un texte très intéressant intitulé « Silence du corps malade dans les Mémoires français du XVIIe siècle » de Goran Subotic de l’Université d’Orléans (3). L’auteur explique ceci : « Dans l’imaginaire de l’ancienne médecine, en effet, santé et caractère sont étroitement liés, puisqu’ils ont une même origine, à savoir les humeurs. Marolles (4) s’appuie donc sur la grille des quatre tempéraments – bilieux, sanguin, flegmatique et mélancolique – pour construire un dispositif narratif qui lui permette d’articuler tout à la fois son corps et ses mœurs à partir d’un discours a priori médical.« 

La petite vérole

Éruption de pustules sur le corps, inflammation des yeux et larmes, possible aveuglement, démangeaisons, fièvre et fortes douleurs du malade, avec en plus bonnes chances de ne pas s’en sortir – tel est le résumé des symptômes de la variole, appelée autrefois petite vérole. Les traces de cette maladie se retrouvent sur le visages au point où la personne atteinte se doit de changer de vie sociale, tant son visage peut parfois prendre des expressions de laideur. Très souvent mortelle, la petite vérole peut guérir après des moments très pénibles.

D’autre part, le mémorialiste semble épouser leur regard dans le récit : « il est laid, mais pas monstrueux. Quant à la fin du passage, qui témoigne qu’aucun de ses proches n’a été touché, malgré un risque réel5, elle peut relever du hasard, mais peut également être lue comme la récompense d’une morale acharnée et pure« . Ainsi, dans ses mémoires, la petite vérole figure comme une maladie purement somatique, son apparition n’est due qu’au hasard, ou éventuellement au caprice de la volonté divine.

Une haleine empestée

Il faut également avoir à l’esprit que le XVIIe siècle porte un regard très moralisé sur le corps, particulièrement encouragé par le développement de toute une science du regard et du déchiffrement des signes du corps, et ce jusqu’à la physiognomonie, qui repose sur le postulat que la vérité de l’âme n’est atteignable que dans le corps. (5) Cet art, qui se situe quelque part entre le savoir médical, la géométrie, la connaissance de l’anatomie animale, la divination et les idéaux de la conversation transparente, permet de percevoir les «formes sensibles d’une intériorité qui n’est pas refermée sur elle-même, mais qui peut devenir transparente, sinon à tous les regards, du moins à celui qui possédera suffisamment de connaissances.» (6)

Ainsi le Cardinal Mazarin, proche de la mort, est pris de soubresauts parfois violents, ne pouvant plus s’exprimer clairement, ayant des tremblements, des mouvements d’avant en arrière qui ont été décrit par le jeune Brienne (7) et surtout une haleine fétide qui lui permettra de déterminer d’où vient le mal : « Mon pauvre ami, je me meurs. — Je le vois bien, lui dis-je ; mais croyez-moi, mon cher maître, c’est vous qui vous tuez vous-même. Je m’attendris en disant cela et ne pus retenir mes larmes. Je l’aimais, et il me faisait une grande compassion. Il me tendit les bras en m’embrassant fort tendrement. Son haleine m’engloutit et je fus sur le point de m’évanouir ; l’impression de cette mauvaise odeur fut si forte, que la senteur, précédée et suivie d’un fort grand mal de tête, me dura trois jours, tant l’odorat, que j’ai fort délicat, en était frappé et pour ainsi dire inondé. Quelle haleine, grand Dieu! La gueule d’enfer ne saurait être plus puante » (8)

Brienne analysera la situation du Cardinal en fonction de son propre ressenti de la puanteur de l’haleine du Cardinal. Oui le Cardinal est proche de la mort et de l’enfer (ou du purgatoire) tant la puanteur est grande qui lui donna mal de tête durant au moins trois jour.

La mélancolie

De nombreux Mémoires du XVIIe siècle français font mention d’une maladie étrange, sans nom, et qui fait des ravages parmi un bon nombre d’auteurs du siècle. Celle-ci présente tout une palette de symptômes violents : sérieuse infirmité d’un corps souffrant ; fièvre qui persiste pendant des jours, voire des semaines; transformation corporelle ; mélancolie ; perte de jugement et de connaissance suivie de crises de délire et enfin, résistance aux efforts médicaux qui semblent aggraver la maladie au lieu de la guérir. Ici encore, il est question du rapport corps-âme, intérieur-extérieur mais ce rapport obéit à une dynamique différente. (9)

Depuis l’Antiquité grecque, la médecine ancienne adopte une attitude différente de la nôtre en rapport aux maladies de l’âme. En soi, les maladies de l’âme, du psyché n’existe pas ou ne sont reliées qu’aux corps, parce que nous en avons un. Au fur et à mesure que le corps grandit, l’âme y trouve refuge et s’y implique de plus en plus en lui donnant des fonctions pour que le corps fonctionne correctement. Du coup les troubles psychiques ne peuvent s’observer que sur le plan physique. Il est clair que c’est dérangeant de voir un corps qui se courbe durant des troubles psychiques mais il est plus étrange encore de déterminer ce que fait l’âme, lorsque le corps est inerte ou sans réaction et donc quand il n’est pas malade.

Tous les auteurs de l’époque lient ainsi corps malade et souffrance de l’âme. Il est vrai aussi que tous les témoignages proviennent des mémorialistes qui analysent leur propre corps. « Les mémorialistes témoignent surtout d’un corps qui a perdu sa capacité de témoigner. Les dernières manifestations du corps pour exprimer les maux de l’âme se traduisent ainsi par une mise en question du corps – par une suppression de ses sens et de ses facultés. » (10) Ainsi donc, le silence répond à la question de l’impossibilité de communiquer sur le ressenti du mal du corps puisque ce dernier dépend de l’âme.

La séparation de l’âme, du corps

Catherine Broqueville, veuve à feu François Carrette, avocat en la cour, le 24 mars 1664, rédige son testament (11) avec quelques précisions supplémentaires. Si, durant la vie, le corps est bien le siège de l’âme que cette dernière n’est visible que quand le corps est troublé, au moment de la mort, la testatrice prend toutes les précautions comme le signe de croix et la formule consacrée « in articlulo mortis », « (…) proclamé être comme une bonne chrétienne s’est muni du signe de la Sainte croix étant in nomine patris et filii est et spiritus sancti, amen ; a recommandé son âme à Dieu le père tout puissant et à son fils à l’intercession de la vierge Marie et à tous les saints et saintes du paradis et la priant de vouloir avoir pitié  de son âme et lui pardonner les fautes et payer qu’elle pouvoir avoir ?? contre ses divins commandements et après qui âme fait par avoir séparation d’avec son corps et aller au paradis. Et étant ladite testatrice qui son corps a fait enterré et inhumé dans l’église paroissiale dudit Monfort et au tombeau dudit Carrette son mari a été enseveli et pour faire repos pour son âme.« 

Dans ce testament, Catherine Broqueville donne bien l’indication que son âme ne sera apaisée que si elle se sépare valablement du corps. Ce dernier pourra être enterré dans le caveau de son mari. La médecine du XVIIe siècle ne dit pas autre chose étant fortement influencée par l’Église catholique qui n’imagine pas un seul instant que la maladie pourrait venir de l’usure du corps, lui-même indépendamment de la santé de l’âme.

 Géry de Broqueville


(1) Notaire Maracssus coté 3E8868 aux AD32, (15138-15141)

(2) Une liste de testaments se trouvent accessibles dans la page « documents » en cliquant ici.

(3) Ce texte peut être lu en cliquant ici (pdf)

(4) Michel de Marolles a écrit des mémoires en 1755 publiés à  Amsterdam. Dans le tome II, page 139, il décrit son état de corps malade en expliquant qu’il a toujours eu une santé fragile depuis sa naissance.

(5) Subotic, page 4.

(6) Subotic page 4 cite un extrait de Lucie, Desjardins, Le corps parlant, savoirs et représentation des passions au XVIIe siècle, Québec/Paris, Les Presses de l’Université Laval/L’Harmattan, coll. « Les collections de la République des lettres », 2001, p. 8.

(7) Louis-Henri de Loménie, comte de Brienne, dit le jeune Brienne, Mémoires, publiés d’après le manuscrit autographe pour la Société de l’histoire de France, ed. Paul Bonnefon, Paris, Librairie Renouard, 1916 – 1919.

(8) Subotic cite Brienne : vol. III, p. 85-87.

(9) Subotic page 7.

(10) Subotic page 10.

(11) Notaire Ponsin coté 3E8977 (folio 25) aux Archives départementales du Gers (AD32), (11948-11957).